Winter Sleep

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Winter Sleep
Kis Uykusu
Turquie, 2013
De Nuri Bilge Ceylan
Scénario : Nuri Bilge Ceylan
Durée : 3h16
Sortie : 06/08/2014
Note FilmDeCulte : ***---
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Aydin, comédien à la retraite, dirige un petit hôtel en Anatolie centrale avec sa jeune épouse Nihal, avec qui il s’est sentimentalement éloigné, et sa sœur Necla qui souffre encore de son récent divorce. En hiver, la neige recouvre la steppe et l’ennui ravive les rancœurs, poussant Aydin à partir...

DIALOGUE AU SOMMET

Si les durées de ses films vont en s’accroissant (1h37, 1h49, 2h37 pour les trois derniers et aujourd’hui 3h16 !), la formule des films de Nuri Bilge Ceylan change peu. Une alliance plutôt qu’une formule : celle d’un cinéma qui frappe toujours autant par son aridité narrative que par son travail de composition picturale. Qu’il place un visage et une bougie fébrile à l’intérieur d’un gros plan ou qu’il perde des silhouettes dans des paysages écrasants, le réalisateur turc possède un œil rare pour la structure de chaque plan, pour chaque cadre, lumière et couleur. Un travail souvent splendide qui ne cède pas à la décoration pure, à l’esthétique vaine ou superficielle. Hasard ou pas, les plans de paysages (une des signatures du réalisateur) semblent d’ailleurs dans un premier temps moins nombreux qu’avant dans Sommeil d’hiver, malgré un décor pas banal et qui fait rêver: un hôtel troglodyte presque sorti de la Terre du Milieu. Mais peut-être est-ce simplement dû à la durée du film, qui reste dans son ensemble majoritairement consacré à des scènes d’intérieur. En effet, on peut tourner autour du pot, le dire en guise d’introduction ou de conclusion, mais on y revient presque fatalement : difficile de passer outre le fait que oui, Sommeil d’hiver est également un film de trois heures et quart sur des gens qui parlent dans l’obscurité. Vous voilà prévenus.

Et pourtant, les meilleures scènes de Sommeil d’hiver sont rien moins que fascinantes. Alors qu’elles ne sont précisément que des dialogues dans le noir. Tour de magie? Il y a effectivement un mystère Ceylan, un mystère dans sa manière de manier le mythique et le contemporain, l’ancestral et le prosaïque, à l’image de cet hôtel taillé dans des roches sans âges mais où on reçoit du wi-fi. Passé une première partie au rythme étonnement soutenu (où l’on se castagne et se jette des pierres au visage), Ceylan se paye le mini-culot, comme l’ont souvent fait Rohmer ou Oliveira parmi d’autres, d’interrompre le cours de son récit pour faire entamer par ses personnages une grande discussion philosophique sur le bien et le mal. Première surprise : malgré sa durée, la discussion reste vivante et fluide, jamais ampoulée mais au contraire complètement crédible (grâce à de très bons interprètes – un clin d’œil au Atom Egoyan passé ce matin, coucou). Deuxième surprise, la parenthèse continue, s’étire encore et encore, une discussion en chassant une autre, jusqu’à ne plus en être une. Et le récit initial des tracas quotidiens des protagonistes finit par avoir l’air d’une simple introduction, lointaine et triviale. Les scènes de dialogues, toujours aussi brillamment mises en scène, virent presque au concept par leur longueur et leur omniprésence. Il n’y a rien d’autre que ces visages et ces considérations morales de haute volée, et l’étendue de ces dernières tourne à l’ivresse, au vertige.

Mais là encore, la durée du film est trompeuse. On croit être arrivé au sommet lorsque se dévoile l’autre versant du film. Les discours se font de moins en moins enjoués et de plus en plus amers, accusateurs. Le protagoniste, fier de son savoir et de son éloquence, voit sa propre loquacité lui revenir à la figure. La parole n’éclaircit plus la pensée, elle écrase la conscience et par là-même, empèse la deuxième partie du film, où le temps passe de manière bien plus pesante. La redescente est bien plus longue que la montée, et le visage désormais fermé à double tour de celui qui ne sait plus se défendre rapproche hélas Sommeil d’hiver d’un défaut qu’il évitait jusqu’ici subtilement : le fameux Sérieux Sentencieux. Celui des chefs-d’œuvre obligatoires qui ennuient en cachette, celui du temps poussiéreux où des prix Nobel de littérature remettaient des Palmes d’or à des films encyclopédiques à gros sabots. La parenthèse se referme. Les paysages reviennent, la neige aussi (une autre signature visuelle de Ceylan). La partie prosaïque du scénario revient au premier plan, quelques touches d’humour font reprendre souffle (« je me suis tu trop longtemps alors maintenant je me rattrape et je parle trop » confie un ivrogne de passage – on confirme). On a retrouvé la terre ferme mais avec les pieds engourdis, et le souvenir des merveilleux sommets est un peu gâché par les crampes et les courbatures. Trois heures de dialogues, ce n’est pas une épreuve sportive au goût et la portée de tout le monde.

Le Palmomètre : Si l’on compte le prix Fipresci pour Les Climats, Nuri Bilge Ceylan n’a jamais été en compétition sans repartir avec un prix sous le bras. Son absence au palmarès serait donc une surprise, mais si Sommeil d’hiver peut gagner absolument n’importe quel prix, il ferait peut-être une Palme d’or un peu trop clivante…

par Gregory Coutaut

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