Le Soldat dieu

Le Soldat dieu
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Soldat dieu (Le)
Caterpillar
Japon, 2010
De Koji Wakamatsu
Scénario : Masao Adachi, Koji Wakamatsu
Avec : Shinobu Terajima
Photo : Yoshihisa Toda, Tsuji Tomohiko
Musique : Sally Kubota, Yumi Okada
Durée : 1h25
Sortie : 01/12/2010
Note FilmDeCulte : *****-
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Le lieutenant Kurokawa rentre de la guerre sino-japonaise de 1940, sourd et muet et amputé de ses membres. Réduit à l’état végétatif, il n’est plus capable que de manger et de dormir, et impose des rapports sexuels répétés à son épouse. Contrainte de prendre soin de « cette chose tyrannique » considérée comme un héros, Shigeko se venge en affichant aux yeux de tous la monstruosité de ce « Dieu de la guerre ».

LE DIEU D'OSIER

Il y a plus de quarante ans déjà, Koji Wakamatsu, avec Les Secrets derrière le mur, remettait en question l'image nippone de la femme au foyer modèle qui ici boit, baise et refuse son rôle programmé de mère. Le Japon des années 60 subit encore le traumatisme de la défaite, les hommes sont humiliés et, empêchés sexuellement, s'en prennent physiquement à leurs femmes. Quel que soit le niveau, qu'il s'agisse de l'empereur ou du mari, le pouvoir est une violence, le sexe, chez ce réalisateur pourtant venu du pinku eiga, est politique, et la femme doit trouver sa place dans cette société ultra-patriarcale, quitte à voir l'esclave enfin se révolter (Quand l'embryon part braconner). Le Soldat dieu ne parle pas encore de traumatisme, ou presque. Le Japon est en pleine guerre, et les femmes au foyer sont elles aussi au front, comme l'expliquent les messages officiels diffusés par la radio. La violence s'exprime autrement: c'est physiquement, cette fois, que l'homme est empêché, mutilé par la guerre, privé de bras et de jambes. Mais il est encore sexuellement valide, contraignant l'épouse dévouée à des rapports quasi forcés. Sacrifice officiel de l'un, sur le champs de bataille, et sacrifice secret de l'autre, sur le tatami, sous le portrait de l'empereur. Shinobu Terajima, impressionnante (et d'ailleurs récompensée par le prix d'interprétation à Berlin), compose un personnage ambigu, entre haine et dévotion, l'une de ces femmes fortes qui peuplent le cinéma de Wakamatsu, qui certes subissent mais portent en elles une révolte. Partagée, évidemment, par le cinéaste frondeur.

Lors de la remise de prix visant à décorer le Soldat dieu (comme si le nom allait changer sa condition de tas de chair), un fou surgit, mettant en valeur la tartufferie de cette mise en scène. La guerre ne se justifiera ni par l'intérêt commun, ni par un code d'honneur féodal et dépassé, ni par ses médailles, et ne débouche que sur le pathétique, quotidien lorsque la chose est étendue au sol, geignant pour du riz ou du sexe, événementiel lorsque le monstre est trimballé comme un trophée sur une charrette. Entre images d'archives et reconstitution, Wakamatsu prend bien soin d'étroitement mêler histoire et fiction dont les images, crues, refusent de poser un voile pudique sur l'horreur. Le film, puissant et terrible, en quelque sorte complémentaire avec le Chinois City of Life and Death, ne peut s'achever que sur les images des bombes atomiques larguées sur Hiroshima et Nagasaki. Mais on sait, en ayant vu les films de Koji Wakamatsu, que la guerre, même achevée, ne s'arrête pas là.

par Nicolas Bardot

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