Koji Wakamatsu en 4 films

Koji Wakamatsu en 4 films

Les Secrets derrière le mur, Quand l'embryon part braconner, Les Anges violés et Va, va, vierge pour la deuxième fois: quatre dates dans l'œuvre de Koji Wakamatsu, maître du pinku eiga et figure clef de la nouvelle vague japonaise, quatre films qui synthétisent les obsessions d'un cinéaste esthète et agitateur.

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LES SECRETS DERRIÈRE LE MUR - 1965

Dans une cité HLM, un étudiant taciturne passe son temps à épier ses voisins, quand il ne feuillette pas ses revues érotiques. Premier plan des Secrets derrière le mur: un oeil, motif obsédant qui résumerait presque le long métrage et bien des questions posées par les films suivants du cinéaste. Puis vient une succession de plans de béton, quelques chiffres sur les murs. Wakamatsu offre à voir le Japon 60's encore traumatisé par la guerre, humilié par l'occupation américaine, pas remis de ses blessures. Les corps sont couverts de cellules radioactives, les amants, lors de leurs tristes étreintes, sont enveloppés en surimpression par une image de bombe atomique. Tristes étreintes, car Wakamatsu délaisse les charmes du pinku eiga pour une chair meurtrie, pas excitante pour un yen, où les corps surdécoupés par la caméra ne font que s'inscrire dans le sentiment de claustrophobie générale, d'enfermement, anatomie morcelée plutôt que célébrée. "On se croirait dans une prison , enfermés entre ces quatre murs. Une prison paisible". Car si la guerre est loin, les idéaux révolutionnaires sont aussi en berne, comme endormis. Malaise. Et, dit-on, "c'est pareil dans tout le Japon, la même petite pièce". Les Secrets derrière le mur observe un autre Japon, chamboulant l'image de la femme au foyer, qui ici boit de l'alcool, aime le sexe, refuse d'enfanter. L'homme, lui, comme dans d'autres films du cinéaste, scrute maladivement ce qu'il ne peut avoir, roc de frustration dont le poignard n'est qu'un substitut sexuel. Le Japon d'hier est confiné à un écran télé où l'on aperçoit quelques costumes. Et le fait divers, relatant sur un bout de journal le meurtre dans la cité endormie, est avalé par le son de la radio. Derrière le mur, les secrets demeurent.

QUAND L'EMBRYON PART BRACONNER - 1966

Un an plus tard, Koji Wakamatsu tourne Quand l'embryon part braconner, un de ses films les plus emblématiques, mais qui pourtant ne sera visible en salles, en France, qu'en 2007, frappé par ailleurs d'une interdiction aux moins de 18 ans totalement à côté de la plaque. "Périsse le jour où je suis né. Pourquoi ne suis-je pas mort dans le ventre de ma mère?". Wakamatsu cite le Livre de Job en préambule, sur de dérangeantes images d'embryons qui apparaissent comme prisonniers. Un homme, traumatisé par le suicide, des années auparavant, de sa mère, et la disparition de son épouse, passe ses pulsions sadiques sur une jolie relation d'un soir, qui ressemble comme deux gouttes d'eau à son ancienne femme. Comme Les Secrets..., Quand l'embryon part braconner est un film hanté, par la guerre d'abord qui a tout changé ("après la guerre, on a perdu nos valeurs, la confusion générale régnait"), par la mort ensuite, via ces flashbacks nimbés d'un halo fantôme, réminiscences de l'épouse morte et dont un masque mortuaire apparait de temps à autres à l'image. Les sévices sexuelles sont avant tout l'expression désabusée de l'homme, sexuellement humilié, dont la virilité est remise en question, face à une femme victime, esclave, mais pourtant bien plus forte. Tandis qu'on maltraite la chair, le film, absolument splendide visuellement, baigne dans une atmosphère surréelle, où le noir et blanc scintille comme une mer dans cet appartement en forme d'espace mental, ou d'utérus.

LES ANGES VIOLES - 1967

Une succession de plans fixes ouvre Les Anges violés, présentant le héros perdu et figé entre de nombreux clichés érotiques. Avant qu'il ne s'en échappe, marchant sur une plage, où il sera invité par quelques infirmières, dans leur dortoir, à observer par un trou les ébats sexuels de deux de leurs amies. Encore une fois, Wakamatsu donne une autre dimension au pinku eiga, renvoyant dos à dos héros voyeur et spectateur pervers, dont le regard est l'expression de l'impossibilité sexuelle, débouchant sur une incontrôlable violence. Les images mentales se succèdent (visions oniriques, surimpressions, arrêts sur image), véhicules de l'humiliation sexuelle parmi les anges blancs, des infirmières désormais menacées par l'arme de l'intrus. Lors d'une longue conversation, Wakamatsu abolit le champ/contrechamp en panotant entre l'homme et la femme, passant de façon obsessionnelle sur le corps sans vie de l'une d'elle. La couleur, parfois utilisée sur quelques bouts de pellicule de pinku, intervient ici non pas dans un but d'érotisation, plutôt un effet dramatique via ce plan pictural d'infirmière devenue martyr. Présenté à la Quinzaine des réalisateurs en 1971 et inspiré d'un fait réel, Les Anges violés, comme les précédents longs métrages de Wakamatsu, est marqué par une même concision (moins d'une heure ici), pas de détours et des idées à la pelle.

VA VA VIERGE POUR LA DEUXIEME FOIS - 1969

Va, va, vierge pour la deuxième fois: superbe titre pour un film qui, en France, a été exploité sous le nom moins heureux de Vierge violée cherche étudiant révolté. Un huis clos, encore une fois, avec cette histoire qui se déroule quasi intégralement au sommet d'un immeuble, où une jeune fille se fait violer par plusieurs garçons tandis qu'un autre observe au loin, muet et pétrifié. Elle et lui vont se lier, n'ont d'autre horizon que d'attendre leurs 20 ans pour sauter du vingtième étage, jeunesse japonaise désabusée née avec la bombe atomique. Le film, à travers une bande son qui se partage entre rock psyché et free jazz, baigne dans une atmosphère d'hallucination, dialogues déclamés comme des poèmes, et encore une fois un usage prodigieux du noir et blanc aux contrastes violents (la lumière sur les visages devenant sombre d'un coup lorsque l'orage gronde, le linge blanc et les noires pensées des personnages). Ensemble, ils n'attendent plus rien, et peuvent bien défier la foudre. Nihilisme et désespoir à nouveau, et nouvelles intrusions traumatiques de la couleur: le souvenir d'un viol, puis une partouze qui tourne mal. Les personnages de Va, va, vierge pour la deuxième fois sont seuls au monde, insulaires, enfermés dans un Japon qui va mal, et que Wakamatsu croque en quatre films sans concession.

par Nicolas Bardot

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