L'année cinéma 2016 de Gregory Coutaut

L'année cinéma 2016 de Gregory Coutaut

La plupart des films sont faits par des hommes, sur des hommes et pour des hommes. Cette boucle, pas très susceptible d'intégrer quiconque ne rentre pas dans ces cases-là, devient encore plus claustrophobe lorsqu'on la retrouve dans le cinéma d'auteur, pourtant censé favoriser la diversité de points de vue. Indépendamment de leur qualités d'écriture ou de mise en scène, certains films d'auteur parmi les plus populaires de 2016 ont perpétué un univers strictement masculin, parfois paternaliste, où la femme n'est qu'un accessoire dispensable: Captain Fantastic, Paterson, Manchester by the Sea, Midnight Special... On pourrait même dire que la boucle va plus loin puisque les films sont également surtout commentés par des hommes. Ce status quo condescendant est donc rarement remis en question, ou même remarqué. Sauf que 2016 nous a justement proposé plein de films venant dynamiter la situation. On est habitués aux films sur des héros ou des super-héros. Plus rares sont les films sur les dieux, mais combien de film y a-t-il sur les déesses ? The Neon Demon en est un spectaculaire exemple. Le personnage d'Elle Fanning partage avec celui de The Witch de transcender jusqu'à la déité (excusez du peu) leur statut d’héroïne/victime de film d'horreur. A leur côté, et à la tête du cortège des autres femmes puissantes qui ont dit merde en 2016 (Sonia Braga, Shu Qi...) : les deux héroïnes de l'année sont Isabelle Huppert et Maren Ade. Leurs films, inattendus et inclassables, immoraux ou hors-normes, ont été la plus excitante issue de secours d'un monde et d'un cinéma qui ont bien besoin de cette remise en question.

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MON TOP

1. Elle, Paul Verhoeven
2. The Neon Demon, Nicolas Winding Refn
3. Toni Erdmann, Maren Ade
4. Nocturama, Betrand Bonello
5. Court, Chaitanya Tamhane
6. Ma'Rosa, Brillante Mendoza
7. The Witch, Robert Eggers
8. The Assassin, Hou Hsiao Hsien
9. Théo & Hugo dans le même bateau, Olivier Ducastel et Jacques Martineau
10. Carol, Todd Haynes

COUP DE CŒUR : LE CINÉMA FRANÇAIS SORT DES SENTIERS BATTUS

Et si l'un des cinémas les plus imprévisibles de l'année, l'un des plus généreux en surprises, était le cinéma... français? En 2015, une bonne partie de la production hexagonale donnait l'impression de ronronner tranquillement en suivant des routes prévisibles, symbolisées par Dheepan, palme d'or plutôt consensuelle. Un très joyeux déraillement a eu lieu en 2016, catapulté par la locomotive folle Elle: un projet inattendu, que la rumeur annonçait jusqu'au dernier moment comme un nanar (comme si d'avance, on refusait de croire un tel film possible), et qui s'est révélé d'une audace dingue. L'audace, la flamboyance, voilà des qualificatifs qu'on n'a pas aussi souvent l'occasion d'employer qu'on le souhaiterait pour parler de notre cinéma. Or l'année 2016 nous a généreusement donné plein d'occasions de démentir cet a priori.

L'exemple le plus révélateur et peut-être celui de Stéphane Brizé, cinéaste de la part de qui on n'attendait pas une telle modernité formelle: son adaptation d'Une vie a pris le contrepied du classicisme télévisuel redouté dans un tel projet. Les cinéastes déjà davantage identifiés comme des électrons libres ne se sont pas reposés sur leurs lauriers et au contraire ont continué à prendre des risques, et radicalisé leur cinéma souvent déjà radical. Bruno Dumont a encore accentué son virage vers un humour absurde et inquiétant, et Pascal Bonitzer a signé un drôle de Rubik's cube narratif en forme de trompe l'oeil. Face à eux, quatre cinéastes se sont quant à eux démarqués par une utilisation sidérante du silence, qualité rare dans un cinéma français souvent bavard. Bertrand Bonello a signé avec le talent qu'on lui connait un film intranquille qui a franchement divisé, dépourvu de dialogues dans sa première moitié ; Olivier Assayas a fait communiquer ses personnages par sms avec des esprits ; tandis qu'Olivier Ducastel et Jacques Martineau ont mélangé romantisme et pornographie dans un équilibre inédit, avec la scène d'ouverture la plus hot et stupéfiante de l'année.

2016 a été surtout l'occasion de redécouvrir deux femmes cinéastes rares, dont il aura fallu attendre le retour près de douze ans : Pascale Breton (Suite armoricaine) et Lucile Hadzihalilovic (Evolution). Inclassables, fort différents l'un de l'autre, leurs films furent deux des plus belles surprises de l'année, et deux des plus belles places laissées à l'imagination. Une femme prise dans le fleuve de ses souvenirs et de son identité nationale, et des jeunes garçons à la puberté toxique, fantastique et splendide: voilà deux visions parmi les plus enthousiasmantes de l'année. Voilà les deux films qui ont emmené le cinéma français vers les destinations futures les plus excitantes...

MON TOP INÉDITS

1. Crosscurrent, Yang Chao
2. La Region Salvaje, Amat Escalante
3. Swiss Army Man,Dan Kwan et Daniel Scheinert
4. The Giant, Johannes Nyholm
5. 6A, Peter Modestij
6. Life After Life, Zhang Hanyi
7. Antiporno, Sono Sion
8. Ascent, Fiona Tan
9. Ordinary People, Eduardo Roy Jr
10. Destruction Babies, Tetsuya Mariko

MES ATTENTES POUR 2017

1. La Caméra de Claire, Hong Sang-Soo
2. Okja, Bong Joon-Ho
3. Les Bonnes manières, Marco Dutra et Juliana Rojas
4. The Killing of a Sacred Dear, Yorgos Lanthimos
5. Baahubali: The Conclusion, S.S. Rajamouli
6. How to Talk to Girls at Parties, John Cameron Mitchell
7. Happy End, Michael Haneke
8. Tiger Girl, Jakob Lass
9. Weightless, Terrence Malick
10. The Death and Life of John F. Donovan, Xavier Dolan

par Gregory Coutaut

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