Edge of Tomorrow

Edge of Tomorrow
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Edge of Tomorrow
États-Unis, 2014
De Doug Liman
Scénario : Jez Butterworth, John-Henry Butterworth, Christopher McQuarrie
Avec : Emily Blunt, Tom Cruise, Bill Paxton, Noah Taylor
Photo : Dion Beebe
Musique : Christophe Beck
Durée : 1h53
Sortie : 06/06/2014
Note FilmDeCulte : *****-
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Dans un futur proche, des hordes d'extratterrestres ont livré une bataille acharnée contre la Terre et semblent désormais invincibles: aucune armée au monde n'a réussi à les vaincre. Le commandant William Cage, qui n'a jamais combattu de sa vie, est envoyé, sans la moindre explication, dans ce qui ressemble à une mission-suicide. Il meurt en l'espace de quelques minutes et se retrouve projeté dans une boucle temporelle, condamné à revivre le même combat et à mourir de nouveau indéfiniment…

LIMAN BRISÉ

Oublié comme créateur de la charte graphique de la franchise Bourne et sortant de l'échec de son film le plus personnel (Fair Game, 2010), le mésestimé Doug Liman revient avec ce qui pourrait bien s'imposer comme son meilleur film. À l'instar de Matrix ou Hypertension, Edge of Tomorrow vient confirmer que les meilleures adaptations de jeu vidéo ne sont pas des adaptations du tout. Si les hardcore gamers devraient se délecter des propositions du film, nul besoin d'être un accro du paddle pour apprécier la logique vidéoludique du pitch, le potentiel narratif qu'il amène mais aussi ce qu'il permet au cinéaste de raconter au-delà du cocktail d'action et de science-fiction. Et de film de guerre. Continuant son petit bonhomme de chemin, Liman aborde à chaque film un nouveau genre tout en y apportant sa sensibilité, son point de vue, cet ancrage dans le réel qui se manifeste tant au travers de la forme que dans le fond. Visuellement, le metteur s'est vraiment trouvé sur La Mémoire dans la peau - ces tonalités de gris parfois chromé, cette caméra portée de tous les instants - et si sa patte n'est pas la plus originale du monde, il se distingue toutefois d'un J.J. Abrams (plus nerveux, plus coloré, plus flashy) ou d'un Paul Greengrass (plus épuré dans la photo, plus radical, dans le grain et le filmage à l'épaule). Avec Jumper, Liman faisait pour le film de super-héros ce qu'il avait fait six ans auparavant pour le film d'espionnage, embrassant les codes du genre en y apportant un peu de fraîcheur par le biais de cette approche esthétique qui changeait clairement des mètres-étalons du genre (qu'il s'agisse du Superman de Donner, des Batman de Burton, Schumacher ou Nolan, de tous les Marvel...) et qui collait à la caractérisation de son héros qui n'en était pas (encore) un. Edge of Tomorrow atteste une fois de plus de cette direction.

GAME OVER AND OVER AGAIN

Contrairement au film de super-héros, la SF et le film de guerre ont déjà connu ce genre de traitement formellement "réaliste" (Il faut sauver le soldat Ryan et Minority Report pour citer les meilleurs), mais Liman parvient toutefois à insuffler un peu de nouveauté dans le mélange des deux. Après une rapide entrée en matière, on est propulsé sur le front lors d'une scène ahurissante, en plein débarquement sur une plage, sauf qu'ici les troufions sont largués d'un avion et vêtus d'une armure mecha. En faisant de sa guerre, opposant humains et aliens (au design plutôt original), une guerre de tranchées qui rappelle aussi ouvertement la Seconde Guerre Mondiale - situer l'action en Angleterre et en France n'est pas innocent - Liman troque une imagerie cinématographiquement déjà vue (on n'est pas dans une guerre futuriste à la Terminator ou Matrix, ni dans du film d'invasion extra-terrestre à la Independence Day) pour une imagerie familière mais qui renvoie au réel (le débarquement en Normandie). Ce faisant, il parvient non seulement à assoir ce postulat de SF dans une imagerie autrement plus proche de nous mais il tient également un propos sur la guerre elle-même. Soyons honnête, Edge of Tomorrow est avant tout un ride frénétique qui exploite à merveille les possibilités de son concept à la Un jour sans fin. Ou plutôt à la jeu vidéo. Le principe de l'intrigue, qui voit le protagoniste se réveiller chaque matin avant le débarquement avant de mourir au combat, parvenant jour après jour à survivre un peu plus longtemps parce qu'il sait d'où vont l'attaquer ses adversaires, renvoient évidemment au gameplay d'un jeu vidéo où l'on respawn en début de level à chaque fois que l'on meurt, conscient des obstacles à venir et donc plus préparé à les surmonter. À l'instar de Jumper qui déroulait son univers au travers de l'action plutôt que de s'arrêter pour l'exposer et qui faisait état de scènes d'action assez "exigeantes" pour l’œil du spectateur, appelé à suivre les mouvements trop rapides pour la caméra des téléporteurs, Edge of Tomorrow ne prend jamais le spectateur pour un con et ose des ellipses massives dès que le concept est posé. Cette fois, c'est l'intrigue qui se téléporte. Et le film va très vite parce qu'il sait qu'il peut demander au public de suivre.

En cela, le film est assez jouissif à regarder. Voir le personnage de Tom Cruise évoluer, devenir de plus en plus badass sur le terrain, jusqu'à être imbattable est des plus divertissants, en plus d'offrir comme un sous-texte métafilmique expliquant en gros comment Tom Cruise est devenu Tom Cruise. Bien que l'action soit secondaire, Liman a mis les petits plats dans les grands. Sa caméra se fait un peu plus aérienne tout en faisait état d'un dynamisme et, par moments, d'un chaos qui, encore, collent de plus près au réel. Non content d'assurer le spectacle, le film n'est pas dépourvu d'humour, comme en témoignent toutes les séquences où figure le génial personnage secondaire interprété par Bill Paxton, l'un de nombreux clins d’œils à Aliens. Même ces inévitables séquences attendues où le héros sait tout sur tout le monde se voient rehaussées par l'écriture, la réalisation et le montage qui leur confèrent un dynamisme fou. La façon dont le récit ne perd presque jamais de temps est tout bonnement admirable d'intelligence. Le film n'est jamais aussi bon que lorsqu'il exploite à fond ce potentiel, dans l'action et dans l'humour donc mais aussi dans le développement de la relation entre les deux héros. La comédie romantique qui servait terrain de jeu à Harold Ramis étant remplacé chez Liman par le film de guerre, la romance prend une toute autre couleur. Contrairement au personnage d'Andie MacDowell dans Un jour sans fin, celui d'Emily Blunt meurt aussi chaque jour. Sous les yeux du héros. Un nombre incalculable de fois. Jusqu'à ce que ça lui devienne insupportable. Ainsi l'histoire d'amour présente une cohérence thématique avec l'axe intéressant choisi par Liman et ses scénaristes, dans la façon dont le concept SF implique de manière inhérente un triste portrait de la condition de soldat. Pour les troufions, chaque jour ressemble au précédent. Ici, c'est littéralement le cas. La boucle temporelle illustre un constat très simple : l'Histoire est condamnée à se répéter, inlassablement. Comme en témoigne également une scène où sont évoquées directement dans le texte les guerres passées, toutes les guerres sont les mêmes. Comme évoqué plus haut, ce n'est pas pour rien que Liman refait le débarquement de 44, le parallèle est délibéré.

ÉTOILES, GARDE À VOUS!

Qu'est-ce que l'auteur de films comme La Mémoire dans la peau et Fair Game, œuvres critiques du traitement réservé à leurs "soldats" par les services secrets américains, avait trouvé dans ce projet high concept? Cet angle d'attaque, qu'il traite une fois de plus, en filigrane, avec ces effectifs "jetables" que l'on sacrifie sur le front. Le casting de Cruise en bidasse avait de quoi choquer mais la justification va en fait dans le sens de ce propos : l'acteur joue un Commandant de l'Armée Américaine préposé aux Médias. Il est l'image de l'armée à la télé, apparaissant pour vendre la guerre dans des JT entrecoupés de propagande militaire aux accents presque verhoeveniens. Suite à une démonstration de lâcheté, l'officier est rétrogradé. Il y a quelque chose d'assez impitoyable dans ce choix de balancer celui qui se vante d'avoir "convaincu des milliers de gens à faire la guerre" dans la guerre en question. Une leçon. Durant les deux premiers tiers, Edge of Tomorrow est génial. Le film brille lorsqu'il va vite, explore les richesses de son univers, a des choses à dire. Dès qu'il s'interrompt pour servir l'exposition obligatoire (les scènes avec Carter), il se fait plus banal. À l'image de ce dernier acte, plus classique et donc plus faible, néanmoins compensé par une dernière scène et un dernier plan très beaux.

par Robert Hospyan

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