Carol

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Carol
États-Unis, 2015
De Todd Haynes
Avec : Cate Blanchett, Rooney Mara
Durée : 1h58
Sortie : 13/01/2016
Note FilmDeCulte : *****-
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New York 1952. Carol est élégante, sophistiquée, riche et mariée. En cette veille de Noël, elle erre dans un grand magasin à la recherche d'un cadeau pour sa fille. Elle y rencontre une jeune vendeuse, Thérèse, spontanée, charmante, fragile. Toutes deux sont seules le soir de Noël. Carol propose alors à Thérèse de partir avec elle pour un voyage improvisé au cœur de l'Amérique. Un road trip au cours duquel elles vont tomber follement amoureuses.

PRISON POUR FEMMES

Classique, le nouveau film de Todd Haynes? Il y a en effet à la base de Carol un évident hommage à l’âge d’or du mélodrame hollywoodien des années 40 et 50, l’un de ceux où l’on s’attendrait à croiser Joan Crawford ou Bette Davis. A l’époque où Hollywood se permettait ce qui est devenu aujourd’hui l’exception : bâtir un grand film autour d’un personnage féminin. Un hommage où chaque détail de la direction artistique témoigne d’une cinéphilie et d’un savoir-faire amoureux. Sandy Powell aux costumes, Edward Lachman à la photo, Harvey Weinstein aux manettes de la production… ne vous fiez pas aux apparences, Carol n’est pas un attrape-oscar oubliable, ni un simple véhicule de luxe pour actrices star. Chez Todd Haynes, de Loin du Paradis à Mildred Pierce, la reconstitution n’est jamais une cloche de verre qui étoufferait son modèle. A l’hommage du superbe plan d’ouverture, où ce que l’on prend pour un beau motif de tapisserie se révèle être une plaque d’égout, Carol cache un cœur sombre.

La cadre confortable dans lequel vivent Carol et Thérèse est moins un écrin qu’un carcan. Todd Haynes semble respecter à la lettre les codes cinématographiques d'antan, mais il montre cependant quelque chose qui n’aurait pas pu être montré à l’époque dans un film. Et ce n’est pas qu’une question de codes Hays. Avant même de parler d’homosexualité (le mot n’est d’ailleurs pas prononcé une seule fois de tout le film, ni même aucun synonyme d’époque), ce qu’il filme c’est quelque chose que la société d’alors ne voulait pas connaitre, quelque chose que l’entourage des protagonistes refuse de voir : des femmes ensemble, une amitié et une solidarité féminine. L’indépendance des femmes qui ne sont censées contredire ni leur mari, ni même leur avocat. Mais les sentiments entre Carole et Thérèse vont bien au-delà, et leur relation débute, lors d’une scène excellente, devant le bouton marche/arrêt d’un train électrique, qui ne demande qu’à être actionné par les héroïnes. Un petit train à bord duquel elles s’invitent mutuellement, mais un train condamné d’avance à ne pas avoir de destination.

Mais le film n’est pas uniquement moderne par la thématique qu’il aborde. Il l’est aussi, et c’est plus surprenant, dans sa forme cinématographique. Et ce, de manière particulièrement subtile. Car finalement, Carol est-il bien un mélo ? Pas de scène de larmes, pas de déclaration d’amour (la simple phrase Je t’aime y brille par sa quasi-absence), pas de violons venant souligner les élans du cœur… et pourtant Carol est bouleversant. Il faut un talent fou pour parvenir à rendre un film aussi émouvant sans jamais montrer les étapes obligatoires d’une histoire d’amour. En une première scène, où pourtant rien n’est dit, on comprend déjà tous les enjeux profonds. Tood Haynes modernise son modèle hollywoodien sans le caricaturer. Moins qu’une subversion (même s’il y a de ça), il s’agit surtout d’une modernisation respectueuse. Et ça marche, car le film est aussi splendide et émouvant que ses modèles.

Cette incroyable finesse d’écriture est bien sûr portée par deux actrices hors normes. Rooney Mara se sort d’un rôle pas évident en y apportant son charisme taiseux et mystérieux (elle continue de traverser sa filmographie en faisant toujours la même tête, la verra-t-on un jour éclater de rire dans un film?). Et sans surprise, Cate Blanchett est une fois de plus royale dans le rôle-titre, plus sombre. Elles ont toutes les deux un jeu différent mais particulièrement bien accordé, et qui apporte une dimension encore supplémentaire à l’impossible union de leurs personnages. Paradoxalement, la scène la plus marquante du film, la plus stupéfiante de beauté mais aussi la plus émouvante, est une scène où elles ne parlent pas. Chacune isolée sur la banquette arrière d’une voiture, leurs reflets se rejoignent et se confondent aux lumières de la ville reflétées sur leurs vitres. Un plan presque fantastique, abstrait, magnifique. Classique, Carol ? Uniquement en apparence.

par Gregory Coutaut

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