Berlinale 2013: le bilan !

Berlinale 2013: le bilan !

Clap de fin sur la Berlinale ! FilmDeCulte était sur place et fait le bilan complet de cette 63e édition. Que retenir en termes de découvertes et de déceptions ? Quels enjeux et thématiques se sont dessinés à travers les différentes sections et le palmarès de Wong Kar Wai ?

  • Berlinale 2013: le bilan !
  • Berlinale 2013: le bilan !

L’image de la Berlinale n’est pas celle du Festival de Cannes ou de la Mostra de Venise. S’il y a une quinzaine d’années, les Ours d’or pouvaient revenir à des œuvres telles que La Ligne rouge, Magnolia ou Le Voyage de Chihiro, le festival a pris au cours des années 2000 un virage aux apparences world et austères, mettant en valeur sur les plus hautes marches du palmarès des petits films provenant de cinématographies émergentes, où un contenu politique fort prime souvent sur la stricte ambition artistique. Une critique de Variety comparait d’ailleurs récemment dans un édito le festival à un Granola : « riche en fibre morale, mais pas très excitant ». Est-ce à dire que la Berlinale est devenu trop scolaire? Gare à l’amalgame : cette 63e édition a été l’occasion de rappeler que ce raccourci-là ne rend pas justice à l’incroyable éclectisme du festival, qui passe vraiment de tout ce qui constitue le cinéma, des films pour enfants à l’expérimental.

La compétition de cette 63e édition était globalement solide et diversifiée. Resserrée (19 long métrages), ouverte à des filmographies pas encore balisées (Chili, Kazakhstan, Bosnie…), elle souffrait néanmoins d’un déséquilibre récurrent des festivals européens, où l’Asie, l’Afrique et l’Amérique du sud se retrouvent parfois réduits à peau de chagrin. On trouvait certes dans cette sélection plusieurs long-métrages correspondant à l’image du « film politique berlinois » : des sujets sociaux manifestes, une austérité appliquée, de la dignité affichée en étendard… et des idées de cinéma qui passent parfois après. Mais il y avait aussi heureusement des réalisateurs venus rappeler que le geste artistique n’est pas incompatible avec le discours politique (les justement primés Jafar Panahi et Calin Peter Nedzer). Il y avait aussi, tout simplement, des propositions plus purement artistiques (Hong Sang-Soo, Seidl…), il y avait même du fun assumé, si si (le Soderbergh).

Mais la Berlinale n’est de toute façon pas réductible à sa seule compétition. Les sections parallèles sont pléthore, et FilmDeCulte a pointé son nez dans chacune d’entre elles, juré ! La section Panorama a mixé les extrêmes, tant au niveau de la qualité des propositions que des genres cinématographiques abordés. Les sections Forum et Forum Expended ont proposé des œuvres hybrides et audacieuses, avec un pied dans le cinéma et l’autre dans l’art vidéo ou l’expérimentation. Très loin de toute tiédeur, c’est dans ces sélections que l’on a pu voir parmi les meilleures œuvres de cette édition 2013 : des long-métrages forts, modernes, ouverts aux nouvelles écritures. Des sujets et des idées improbables, filmées sous des formes parfois stupéfiantes. Trois révélations parmi d’autres : les confessions épurées d’une transsexuelle décomplexée de 77 ans (dans Bambi de Sébastien Lifshitz), les meilleurs moments du génocide indonésien reconstitués par les tortionnaires rigolards (The Act of Killing), ou encore une fiction lynchienne basée sur la recréation conceptuelle de toiles d’Edward Hopper (Shirley: Visions of Reality).

S’il faut chercher des récurrences parmi les œuvres présentés cette année, peut-être sont elles justement à chercher du côté de la place centrale et théorique donnée à la fiction. Plusieurs films avaient pour concept même de faire naître la dramaturgie là où on ne l’attendait pas : utiliser d’improbables reconstitutions pour mieux parler de l’horreur de la dictature dans The Act of Killing, donner vie et épaisseur à un personnage à partir du vide et du dénuement qui l’entoure dans Camille Claudel 1915, redonner tout leur pouvoir dramaturgique aux peintures d’Hopper dans Shirley: Visions of reality, reconstituer les scènes censurées du Cruising de Friedkin dans Interior. Leather bar.… D’autres longs métrages ont utilisé un double-fond fictionnel de manière moins radicale : les faux semblants DePalmiens de Side Effects, les films-dans-le-film de Closed Curtain ou les songes avortés de Nobody's Daughter Haewon… Tous ces différents cas de figure traduisent en tout cas une ambition narrative commune, rare et enthousiasmante.

Une autre récurrence fut la recrudescence de rôles féminins sortant des sentiers battus, et des incroyables performances d’actrices qui en découlent. La compétition a en effet fait la part belle aux premiers rôles féminins : Gloria, Child’s pose, Elle s’en va, Camille Claudel 1915, Nobody’s Daughter Haewon, Layla Fourie, La Religieuse, Gold, Paradis: Espoir, Vic + Flo ont vu un ours… soit plus de la moitié des films présentés ! Que des héroïnes (à qui on peut associer celles de Frances Ha ou Shirley, Visions of Reality), dont aucune ne sert de faire-valoir prétexte à son partenaire mâle. Mais l’inversion des schémas classiques ne s’arrête pas là, car ces personnages ont souvent été à contre-courant : beaucoup de femmes de 40, 50 ou 60 ans qui disent merde, très loin des clichés de mères courage ternes qui peuplent les mauvais films d’auteurs du monde entier. Des femmes indignes plutôt que des femmes trop dignes. Les héroïnes de la Berlinale 2013 en ont eu marre, se sont vengées de leurs amants au paintball, ont fait du manège bourrée, distribué les claques, aimé leur enfants de manière presque incestueuse… bref elles étaient insortables. Ce qui aurait constitué une exception bienvenue dans un seul et unique film est devenu cette année la norme. Tant mieux.

Les premiers rôles masculins étaient au contraire presque introuvables. Surtout les rôles intéressants, comme le prouve paradoxalement ce prix d’interprétation tarte-à-la-crème pour un comédien amateur bosniaque jouant son propre rôle – en l’occurrence un rôle justement très cliché de père-courage, jamais transcendé ni par le scénario ni par la performance de l’acteur. L’art de récompenser le personnage à travers son interprète est décidément une fâcheuse tendance des mauvais palmarès.

Parlons-en, du palmarès. Celui, inégal, de cette 63e édition laisse un goût doublement amer. Avec An Episode In the Life of an Iron Picker et Harmony Lessons, on était face à deux films scolaires pour le coup complètement berlinois. A travers leurs récompenses, on a eu l’impression que ce n’était pas le cinéma qui était distingué mais plutôt leur humanité, la dignité de leur sujet et de leurs personnages. C’est à la fois une vision ringarde du cinéma d’auteur (supposément plus proche de ses personnages) et une vision condescendante du cinéma tout court. Comme si les prix d’un festival de cinéma étaient des bons points devant servir d’encouragement, des prix du mérite. L’autre défaut du palmarès a été son manque d’originalité. Attribuer les prix de la singularité (Vic + Flo…, artificiellement décalé) ou de la contribution technique (Harmony Lessons est ses images belles et vides) à des films qui passent leur temps à bander les biceps vulgairement pour les réclamer, traduit comme un manque de personnalité flagrant. Le prix de la mise en scène à Prince Avalanche (dont le scénario fait le sel), et celui du scénario à Closed Curtain (pur exercice de mise en scène) semblent avoir été bizarrement intervertis, et du coup plus vraiment mérités. On regrette qu’un jury composé de membres aussi admirables que cette année n’ait pas pu trouver un point de vue commun plus fort et personnel. Le palmarès aurait pu être pire, mais il aurait difficilement pu être plus convenu ou prévisible.

Heureusement trônent au-dessus de tout cela deux prix plus qu’honnêtes. Favorite depuis le début, Paulina Garcia reçoit un prix d’interprétation féminine amplement mérité pour l’enthousiasmant Gloria, et l’Ours d’Or justement attribué à Child’s Pose se révèle être un vrai choix de cinéma tout à fait solide, qui n’est pas à ranger dans le grand placard des anciens lauréats anecdotiques et presque immédiatement tombés dans l’oubli. En effet, on devrait beaucoup reparler de ces deux long-métrages tout au long de l’année et dans la saison festivalière à venir. On parie ?

Les absents les plus flagrants de ce palmarès (mais dont l’absence était hélas elle aussi prévisible) étaient à nos yeux les long-métrages d’Hong Sang-Soo (Nobody’s Daughter Haewon), Ulrich Seidl (Paradis Espoir) et Bruno Dumont (Camille Claudel 1915). De manière assez ironique, ces trois très grands réalisateurs passent pour des habitués de festivals, comme si leurs films étaient prêts à digérer et qu’ils étaient sélectionnés uniquement sur le nom prestigieux de leur réalisateur ou de leurs acteurs. Faut-il rappeler l’évidence, à savoir que ces trois réalisateurs sont avant tout complètement marginaux ? Dumont se situe radicalement à la marge du cinéma français (la présence d’une star à son casting est une exception). Les fausses miniatures d’Hong Sang-Soo sont marginales même dans le cadre du cinéma coréen ou asiatique en général (ils ne sortent presque nulle part et n’attirent que très peu de spectateurs même chez nous). Ulrich Seidl subit toujours le même malentendu qui le ferait passer pour un misanthrope aigri. Surtout, les œuvres de ces trois réalisateurs ne ressemblent à aucune autre. Elles n’appartiennent à aucune famille évidente, n’obéissent qu’à leur propre recette, sont uniques. N’est-ce pas ce que l’on devrait demander avant tout à des œuvres d’art ? A l’inverse, on n’a pas pu se défaire de notre impression d’avoir déjà vu les films de Tanovic et Baigazin plusieurs fois (indépendamment de leur qualité). De voir en eux des variantes de films déjà vus chaque année, sélectionnés et primés dans chaque festival sous une nationalité différente mais avec toujours le même souci d’humanité. Sous leurs apparences humbles, ce sont ces plutôt films-là les vraies machines de guerre inattaquables, faites pour tourner dans tous les festivals du monde.

Pour terminer, un mot sur le cinéma allemand, habituellement à la fête ici à la Berlinale. S’agissait-il d’une petite année en la matière ? La section « Perspective du cinéma allemand » était en demi-teinte, et seuls deux long-métrages se trouvaient en compétition officielle. Ces derniers, s’ils ont divisé la rédaction, ont tout de même constitué des propositions de cinéma singulières. Mais leur originalité était discrète, n’était pas hurlée ou brandie comme un passeport. C’est d’ailleurs sans doute pour cette triste et mauvaise raison que le cinéma allemand voyage peu en dehors de ses propres frontières, contrairement aux films tièdes sortis d’un grand robinet à festivals. Allez, rien que pour rendre justice à l’un des cinémas les plus mésestimés (les meilleurs scénaristes d’Europe, ce sont eux !), on a déjà hâte d’être à la prochaine Berlinale !

L'intégralité des critiques
Le palmarès de la rédaction
Les 12 films qu'il ne fallait pas rater à la Berlinale

par Gregory Coutaut

Commentaires

Partenaires