Taxi Téhéran

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Taxi Téhéran
Taxi
Iran, 2015
De Jafar Panahi
Scénario : Jafar Panahi
Avec : Jafar Panahi
Durée : 1h22
Sortie : 15/04/2015
Note FilmDeCulte : ******
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Un taxi jaune roule dans les rues animées de Téhéran. Divers passagers y expriment leur point de vue et discutent avec le chauffeur, qui n'est autre que le réalisateur Jafar Panahi lui-même. Sa caméra placée sur le tableau de bord capture l'esprit de la société iranienne à travers des épisodes tantôt comiques, tantôt dramatiques.

AUX FRONTIERES DU REEL

En 2010, le cinéaste iranien Jafar Panahi s’est vu interdire par le gouvernement iranien de quitter le territoire et de réaliser des films. Et pourtant, en à peine cinq ans, il est parvenu à réaliser trois long métrages, qui ont tous clandestinement voyagé vers des festivals internationaux. Deux ans après Closed Curtain (qui lui avait valu le prix du meilleur scénario), le revoici à la Berlinale avec Taxi, film dont l’existence n’a été révélée qu’il y a quelques semaines. Qu’est-ce qui pousse Panahi à braver la censure et les peines de prison qu’il encourt ? Une passion folle pour le cinéma, un plaisir contagieux à retrouver « son élément » comme il le dit lui-même. Taxi semble à première vue relever du minimalisme le plus chétif : une caméra, une voiture comme décor unique, une poignée des personnages qui discutent. Et pourtant, malgré cette discrétion contrainte, le film déborde de cinéma.

Un film iranien dans une voiture ? Il y a une certaine ironie à voir Panahi utiliser à son tour le procédé fétiche de l’autre maitre iranien : Abbas Kiarostami. Les deux cinéastes ont chacun engendré une descendance (pour ne pas dire, parfois, des copies) bien distinctes, et la rencontre de ces deux familles a de quoi amuser. Et pourtant la différence saute aux yeux. A l’élégante couche de vernis théorique (parfois carrément lente) de Kiarostami, Panahi préfère une voiture remplie de vie. Installé au volant et grimé d’une casquette qui ne trompe personne, le réalisateur faussement converti embarque des inconnus, et à chaque nouveau client qui s’installe à l’arrière (qui y crie, y rit, y saigne, y meurt presque...), c’est tout un éventail de genres cinématographiques qui s’invite, avec un rythme trépidant. C’est aussi un écho de toute la filmographie de Panahi, certains passagers rappelant les personnages de ses anciens films.

Démasqué, le faux chauffeur de taxi ? Panahi n’est pas le meilleur des chauffeurs, il ignore les trajets à suivre et ne lâche presque jamais ses clients à la bonne destination, quitte à se faire insulter. Pourtant, dès les premières minutes, il est déjà reconnu par un client. Le spectateur n’est pas dupe de cette fausse reconversion, mais les clients le sont-ils ? Combien d’entre eux, et à quel degré, sont-ils conscients d’être dans un film ? Au contraire, sont-ils vraiment tous des acteurs ? Ce qui rend Taxi aussi fascinant, ce n’est pas tant cette ambigüité, qui a déjà été vue ailleurs, que le nombre incroyable de niveaux de lecture qu’elle provoque. Dans une ville sans orientation, où personne n’a l’air de trouver son chemin et où tout ressemble à une prison, Panahi montre une société qui trouve son épanouissement dans les détours. Et dans l’art. CD revendus à la sauvette, DVD piratés vendus sous le manteau... le « réalisme sordide » du cinéma iranien, régulièrement raillé par les personnages, se teinte ici joyeusement d’humour et même de mauvais esprit.

Cette cité idéale, où tout le monde s’entraide et se conduit les uns les autres, Panahi la dépeint comme une société d’artistes, où tout le monde est un réalisateur en devenir, un outil à la main (caméra, téléphone, appareil photo). Tout en jouant son propre rôle et en parlant de sa propre histoire, Panahi parvient à bâtir un mille-feuille de fictions, un fascinant jeu de miroirs entre le réel, la captation et l’histoire inventée. Riche en pistes théoriques et en même temps particulièrement divertissant (a-t-on souvent autant souri dans et devant un film iranien ?), Taxi abat des montagnes. Il abat même l’écran de cinéma, lors d’une scène mémorable à base de rose, qu’il vaut mieux garder secrète mais qui est plus forte que tous les effets 3D. Une caméra, une voiture, une poignée d’acteurs... pas besoin de plus pour signer ce qui restera comme l’un des meilleurs films de l’année.

par Gregory Coutaut

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