Saint Laurent

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Saint Laurent
France, 2014
De Bertrand Bonello
Scénario : Thomas Bidegain, Bertrand Bonello
Avec : Jérémie Renier, Léa Seydoux, Gaspard Ulliel
Durée : 2h30
Sortie : 24/09/2014
Note FilmDeCulte : ****--
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1967 - 1976: la rencontre de l'un des plus grands couturiers de tous les temps avec une décennie libre. Aucun des deux n’en sortira intact.

SO SEXY LE SPLEEN

Il y a souvent dans les films de Bonello une scène de transe, une scène où le récit s’arrête et le protagoniste choisit de perdre le contrôle en s’oubliant dans un vertige qui prend souvent la forme d’une danse (la scène de boîte du Pornographe, la scène de forêt dans De la guerre…). Saint Laurent ne montre pas l’intégralité de l’existence du couturier, mais la vie de ce dernier, telle qu’elle est vue par Bonello, ressemble à une longue transe presque ininterrompue. Un va-et-vient magnétique entre le besoin de contrôle et le besoin de se perdre. Le réalisateur assume d’ailleurs son approche biaisée : « Le film ne montre pas comment Saint Laurent est devenu Saint Laurent, mais ce qu’il lui en coûte d’être Saint Laurent ». Le biopic classique existant déjà, la voie était libre pour une forme artistique des plus décomplexées de la part d’un des metteurs sen scène français les plus singuliers et ambitieux.

C’est donc presque une surprise que de devoir assister dans un premier temps à ce qui ressemble… à un biopic classique. Le film nous épargne certes les premières années du créateur, mais pas certaines figures imposées du genre qu’on espérait pourtant voir abandonnées à des réalisateurs moins inspirés, tel ce montage rapide d’images d’archive sur les événement politiques majeurs de l’époque. La scène est certes amère, car elle montre également en split-screen différentes robes de différente collection, montrant ainsi que pendant que le monde tourne et évolue, la mode tourne en circuit-fermé coupée du monde, mais elle ne surprend pas. Elle donne presque à penser que le biopic demeure un genre incapable de se passer de certains tics narratifs. Dans cette première partie, longue et convenue, il faut également se farcir une vision de l’homosexualité qui, si elle est peut-être fidèle à celle qu’ont vécu les protagonistes, se vautre plus d’une fois dans le cliché cinématographique. Celui d’un spleen de dandy, à la fois décadent et élégant, où l’on partouze en écoutant la Callas, où l’on déclame des poèmes entre deux séances de sadomasochisme. Bonello ne cherche pas à rendre ses personnages attachants (Pierre Bergé en prend d’ailleurs pour son grade), et c’est une audace qui se retourne un temps contre le film, dont le protagoniste prend régulièrement les traits d’une diva capricieuse et pénible.

Mais si le scénario possède ses défauts, la mise en scène frappe d’emblée par une ambition picturale sans pareille dans le cinéma français. Plus que les robes ou les mannequins, ce sont les lumières, les filtres et les couleurs qui créent un prisme d’une très grande beauté. Une esthétique qui dépasse le papier glacé pour rappeler le kaléidoscope vénéneux de L’Apollonide. Il faut pourtant attendre patiemment la seconde moitié de Saint Laurent pour que celui-ci décolle enfin réellement vers les sommets espérés. En une scène de rêve transitoire, le film bascule du factuel à l’onirique et retrouve les méandres hypnotisant de L’Apollonide. Ce n’est pas en vain que le film cite Duras et Proust. La chronologie jusqu’ici respectée vole enfin en éclat à coup de flash-backs et flash-forward, amalgamant cauchemars, souvenirs et réalité dans un fascinant tourbillon. On zappe enfin la galerie de personnages secondaires et scènes d’atelier obligatoires pour commencer un second film, celui tant espéré depuis le début, fou et libre. Un film qui dresse le portrait intérieur d’un homme dont on ne sait même plus s’il est mort ou vivant mais qui garde son captivant mystère. Bonello se permet des décrochages culottés en changeant d’interprète en cours de route, ou en opérant un retour brutal au monde réel (tellement dingo et inattendu qu’il ressemble à un bond dans le futur), et qui fait prendre conscience avec émotion du voyage cinématographique parcouru.

par Gregory Coutaut

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