Rapaces

France, 2025
De Peter Dourountzis
Scénario : Peter Dourountzis
Avec : Sami Bouajila, Jean-Pierre Darroussin, Valerie Donzelli
Durée : 1h44
Sortie : 02/07/2025






Samuel, journaliste, et Ava, sa fille et stagiaire, couvrent pour leur magazine le meurtre d’une jeune fille attaquée à l’acide. Frappé par la brutalité de ce meurtre, ainsi que par l’intérêt de sa fille pour l’affaire, Samuel décide de mener une enquête indépendante, à l’insu de sa rédaction, et découvre des similitudes troublantes avec le meurtre d’une autre femme…
ALL THE PREDATORS : MEN
Il y a cette citation de David Fincher, que Première avait mis en exergue dans une de leurs interviews, "le métier de réalisateur est de rendre crédible une réalité complètement fabriquée" et l'on ne pourrait lire dans cette sentence que ses applications les plus concrètes, en terme de fond et de forme, d'écriture et de mise en scène mais la tâche du cinéaste ne tient pas tant à une qualité visuelle qu'à un véritable numéro d'équilibriste pour ne pas dire de parfumeur, à doser avec justesse les ingrédients. Et c'est ce qui percute presque d'entrée devant ce deuxième long de Peter Dourountzis, un incroyable bond vers une autre dimension vis-à-vis du déjà surprenant Vaurien, qui flirte certes encore avec le réel mais s'inscrit également dans le genre, ou plutôt s'y glisse-t-il. De son prégénérique qui dit déjà tout de la filouterie de ces "rapaces" sur un ton jovial au générique enjoué avec sa typo de série B, voire de roman de gare, sur fond d'images d'une revue considérée comme ordurière, jusqu'à la présentation succincte des différents journalistes (superbe gros plan sur les yeux de Stefan Crepon) pour laquelle la musique créé un liant et nous prend par la main, on a déjà évolué d'une tonalité vers une autre, arrivant dans cette salle d'audience où l'horreur dans ce qu'elle a de plus inconsciente de soi est tout de même ponctuée d'un pouffage de la part de celui qui croque le portrait du témoin. "Si les temps ont changé, vous faites exception" lâche le juge à l'accusé, énonçant en un sens ce que va découvrir plus tard notre protagoniste.
Avant que son monde à lui ne change, le film nous le donne à voir dans une première moitié engageante, réussissant son portrait d'un métier, où le sordide fait partie du quotidien, et peut se prendre à la légère, sans état d'âme moral quant aux méthodes employées. C'est jamais une comédie, jamais satirique ni cynique, c'est réel. La bonhommie d'un macteur comme Jean-Pierre Darroussin, notamment dans ses épisodes d'enquête un peu lose, assoit instantanément la chose avec authenticité. Tout comme des scènes comme celle dans le bar où l'équipe discute ensemble d'une affaire, sorte de havre de paix chaleureux au milieu d'un monde froid. Formellement aussi, la façon de passer d'un univers à l'autre se fait de façon organique, des cadres renvoyant à A cause d'un assassinat pour caractériser Le Journalisme au début, avec de grosses lignes qui fendent l'image (comme la contre-plongée sur Crepon et Gilles Cohen avec ce plafond réfléchissant les quidams qui marchent ou la vue du ciel sur la terrasse de café avec ses rangées de sièges) jusque dans cette discussion dans le bar à la Seven.
Le film adopte un rythme assuré, osant les micro-longueurs pour illustrer l'attente et le piétinement, avant que l'étau ne se resserre. Il y a quelque chose d'atypique dans ce récit qui est une enquête mais ne cultive pas son mystère. Le fait est tellement divers que ça va pas devenir "mais qui a tué Laura Palmer?", le journaliste a déjà son idée, il trempe un peu plus loin les pieds et, par une coïncidence lourde de sens, quand sa fille le rejoint, les rapaces, les autres, s'abattent sur eux. Tout le dernier tiers, constitué notamment de cette séquence prolongée dans le restaurant, est remarquable. La mise en place est habile, les enjeux sont clairs et donc la tension devient palpable. Soudain, this shit just got real. Sam n'est plus simplement un fouille-merde, il est dans la merde. L'enquêteur est devenu acteur. On est vraiment devant un beau morceau de cinéma, le genre de scène pour laquelle on peut faire tout un film, juste pour la tourner, juste pour celle-là. Elle est étirée juste ce qu'il faut et culmine avec un effet de style parfait. Dourountzis évoque son propos sans jamais être didactique comme La Nuit du 12. C'est un témoignage d'Ava qui devient un article de son père et qui prend finalement forme sur le terrain. Le coup de la CB, également, présente une métaphore géniale : un objet du passé principalement utilisé par des hommes, pour se parler, en cachette, pour se rancarder, comme autant de vautours échangeant dans leur langage. Ils utilisent toujours leurs vieilles CB et restent des prédateurs. Le monde a changé mais ils font exception.