Phantom Thread

Phantom Thread
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Phantom Thread
États-Unis, 2017
De Paul Thomas Anderson
Avec : Daniel Day-Lewis
Durée : 2h10
Sortie : 14/02/2018
Note FilmDeCulte : *****-
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Dans le Londres des années 50, juste après la guerre, le couturier de renom Reynolds Woodcock et sa soeur Cyril règnent sur le monde de la mode anglaise. Ils habillent aussi bien les familles royales que les stars de cinéma, les riches héritières ou le gratin de la haute société avec le style inimitable de la maison Woodcock. Les femmes vont et viennent dans la vie de ce célibataire aussi célèbre qu’endurci, lui servant à la fois de muses et de compagnes jusqu’au jour où la jeune et très déterminée Alma ne les supplante toutes pour y prendre une place centrale. Mais cet amour va bouleverser une routine jusque-là ordonnée et organisée au millimètre près.

LES MYSTÈRES DE L'AMOUR

Phantom Thread commence par un récit au coin du feu. Alma, le visage seulement éclairé par les flammes de la cheminée, entreprend de raconter à un auditeur l'histoire du grand amour sa vie : sa relation avec le grand couturier Reynolds Woodcock. Presque chuchoté dans une quasi-obscurité, ce récit est ainsi placé sous un double auspice: c'est autant l'histoire d'un amour épique et légendaire qu'un conte rempli d'ogres menaçant. Phantom Thread n'est pas un film de science fiction, et pourtant le film raconte une histoire complètement saugrenue : comment deux femmes fortes, avec en apparence la tête bien vissée sur les épaules, vont dédier leur vie à aimer et aider un incroyable connard, un égocentrique capricieux, génie pathétique et vieux beau à la fois. Alors qu'elles ne sont ni dupes ni victimes, le mystère de leur dévouement reste entier, mis en scène avec une élégance folle ; celui-ci est aussi fascinant à observer qu'une étrange galaxie lointaine.

Phantom Thread est un film qui charme l’œil (c'est peu de le dire) et sait y faire pour nous éblouir, mais c'est aussi un film plein de trompe-l’œil. Ce n'est pas un vrai/faux biopic de son héros, et c'est encore moins un film sur la mode. Si le début du film appartient à Woodcock, son panache de bellâtre s’évente peu à peu. Une fois dissipé l'écran de fumée de son éducation, il devient l'anti-héros d'un récit dont les deux personnages les plus complexes et fascinants sont les femmes qui l'entourent: sa compagne Alma et sa sœur Cyril. Celles-là même que, alors qu'il les aime sincèrement, il voudrait pouvoir tenir à distance. Lesley Manville est parfaite et glaçante dans un rôle à la Bette Davis, tandis que Vicky Krieps se tire avec les honneurs d'un personnage vraiment pas évident. Sous des apparences de film de mec, Phantom Thread est en réalité un film de femmes.

Il est souvent difficile (et tant mieux) de résumer en quelques mots quels sont les sujets des films de Paul Thomas Anderson. Cette impression à la fois frustrante et fascinante est la même ici. Par moment, le film semble être d'un grand classicisme, et prend un peu son temps, mais revient régulièrement une étrangeté légèrement menaçante, le feeling que les vrais enjeux sont ailleurs que dans ses apparences bourgeoises. Il y a quelque chose de retors dans cette volonté de bâtir un film émouvant autour de trois personnages aussi peu aimables de prime abord. Mais il y a surtout une très grande cruauté qui se dessine en filigrane. Et il y a des détails étonnant, comme ce curieux raccord entre deux plans, entre lesquels s'intercale un fond noir devant lequel tombe de la neige au ralenti. Le clin d’œil est peut-être involontaire, mais cela crée un écho avec un film d'Alain Resnais dont c'était précisément le gimmick de mise en scène : L'amour à mort.

Le film révèle sa noirceur frappante lors d'une scène de mariage. Pas celui de Reynolds et Alma, justement. Ceux-ci sont les invités récalcitrant d'une cérémonie qu'ils toisent de haut. Il y a alors comme une inversion des rôles entre eux deux. Ou plutôt, c'est comme si l'admiration mutuelle se transformait en un mimétisme malsain. Les dévouements affectifs (auprès d'un frère, d'un malade, d'un amant) deviennent alors névrotiques, et cachent mal des égos qui se mangent la queue tels des serpents. Les personnages de Phantom Thread sont comme des Sisyphe, prisonniers fous de leur besoin de contrôle, de reconnaissance, au point de croire qu'ils peuvent être heureux.

par Gregory Coutaut

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