Pacific Rim

Pacific Rim
Envoyer à un ami Imprimer la page Accéder au forum Notez ce film
Pacific Rim
États-Unis, 2013
De Guillermo Del Toro
Scénario : Travis Beacham, Marcus Dunstan, Patrick Melton
Avec : Idris Elba, Charlie Hunnam, Rinko Kikuchi
Photo : Guillermo Navarro
Musique : Ramin Djawadi
Durée : 2h11
Sortie : 17/07/2013
Note FilmDeCulte : ******
  • Pacific Rim
  • Pacific Rim
  • Pacific Rim
  • Pacific Rim
  • Pacific Rim
  • Pacific Rim
  • Pacific Rim
  • Pacific Rim
  • Pacific Rim
  • Pacific Rim
  • Pacific Rim

Surgies des flots, des hordes de créatures monstrueuses venues d’ailleurs, les «Kaiju», ont déclenché une guerre qui a fait des millions de victimes et épuisé les ressources naturelles de l’humanité pendant des années. Pour les combattre, une arme d’un genre nouveau a été mise au point : de gigantesques robots, les «Jaegers», contrôlés simultanément par deux pilotes qui communiquent par télépathie grâce à une passerelle neuronale baptisée le «courant». Mais même les Jaegers semblent impuissants face aux redoutables Kaiju. Alors que la défaite paraît inéluctable, les forces armées qui protègent l’humanité n’ont d’autre choix que d’avoir recours à deux héros hors normes : un ancien pilote au bout du rouleau (Charlie Hunnam) et une jeune femme en cours d’entraînement (Rinko Kikuchi) qui font équipe pour manoeuvrer un Jaeger d’apparence obsolète. Ensemble, ils incarnent désormais le dernier rempart de l’humanité contre une apocalypse de plus en plus imminente…

L'ENFANT ET LE MONSTRE

Il y a un moment, durant l'incroyable déluge de détails et de qualités qui compose l'introduction du long métrage, où l'on sent fatalement que ce film sort tout droit d'une séance de jeu d'un enfant ayant dans chaque main un jouet d'un genre différent - comme par exemple un dinosaure et un robot, autrement dit deux adversaires n'ayant pas été conçus à la même échelle - les faisant se battre. Le Jaeger ("Chasseur" en allemand, et nom donné au mechas du film) reproduit les gestes du petit pilote dans son cockpit, qui lui agit avec des engins analogues à sa taille, et pendant une fraction de seconde le pilote devient cet enfant, portant le jouet dans sa main, tandis que dans son imagination se livre un combat de titans. A cet instant, le spectateur est pris malgré lui d'une réaction typique de petit garçon, dans toute son innocente spontanéité. Comme on a pu le dire des centaines de fois en sortant du moindre film vu au cinéma avant nos 10 ans, on pense : "c'est un de mes films préférés". Pacific Rim est en quelque sorte, et entre autres choses, une ode à l'imagination infantile. D'ailleurs, dans le comic book qui sert de préquelle au film, signé de la main même de son scénariste, Travis Beacham, l'idée du programme Jaeger vient à l'esprit de son créateur lorsque celui-ci voit son fils se faire battre deux figurines. Outre l'hommage à tout un pan de la culture japonaise, du kaiju ega (le film de "monstre étrange") aux mechas, c'est la vision d'un enfant qui se déroule sous nos yeux. Mais d'un enfant doté d'une maestria comme personne. Rares sont les cinéastes qui parviennent à partager leur enthousiasme de manière aussi communicative, contagieuse même. Pacific Rim est le genre de film où l'on se tortille de jubilation sur son siège face au spectacle qu'il nous est donné de voir. Là où l'on craignait depuis le début que le film se limite à son pitch, Guillermo del Toro et Beacham ont davantage de choses à proposer qui permettent de transcender quelque peu le simple film de "méchas géants contre des monstres géants". L'approche reste, comme susmentionné, la vision d'un enfant, et Del Toro assume totalement en interview la relative simplicité de la trame et du message du film, mais cela n'empêche en aucun cas l'ouvrage de faire preuve d'une véritable richesse, dans le fond comme dans la forme.

L'HOMME-ROUAGE

Après avoir eu l'idée du face à face à échelle gigantesque, Beacham avoue n'avoir trouvé l'histoire qu'il souhaitait raconter qu'en accouchant du concept du "Drift". L'idée, c'est que le pilotage d'un Jaeger nécessite deux pilotes unis par un lien neural qui leur fait partager les souvenirs, les pensées, l'esprit de l'autre. Une symbiose indispensable pour pouvoir donner vie au Jaeger. Et c'est effectivement là que réside tout le cœur du film. Les deux personnages principaux ont chacun un trauma qui fait d'eux des moitiés d'être qui vont apprendre à surmonter la tragédie et à revivre en trouvant un écho et une complémentarité l'un chez l'autre, unis en un esprit au sein d'un même corps (mécanique). L’œuvre de Del Toro est peuplée d'hommes (ou de lieux) coincés dans le temps, et ceux-ci nécessitent souvent une mécanique pour survivre (le vieil homme vampirisé par l'engin de Cronos, l'orphelinat de L’Échine du Diable avec sa bombe de Damoclès qui tique encore, Kroenen le non-mort qu'on remonte comme une montre dans Hellboy, le Capitaine Vidal qui vit au rythme de la montre de son père qu'il répare constamment dans Le Labyrinthe de Pan). Dans Pacific Rim, c'est de cette manière que les Jaeger - du moins le principal, Gipsy Danger - s'en retrouve incarné : c'est l'ultime homme-rouage de Del Toro. Le rouage qui va permettre à ses héros de se décoincer du temps, d'échapper à leur passé. De manière plus générale, le film traite au travers de presque tous ses protagonistes, même les sidekicks comiques, de cette empathie à avoir envers autrui, de ce besoin d’œuvrer ensemble, pour vaincre, comme entre les orphelins belliqueux de L’Échine du Diable ou l'équipe de Blade II et celle de Hellboy. Quand on lui cite la réplique déjà culte d'Idris Elba ("Aujourd'hui, on annule l'Apocalypse!"), Beacham dit avoir voulu faire un film en réponse au sentiment actuel de résignation envers "la Fin des Temps". Terrorisme, crises financières, désastres naturels... avec les Kaiju, et surtout avec les Jaeger, Beacham crée un adversaire qu'il est possible de combattre. En interview, et au sein même du film, Beacham et Del Toro ne cessent de faire l'analogie entre les Kaiju, que Del Toro décrit comme des "forces de la nature", et les ouragans, qui sont "ni bons ni mauvais" selon le réalisateur, défendant par là ses monstres qu'il aime tant. Quand on sait que le genre du kaiju ega est né, avec Godzilla, du besoin des japonais d'exorciser le trauma de la Seconde Guerre Mondiale et de la bombe atomique, on peut voir dans Pacific Rim un écho de ces origines. Non seulement la notion de trauma à guérir parcourt le film, mais ce message d'espoir, cet optimisme face à l'adversité et à la catastrophe, et à ces Kaiju que l'on catégorise de 1 à 5, comme les ouragans, fait de Pacific Rim un film post-Katrina. Après tout, Cloverfield avait déjà updaté et américanisé le kaiju ega au travers du spectre du 11 septembre, avec son dispositif de found footage. Tout ce soin dans la diégèse et l'exégèse sur les ouragans, le fait d'avoir choisi des régions côtières comme seuls territoires à être touchés, laisse penser que ce n'est pas innocent, même si c'est peut-être en partie inconscient, inhérent au genre.

LE LABYRINTHE MATRICIEL

Toutefois, si cette couche sous-textuelle supplémentaire apporte une valeur ajoutée à l’œuvre, la réussite du film repose ailleurs. La résonance réelle que ce niveau de lecture apporte ne fait que s'ajouter au réalisme que le film acquiert autrement, par la narration. La fameuse introduction évoquée plus haut nous propulse dans le monde de Pacific Rim par un rapide montage des faits qui précèdent l'histoire du film - l'arrivée des Kaiju, la création des Jaeger - fait de money shots, d'images de journaux télévisés et autres vignettes. Une ouverture qui n'est pas sans rappeler l'excellente entrée en matière du Règne du feu. Nous ne trouvons pas ici dans une ère post-apocalyptique, mais juste avant l'apocalypse. En dépit de la présence de monstres qui détruisent des villes, et malgré la multitude de personnages et leurs origines ethniques variées, et même si le récit se divise deux trames, l'une suivant les "soldats" et l'autre les scientifiques, on n'est pas tant dans le film-catastrophe que dans le film de guerre. Et dans tous ces films de pilotes de la Seconde Guerre Mondiale, cette dernière est déjà bien entamée lorsque le film commence. Inutile d'en raconter l'origin story. A elle seule, ce parti-pris assoit d'emblée le film dans une réalité acquise pour le spectateur. Mais Pacific Rim ne s'arrête pas là et Del Toro truffe le film d'éléments qui nous font tout de suite croire à ce monde. Cela va du détail (comme un plan sur les pattes du premier Kaiju en train de nager, aperçu d'un acte "anodin" qui ancre directement la créature dans le réel) à la vue d'ensemble (le film aurait pu se limiter à la guerre et ne pas s'embarrasser de l'intrigue scientifique, et surtout des "annexes", comme le trafic d'organes de Kaiju) et le tout participe à la création d'un véritable univers non seulement original mais qui paraît d'autant plus "vivant". En un mot, on a l'impression que le décor, que le monde continue au-delà du cadre. A l'instar d'autres grandes réussites récentes à ne pas être basées sur des licences existantes, tel que Matrix, Avatar ou Inception, Pacific Rim est un bijou de world building. Le genre de film qui donne envie de dévorer l'artbook et de lire tout spin-off possible. Les références sont légion, de Tetsujin-28 à Goya. Il n'y a pas deux robots identiques, pas deux armures similaires. On se régale du look cartoonesque des russes (un duo qui rappelle Verlaine et Lighthammer de Blade II), de la coiffure de Clifton Collins, tout droit sortie d'un manga, du swag de Ron Perlman, dont le personnage est baptisé Hannibal Chau, un nom aussi truculent que tous les autres, comme Stacker Pentecost, Tendo Choi ou Herc Hansen. Et ça, ce ne sont que les humains. On retrouve également tous les motifs et leitmotivs récurrents de la filmographie de l'auteur : insectes, vestiges dans des bocaux au liquide ambré, dissections dégueulasses, tentacules lovecraftiennes, apparition de Santiago Segura... Voir Pacific Rim, c'est un peu comme partager le "Drift" avec Guillermo del Toro : une connexion directe avec son cerveau.

L'ART DU DESSIN

Le fait que l'on puisse écrire près de 1500 mots sur le film sans parler une seule fois des scènes d'action devrait suffire à prouver en quoi ce film dépasse son argument de vente. Mais on ne va pas se mentir, c'est en grande partie ce qui nous a tous attirés dans la salle, et à ce niveau également, le film ne déçoit pas. On pourra toujours regretter qu'il n'y ait pas un seul combat de jour, et, oui, c'est souvent dans l'eau et/ou sous la pluie. Néanmoins, l'action n'est jamais illisible. Il y a peut-être trois ou quatre plans confus dans tout le film, et ce même en 3D. En théorie, l’œil met à chaque plan quelques secondes pour se réajuster au relief mais en réalité, la spatialisation qu'offre la 3D à l'action semble parfois rendre les choses plus claires. Il s'agit facilement de la meilleure (conversion) 3D vue dans un blockbuster cet été. Plusieurs plans exploitent à merveille le relief. Les combats sont d'un jouissif comme on a rarement vu. Comme on n'a JAMAIS vu. Le proto-Kaiju qu'était l'Elemental et la Golden Army de Hellboy II n'étaient qu'une mise en bouche, on retrouve ici comme dans Blade II un peu de japanime mais surtout beaucoup de lucha libre. Il y a quelque chose de vraiment exutoire dans les affrontements, où ça se casse allègrement en mille morceaux, où ça se sert du moindre bout de décor comme arme. Ces trois grosses séquences, c'est cadeau sur cadeau. Et ça regorge de surprises qui provoquent des réactions physiques dans la salle. Tour à tour, on sautille, on sourit, on applaudit. Et Del Toro arrive même à glisser de l'humour débile au milieu de tout ça. Dans l'ensemble, l'humour fonctionne vraiment bien. On aurait pu regarder le tandem Charlie Day/Ron Perlman pendant des heures. Jamais le film ne donne l'impression de "s'arrêter" pour insérer une scène d'action. C'est presque comme s'il ne s'agissait pas de scènes d'action mais d'évolutions organiques de l'histoire. Contrairement aux Transformers, on a affaire ici à un vrai film. L'inclusion des humains est d'ailleurs grandement salutaire. C'est ce qui manque aussi aux robots de Michael Bay, et même au King Kong de Peter Jackson, pour citer un film avec des combats de la même ampleur. On n'a à aucun moment le sentiment de voir des pixels se taper contre des pixels. Dans le Jackson, à force, on réalisait que tout ça, ce n'était que des 0 et des 1. Du coup, l'action s'en trouvait légèrement désincarnée. Et l'on ne saura dire suffisamment de bien des effets spéciaux de ce film, nous faisant sentir le poids de chaque geste, et la force de chaque coup.

LA NATURE DU CONTE

La nature opératique des combats est à la hauteur de la dramaturgie du récit. Avec ces humains qui revêtissent des avatars gigantesques, qui pénètrent la conscience l'un de l'autre, Del Toro donne dans l'expressionnisme. La dramaturgie passe par l'action. Par ailleurs, il y a un flashback qui est à la fois un morceau de bravoure monstrueux mais avant tout le plus beau moment dramatique du film : réminiscence d'une orpheline face à un monstre géant, une image deltoroienne en diable. Par conséquent, il est dommage que l'écriture opte parfois pour le didactisme au lieu de montrer les choses, surtout quand les scénaristes disposent de l'outil parfait pour cela qu'est le "Drift". Il manque d'ailleurs une scène où le trauma se résoudrait durant une baston, qui rendrait le dernier combat plus fort par exemple. Si l'on devait émettre une réserve, c'est que le film est trop court. Del Toro dit avoir coupé une heure de scènes pour réduire les arcs des protagonistes à leur substantifique moelle mais une ou deux séquences en plus, entre la fin du deuxième acte et le climax, n'auraient pas été de trop pour étoffer les relations entre les personnages afin de rendre la fin plus émouvante. Un petit bémol qui empêche le film d'être un chef d’œuvre. Pour cela, Pacific Rim paraît un poil léger. Mais il n'en demeure pas moins un film comme aucun autre. Le metteur en scène paraît réutiliser des codes que l'on a pu voir dans Independence Day et Godzilla et semble avoir vu Armageddon, Pearl Harbor et Transformers en se disant qu'il allait les mélanger et faire mille fois mieux. La réalité, c'est qu'il partage les mêmes références que les films de Roland Emmerich et Michael Bay et dédie son film à ses illustres modèles, Ray Harryhausen et Ishiro Honda. Un jour, sûrement, Guillermo del Toro sera lui aussi amené à inspirer les artistes de demain, car Pacific Rim est destiné à résister à l'épreuve du temps, comme l'une de ces étranges merveilles que l'on conserve à jamais dans un bocal pour l'admirer.

par Robert Hospyan

En savoir plus

Source image

Commentaires

Partenaires