Nocturama

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Nocturama
France, 2016
De Bertrand Bonello
Scénario : Bertrand Bonello
Avec : Adèle Haenel, Finnegan Oldfield, Vincent Rottiers
Photo : Léo Hinstin
Musique : Bertrand Bonello
Durée : 2h10
Sortie : 31/08/2016
Note FilmDeCulte : *****-
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Paris, un matin. Une poignée de jeunes, de milieux différents. Chacun de leur côté, ils entament un ballet étrange dans les dédales du métro et les rues de la capitale. Ils semblent suivre un plan. Leurs gestes sont précis, presque dangereux. Ils convergent vers un même point, un Grand Magasin, au moment où il ferme ses portes. La nuit commence.

JEU D'ENFANTS

On pourrait craindre que le nouveau film de Bertrand Bonello (lire notre entretien) se fasse entièrement dévorer par son sujet, comme si les événements du 13 novembre étaient encore trop proches pour prendre le recul nécessaire afin d'y voir un travail de cinéma, plus qu'un témoignage. Nocturama est bel et bien terrifiant, mais pas uniquement à cause de la résonance dans le réel des événements qui y sont dépeints. C'est avant tout une œuvre visuelle rare, dont la mise en scène (c'est à dire la mise en image, en sons, le découpage) sidère et hypnotise à la fois. Un film certes cruel et violent, mais surtout d'une grande audace artistique.

Bonello s’intéresse moins au pourquoi (la question est d'ailleurs expédié en une seule phrase, "il fallait que ça arrive") qu'au comment. Ni film à sujet, ni film à thèse, Nocturama n'est au contraire que des faits. Mais pas dans le sens d'un réalisme banal, c'est même tout l'inverse, sous la caméra de Bonello, le quotidien devient inquiétant. Le film n'est pas seulement dépourvu d'explications trop faciles, il pousse la radicalité jusqu'à être (dans sa première moitié, du moins), dépourvu de dialogues.On y suit des personnages isolés, entamant un étrange ballet répétitif dans les rues, dans les couloirs du métro. Une chorégraphie qui va et vient, en forme de serpent qui se mort la queue. Rien que par le montage, ces déplacements anodins se transforment en quelque chose d'alarmant. Il ne passe concrètement encore rien de grave, mais la cocotte-minute se rapproche déjà de l'implosion.

Après un césure centrale, le film se transforme en son propre reflet inversé. Pas moins gonflée que la première, la seconde partie du film voit les jeunes terroristes se réfugier de nuit dans un grand magasin. Le lieu, à la fois désert en rempli de fantasmes (luxe inaccessible, illusion du tout-disponible-tout-de-suite) devient alors un cocon régressif, une scène de théâtre et une bulle hors du monde. Les personnages jusqu'ici muets prennent de l'épaisseur, deviennent humains, et l'émotion qui naît de les voir ainsi devient alors d'autant plus dérangeante. C'est là toute l'horreur du film (Nocturama peut-il être vu comme un film d'horreur? Le cinéaste élabore dans notre interview): le plus choquant ne se situe pas dans les attentats eux-même, mais dans la part d'enfance qui se révèle alors chez les protagonistes. Jeu, insouciance, peur: ce qui se dessine dans les attitudes et sur les visages de ces jeunes adultes pris à leur propre jeu, est proprement glaçant.

L'implosion citée plus-haut, on ne la verra pourtant jamais vraiment. C'est peut-être le coup de maître le plus bluffant de Bonello: arriver à rendre la violence aussi palpable sans quasiment jamais la filmer directement. Nocturama stupéfait par son utilisation du hors-champ. Les explications psychologiques, sociologiques? Hors-champ. Le seul flash-back susceptible d'y répondre tourne finalement à la transe musicale (une scène récurrente chez le cinéaste). Les scène spectaculaire d'explosions, les potentielles victimes? Hors-champ également. Nocturama ne quitte jamais sa poignée de protagonistes, et n'offre aucun autre point de vue. Avec un talent rare pour le mystère et la tension (entre le dedans et le dehors, entre l'enfance et l'âge adulte, entre le réalisme et l'abstraction), Bonello parvient à créer un climat de violence invisible et pourtant omniprésente, une violence indéniable mais dont l'origine échappe, dans un sur-place labyrinthique qui fait comme un écho à Elephant de Gus Van Sant. Et comme dans ce dernier, l'horreur n'empêche pas l'émotion. Derrière le cauchemar, c'est le cœur d'une utopie adolescente amère qui s’éteint.

par Gregory Coutaut

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