Millennium Actress

Millennium Actress
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Millennium Actress
Sennen Joyu
Japon, 2001
De Satoshi Kon
Scénario : Satoshi Kon, Sadayuki Murai
Avec : Ahn Sang-Hoon
Durée : 1h27
Sortie : 01/01/2001
Note FilmDeCulte : *****-

Après une longue quête, deux journalistes vont interviewer Chiyoko Fujiwara, une ancienne star du cinéma japonais qui s’est retirée du métier depuis des années. Ils vont revivre à ses côtés les reliefs de sa vie mouvementée au rythme des tournages.

MON IDOLE

Durant son âge d’or, le cinéma japonais a fétichisé ses actrices comme Hollywood a glorifié ses comédiennes en voie de déification de l’autre côté de la planète. Parfois idoles quasi-exclusives (à l’image de Kinuyo Tanaka, effigie de Kenji Mizoguchi, ou Hideko Takamine, talisman de Mikio Naruse), ou simplement stars se répandant d’un bout à l’autre du pays, comme Machiko Kyo. Millennium Actress est un hommage direct à ces femmes dont les personnalités sont restées nimbées de mystère, comme enveloppées d’un voile surnaturel. Chiyoko Fujiwara, l’actrice du millénaire selon Satoshi Kon, a beau être fictive, elle n’en est pas moins la fille conjuguée, le témoin de trésors passés. Comme pour Perfect Blue, l’auteur et réalisateur japonais adopte un dispositif narratif collant au plus près des perceptions de son personnage principal. Après les labyrinthes schizophrènes d’une pop star perdant la raison, voici la traversée non linéaire du musée du cinéma de Miss Fujiwara, où la porte d’un univers ouvre immanquablement sur un décor radicalement opposé à celui peint de l’autre côté de la cloison. Encore une fois chez Kon ce désir de troubler traces réelles et paysages mentaux afin de s’embarquer au mieux, accroché à l’épaule de sa narratrice.

DE O’HARU AUX PLUIES NOIRES

Le cinéma de Satoshi Kon est vif, parfois trop. Les réveils en rafales de Mima ou l’évocation de décennies réduites en une heure par Chiyoko se rejoignent dans une même idée de course vers l’infini enivrée par les alcools de l’art. Des mélodrames aux femmes opprimées tout droit sortis de la filmographie de Mizoguchi aux forêts hantées de Kurosawa auquel Kon emprunte la sorcière tisseuse du Château de l’araignée, les genres – films historiques, fantastiques, sociaux ou autres – s’enchaînent comme ils se heurtent les uns aux autres. Comme si ces longs-métrages n’étaient que climax successifs, comme si la vie elle-même n’était faite que d’une course paroxysmique après les sommets. L’énergie brute de Millennium Actress est étourdissante au point de faire partager une même fatigue lorsque l’actrice se lance à la poursuite d’un train qui ne s’arrêtera pas. Exemple type de ce désir, un long travelling à la picturalité magnifiée offre la sensation d’un chemin déroulé à nouveau sous les yeux du spectateur comme si la comédienne-narratrice, embarquée sur sa calèche, revivait les bribes de sa vie dans l’instant présent. De ce point de vue, Millennium Actress est une pure splendeur, passant d’un tableau à une autre estampe avec aisance, et surtout une même élégance formelle.

BLEU BROUILLON

Malheureusement, à trop en demander à sa monture, le char finit parfois par ralentir. Ainsi certains choix laissent cruellement à désirer. A la tête d’entre eux, l’incursion d’aspects comiques qui, s’ils sont parfois efficaces, n’ont rien à voir avec l’atmosphère et ne font que briser le rythme du film. La sous intrigue n’est, elle, pas des plus prenantes. On pourra regretter également dans une certaine mesure que l’hommage se limite à une succession de vignettes, même s’il en résulte un désir évident de magnifier la star de par quelques flashes, visant à statufier le mythe plus qu’à l’installer dans un développement qui l'humaniserait. La toile n’est donc pas d’un bleu parfait, mais respire une telle énergie et un tel amour du cinéma que le morceau, même malmené, finit par être emporté. Passerelle entre Perfect Blue, qui essuyait les plâtres, et Tokyo Godfathers, qui passe à un autre registre narratif et formel, Millennium Actress demeure une expérience assez unique, brutalisée par ses défauts, élevée par ses dons, et souvent portée par l’énergie amoureuse d’une narratrice au chemin d’exception. A moins qu’il ne s’agisse de celle d’un étrange cinéaste au look de Professeur Tournesol, obsédé par ses icônes qu’il peint et repeint jusqu’à l’éreintement.

par Nicolas Bardot

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