Les Proies

Les Proies
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Proies (Les)
Beguiled (Les)
États-Unis, 2017
De Sofia Coppola
Scénario : Sofia Coppola
Avec : Kirsten Dunst, Elle Fanning, Colin Farrell, Nicole Kidman
Photo : Philippe Le Sourd
Musique : Phoenix
Durée : 1h33
Sortie : 23/08/2017
Note FilmDeCulte : *****-
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En pleine guerre de Sécession, dans le Sud profond, les pensionnaires d'un internat de jeunes filles recueillent un soldat blessé du camp adverse. Alors qu'elles lui offrent refuge et pansent ses plaies, l'atmosphère se charge de tensions sexuelles et de dangereuses rivalités éclatent. Jusqu'à ce que des événements inattendus ne fassent voler en éclats interdits et tabous.

CONFESSIONS D'UN GANG DE FILLES

L'annonce d'une nouvelle adaptation des Proies par Sofia Coppola a pu surprendre. Même peuplée de personnages féminins, la formidable version originale de Don Siegel avec Clint Eastwood avait quelque chose de très viril qui tranchait avec l'univers éthéré de la réalisatrice de Virgin Suicides et de Marie-Antoinette. Mais ces Proies sont davantage une nouvelle adaptation du roman de Thomas P.Cullinan. Celui-ci est quasi-entièrement raconté d'un point de vue féminin ; et à chaque chapitre correspond son témoignage d'une des héroïnes. Là où la version Siegel était malgré tout un film de Clint Eastwood, Coppola s'attache davantage à ses Southern Ladies. Et lorsque Don Siegel offre des images de combats sur le front, de tirs et d'explosions, on remarque immédiatement, dès les premiers plans de ce nouveau film, que la guerre et ses affrontements virils ne sont qu'une mélopée lointaine : la caméra se concentre sur les filles tandis qu'au loin on entend les détonations des bombes.

Les Proies version Coppola est une parfaite adaptation du roman parce qu'il parvient à être à la fois fidèle à son esprit tout en le trahissant. Le livre est un pavé – il est probablement trop long – avec une multitude de voix. Coppola, également scénariste, élague au maximum et du roman-fleuve originel il ne reste qu'un film de 93 minutes. C'est une habitude qu'on a un peu perdue à une époque où on sent l'obligation un peu étrange de faire des films de 2 heures explorant chaque arc et répondant à toutes les questions – mais la concision n'est pas synonyme de superficialité. Le film s'appuie sur des archétypes assez facilement identifiables et ses choix de castings particulièrement judicieux nourrissent l'imaginaire véhiculé par les personnages : Nicole Kidman dans une nouvelle variante de son rôle-signature de mère-sorcière, Kirsten Dunst dont une large partie de la filmo est placée sous le soleil noir de la mélancolie, ou encore Elle Fanning en herbe folle et jeune pousse dévorante qui semble se préparer à passer les auditions de The Neon Demon.

Ces filles, parlons-en. Il y a toujours eu chez Sofia Coppola une façon à part de traiter de la féminité. Le féminisme chez Sofia Coppola n'est pas un féminisme de t-shirt ou de slogans, plutôt une façon de donner à voir des féminités alternatives et hors des idées (masculines) toutes faites. A cet égard, Virgin Suicides sonne presque comme un manifeste : les jeunes filles vues par les garçons sont des déesses irréelles – en réalité, ce sont juste des ados qui ont envie de se foutre en l'air. Les héroïnes de Coppola sont féministes non pas parce qu'il s'agirait de femmes fortes qui se battent dans un monde d'hommes, mais parce que ce sont des femmes qui prennent la liberté de ne pas se conformer à ce qu'on attend d'elles. Marie-Antoinette fait des fêtes au Ruinart, mange des macarons et danse dans ses Converse jusqu'à en perdre la tête. Les ados de The Bling Ring se pâment davantage pour Paris Hilton que pour Susan Sontag et font de leur superficialité une couronne. « Nous sommes des filles », ânonnent les protagonistes des Proies lors d'une leçon de français. Des filles qui font ce que l'époque exige, affirme t-on plus tard. Le film illustre de façon perverse ce propos (des filles sexuellement réprimées, dans une période ultra-violente, deviennent naturellement folles) tout en le détournant : là encore, ces filles de Coppola ne feront pas ce qu'on attend d'elles.

Et pourtant le film s'ouvre par une typo rose et ronde au générique, comme sur la première page d'un journal intime. Mais on entre très vite dans cette vieille bâtisse hantée, la lenteur du sud est vénéneuse, les filles sont parfois filmées comme des fantômes errant dans ce no man's land où la réalité n'est plus observée qu'à la longue vue. C'est l'une des bonnes surprises de ces Proies : avec The Bling Ring, Coppola avait ouvert la porte à plus d'humour dans ce portrait d'une jeunesse atypique et elle confirme ici. En boutade, lors d'une interview, la réalisatrice a dit avoir fait ce film entre autres pour ses potes gays. A voir le film, ce n'est pas tant pour sa charge érotique finalement assez discrète que pour sa façon d'investir un genre parfaitement queer : le Grande-Dame Guignol. De Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? à La Meurtrière diabolique en passant par Chut... chut, chère Charlotte, ces films mixaient horreur gothique, comédie noire et sens du grotesque autour d'héroïnes over the top si possible du sud.

Il y a assurément quelque chose de camp dans ces Proies : la recréation d'une relation Mlle Mangin/Amelia de Princesse Sarah entre Miss Martha raide comme un balais (Kidman) et Edwina shootée aux anxiolytiques (Dunst), l'ennui mortel jusqu'au malaise drolatique de ces filles qui, même quand elles chantent, parlent « d'années qui passent inexorablement », qui bêchent et s'emmerdent ostensiblement à crever (et on imagine très bien le personnage de Fanning rejoindre le Bling Ring un siècle et demi plus tard), l'empressement comique avec lequel on ressort toutes les parures de gala pour plaire à l'homme de la maison (même lorsqu'on n'a pas du tout l'âge pour)... tout cela dans un film où la méchanceté peut tout à fait venir de mignonnes poupées joufflues. Les Proies évite pourtant le côté totalement en roue-libre du genre. L'image est à la fois très belle mais sans coquetterie gratuite, la musique est quasi-intégralement absente et le film n'use pas d'artifices faciles. C'est ce dont on a souvent accusé Coppola (comme de mille autres choses), et il est très réjouissant de la voir poursuivre sa filmographie hors des conventions (masculines comme féminines) dans un registre ici à nouveau différent.

par Nicolas Bardot

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