Child's Play, la poupée du mal

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Child's Play, la poupée du mal
Child's Play
États-Unis, 2019
De Lars Klevberg
Scénario : Tyler Burton Smith
Avec : Mark Hamill, Aubrey Plaza, Bryan Tyree Henry
Photo : Brendan Uegama
Musique : Bear McCreary
Durée : 1h32
Sortie : 19/06/2019
Note FilmDeCulte : **----
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Andy Barclay déménage avec sa mère célibataire, Karen, dans un nouvel appartement. La surdité d'Andy l'empêchant de se sociabiliser convenablement, elle décide donc de lui offrir un Buddi, une poupée connectable à tous les équipements de la maison et capable d'interagir oralement avec son propriétaire. Toutefois, la poupée d'Andy laisse paraître de jour en jour des signes menaçants et potentiellement dangereux...

IMITATION GAME

Difficile de ne pas relever une certaine cohérence thématique dans la célèbre saga Chucky. Initiée en 1988 par Tom Holland – aucun lien, fils unique – et surtout Don Mancini, la saga s'est toujours ironiquement opposée aux productions Amblin créées en parallèle. Il est ardu de ne pas voir à l'origine en cette famille monoparentale (une mère célibataire et son jeune fils) troublée par la venue d'un événement surnaturel dont ils sont les seuls témoins de sa présence, une déviation d'un certain film réalisé par Steven Spielberg et sorti en 1982. Assumant dès lors son côté « poil-à-gratter » des grosses cylindrées hollywoodiennes grand public, Jeu d'enfant reconsidérait alors l'amitié hors-normes, le passage à l'âge adulte et les retrouvailles de liens familiaux, dont le désunion s'intègre par le doute rationnel et la réunion par la violence sourde.

Traumatisme étiré sur trente ans par l'infatigable Don Mancini jusqu'au très contestable Cult en 2017, la poupée de sang avait effrayé une bonne poignée d'enfants encore attachés à la douceur de leurs ours en peluche, avec son intrigue de tueur en série qui introduit son âme dans une figurine Good Guy. Deux ans après le dernier volet, c'est sans Mancini que Orion, studio détenteur des droits du premier chapitre de l'heptalogie, décide de rassembler les différentes composantes de Chucky dans un récit flambant neuf, entièrement détaché des précédents arcs narratifs et centré cette fois-ci sur les nouvelles technologies et le rapport au libre-arbitre. Et si le résultat final a beau être intéressant sous plusieurs aspects, il n'est pas suffisamment étoffé pour tenir le cap durant ses quatre-vingt-dix longues minutes.

TALL SOLDIER

Lars Klevberg, dont il s'agit seulement du deuxième film réalisé, n'hésite pas à retisser immédiatement des liens avec le film initial de Tom Holland, non pas par des références qualifiables de fan-service, mais en s'intéressant une nouvelle fois à la farce subversive en opposition au studio producteur de Jurassic Park. La convention de la famille monoparentale refait surface, complétée cette fois-ci par une bande d'enfants que Andy côtoie, qui se retrouve seule connaisseuse des agissements macabres de Chucky. La poupée, quant à elle, se voit être radicalement modifiée tant par ses origines que par son comportement. Doublée désormais par Mark Hamill, la figurine devient un objet entièrement connecté, perturbé par une programmation non-régulée qui lui permet de ne pas être enfreinte par la censure. La spirale infernale de violence n'intervient alors non pas par la connaissance préétablie de l'esprit à l'intérieur, mais par l'apprentissage et le processus d'imitation. Mimer l'humain permet alors de se sentir humain, et par la même occasion d'acquérir des connaissances et des valeurs sociales qui lui permettent une intégration complète dans la famille, puis la société.

En plus du lien direct avec les différentes intelligences artificielles qui collecteraient des données dans l'espoir d'être plus performantes et d'avoir une meilleure proximité avec l'individu qui l'utilise, cette idée d'imitation trouve son pendant « Amblinien » avec E.T, pour un geste spécifique qui permet à la figurine de contrôler différents objets, mais surtout avec le cinéma de Joe Dante, déjà rejeton de l'écurie Spielberg pour son ton anar et presque anticapitaliste. A l'instar de Gremlins, Child's Play organise l'imitation pour y construire une personnalité à son antagoniste mécanique et en comprendre son comportement jamais organique, les différents signes présentés devenant valeur automatique d'exemple pour Chucky. Joe Dante sera même ouvertement repris dans la scène de rencontre entre Andy et Chucky, cette fois-ci par la reprise telle quelle d'une idée de Small Soldiers. Ce n'est sans doute pas un hasard d'ailleurs si le final sanglant se déroule également dans un supermarché, vitrine grand public de la société de consommation où plusieurs jouets comme Chucky se retrouvent prêts à être vendus et où l'antagoniste y trouve son plus grand terrain de jeu, à la manière de Chip Hazard dans Small Soldiers qui se sert d'un immense magasin de jouets pour rassembler plusieurs militaires voués à sa cause.

KERNEL PANIC

Hélas, citer inlassablement ses illustres maîtres, même ceux dont le réalisateur norvégien se moque gentiment, ne permet pas de maintenir solide une entreprise. Passée la découverte de la première demi-heure de l'éducation autodidacte sans surmoi de Chucky et des différents liens d'amitié que tisse initialement Andy avec les autres personnages de l'histoire, le film se met à patiner sévèrement dans la redite de ses idées et dans l'abandon de beaucoup d'entre elles, jusqu'à retomber dans une mécanique usée jusqu'à la moelle du slasher. Hormis ses références qui ne servent finalement qu'à baliser le schéma narratif pour justifier pleinement les capacités et les agissements de la poupée, Child's Play s'effondre, passé son premier tiers, dans une surenchère gore dépourvue d'identité jusqu'alors cachée et empilant bêtement les assassinats sanguinolents.

Pire encore : le scénariste Tyler Burton Smith et le réalisateur ne semblent ici pas comprendre que les références qu'éparpillait Dante dans ses films étaient vecteurs d'une réflexion sur une dimension auto-référentielle stimulante du médium cinématographique, là où eux deux ne s'en servent en définitive que comme un fusil de Tchekhov au mieux amusant, au pire épuisant. Enfin, les personnages ne deviennent progressivement que de simples archétypes dont les relations sont réduites au strict minimum et jamais pleinement considérées par un film, qui se retrouve in fine beaucoup plus occupé à être créatif dans ses meurtres en lieu et place de creuser de multiples pistes que laissait pourtant évoquer à première vue le long-métrage. Énumérons pêle-mêle la promesse d'ubiquité des nouvelles technologies et leur omniprésence réduite à un simple rouage scénaristique, le rapport à l'aliénation via la surdité maladive du protagoniste à peine traitée, la question de l'ordre entre Chucky et le voisin de palier de Andy, policier et possible père de substitution, inexistante... Tous ses possibles enjeux esquissés durant l'exposition ne sont plus de possibles arcs réflexifs, mais ne deviennent que des pièces grossières d'un puzzle narratif qui permet simplement d'amener le récit d'un point A à son point B, sans aucune prise de risque.

La cohérence de Child's Play cuvée 2019 aura été d'entretenir la flamme taquine à l'encontre de nombreuses figures de proue du cinéma familial américain et leur capacité commerciale, en garantissant une fois de plus de la violence d'un élément au demeurant sympathique comme réunificateur d'une famille en constant vacillement. Mais les (trop) bonnes idées du début du film qui auraient pu s'inscrire dans l'horizon paranoïaque actuel du tout-connecté ne sert qu'à développer un bête slasher à peine sauvé par un Mark Hamill dont les vocalises à l'origine polysémiques deviennent trop monocordes pour soutirer un quelconque frisson. Il serait temps, une bonne fois pour toutes, de laisser Chucky voguer sur une rivière...

par Tanguy Bosselli

par L'Equipe FilmDeCulte

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