Bowling for Columbine

Bowling for Columbine
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Bowling for Columbine
États-Unis, 2002
De Michael Moore
Scénario : Michael Moore
Durée : 2h00
Sortie : 09/10/2002
Note FilmDeCulte : ******

L’Amérique est un pays violent dans lequel chaque individu possède une arme à feu. Tel est le constat réalisé par le documentariste Michael Moore qui explore l’étrange fascination de ses concitoyens pour ces instruments de mort.

Dans Roger et moi et The Big one Michael Moore, le Zola du troisième millénaire, s’attaquait aux grands patrons capitalistes qui licenciaient leur personnel tout en engrangeant des bénéfices considérables. Dans Bowling for Columbine, il tente de comprendre la folie américaine. Il explore la face cachée du rêve américain, cette paranoïa qui plonge des êtres désespérés, en marge de la société libérale, dans une violence aveugle et sans limite. Comment un drame comme la fusillade de Littleton peut-il arriver aux Etats-Unis, les gendarmes du monde? Pourquoi les Etats-Unis possèdent-ils le triste record de morts par armes à feu? A qui profite le crime? Michael Moore se garde bien d’apporter des réponses toutes faites. Son documentaire lance des pistes, tire une sonnette d’alarme, ose affronter la pensée unique américaine. Au-delà des faits divers sordides, des réactions disproportionnées, il analyse, dissèque, perturbe les explications à l’emporte-pièce et donne une leçon de journalisme engagé et enragé. Tout commence par un constat: les armes à feu font partie du patrimoine américain comme la voiture, le micro-ondes ou la machine à laver. En deux séquences truculentes dès le début du film, il s’achète tranquillement une carabine à la banque en guise de cadeau pour l’ouverture d’un compte, puis des munitions chez son coiffeur. Il part à la rencontre de la milice du Michigan, une milice de gens bien comme il faut: cadres, employés, négociants en immobilier qui, habillés en tenue de camouflage, s’exercent à l’emploi de différentes armes. Interviewer à la Columbo, Michael Moore joue l’innocent pour mieux surprendre les contradictions de ses interlocuteurs. Un membre de la fameuse milice avoue posséder un M-16 à la maison. On lui montre un calendrier de miliciens en petite tenue pour une opération caritative. On lui soutient sans l’ombre d’un doute que posséder une arme est un geste citoyen. Seul hic, les deux hommes qui ont commis l’attentat d’Oklahoma City faisaient justement partie de cette milice.

Ainsi commence le chef-d’œuvre de Michael Moore, deux heures d’un ahurissant voyage au sein de la paranoïa américaine. Une psychose alimentée par les média et le consortium politico-financier qui joue de la peur pour forcer l’Américain lambda à toujours plus consommer, toujours plus trembler, toujours plus se protéger au sein de mini-ghettos de plus en plus restreints. Le melting-pot a explosé devant la peur de l’autre et n’a peut-être jamais existé. Une hilarante séquence animée réalisée par les auteurs de South Park, dont l’un est natif de Littleton, offre en effet une version peu glorieuse de l’histoire américaine absente des manuels scolaires. Les Etats-Unis se sont construits sur la peur d’autrui: peur des Indiens, peur des esclaves affranchis, peur de tout ce qui n’est pas blanc. A chaque acte de violence d’un adolescent, c’est la même rengaine. Les média américains désignent toujours les même boucs émissaires: la violence des films d’Hollywood et l’anarchisme soi-disant destructeur de musiciens comme Marilyn Manson. Bien sûr, si les deux jeunes qui ont commis l’attentat d’Oklahoma City sont originaires d’une ville qui abrite une base militaire américaine, ce n’est que pur hasard. Evidemment, si une usine de construction de missiles est située à Littleton, c’est une coïncidence… Le jour de la tuerie de Columbine, l’armée américaine bombarda un hôpital et une école au Kosovo. Les médias ne firent pas le lien. Michael Moore démontre les ambiguïtés d’un système, dénonce les média assoiffés de faits divers. La criminalité baisse et pourtant les reportages sur l’insécurité augmentent à la télévision avec toujours le même stéréotype du jeune noir désœuvré attaquant l’honnête travailleur blanc. La peur fait vendre, la peur détourne des vrais problèmes. Toute ressemblance avec la dernière campagne présidentielle française n’est bien sûr que pure réalité… Il est bien plus simple de filmer une poursuite que d’enquêter sur les scandales financiers. Filmer un fait divers sordide est rentable et ne remet pas en question le budget publicitaire. Michael Moore montre cet impact de la télévision paranoïaque dans une hilarante escale au Canada. Les Canadiens possèdent eux aussi des armes à feu chez eux mais ne s’en servent pas. Dans une grand ville canadienne située en face de Détroit sur une rive du Lac Michigan, le dernier crime par armes à feu fut commis par un… Américain. L’explication est simple: la télévision canadienne n’exploite pas chaque fait divers pour accroître son audimat.

Michael Moore s’engage toujours, lance des boutades, choisit souvent le rire pour mieux faire réagir. Un rire souvent jaune, jamais gratuit, qui met mal à l’aise surtout quand lors de savoureux échanges, l’interlocuteur, piégé par ses propres contradictions, déverse toute sa bile et se lance dans des explications effrayantes. Bowling For Columbine est une merveille de précision avec un énorme travail sur le montage. Le cheminement de la pensée est limpide, l’alternance interview – images d’archives d’une efficacité redoutable. Il montre l’insoutenable – l’enregistrement de la tuerie par des caméras vidéo, l’impact des balles sur le corps d’un survivant en fauteuil roulant – , mais ne fait jamais preuve de voyeurisme. Au contraire, il s’indigne contre ceux qui font de la détresse humaine un fonds de commerce. Tels des vautours assoiffés de sang, les membres de la National Rifle Association tiennent un meeting dans les villes en deuil après une tuerie inexpliquée. Dans un final en forme de cri d’indignation, de rage non refoulée, Michael Moore ose affronter en tête-à-tête l’acteur mythique Charlton Heston, président de cette association de porte-flingues à l’idéologie plus que douteuse. Piégé par cet interviewer d’abord débonnaire puis de plus en plus hargneux, le Moïse d’Hollywood bafouille, assène quelques justifications hasardeuses – pour lui, la cause du nombre de morts par armes à feu est le… métissage – et bat en retraite, pris à son propre jeu quand le réalisateur lui montre la photo d’une très jeune victime. Maîtrisé de bout en bout, Bowling for Columbine est un film essentiel pour comprendre la folie sécuritaire d’un pays traumatisé par les événements du 11 septembre et qui plonge, jour après jour, dans une paranoïa exploitée par les marchands du temple économique et médiatique. Le prix du 55e anniversaire du Festival de Cannes est plus que mérité.

par Yannick Vély

En savoir plus

Le réalisateur Ancien ouvrier de General Motors, Michael Moore est devenu le poil à gratter n°1 des capitalistes américains. Révélé par un prix au Festival de Berlin pour son premier documentaire semi-autobiographique, Roger et moi en 1989, il devient le documentaliste n°1 aux Etats-Unis, le seul capable de tourner en ridicule les grands patrons du monde capitaliste. Dans The Big one, il mettait à jour la manipulation du PDG de Nike qui jouait la carte de l’homme cool, proche de ses employés américains tout en infligeant des cadence infernales à ses ouvriers asiatiques dans ses chaînes de fabrication délocalisées. Michael Moore a également écrit des essais polémiques. Son dernier ouvrage Stupid white men s’attaque à la personnalité du Président Bush. Auteur d’un unique film de fiction, Canadian bacon, Michael Moore présente à Cannes son dernier documentaire, Bowling For Columbine, du nom du lycée dans lequel Eric Harris et Dylan Klebold, deux lycéens, ont assassiné de sang froid douze élèves et un professeur.

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