Emily Dickinson, A Quiet Passion

Emily Dickinson, A Quiet Passion
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Emily Dickinson, A Quiet Passion
A Quiet Passion
Royaume-Uni, 2016
De Terence Davies
Avec : Cynthia Nixon
Durée : 2h05
Sortie : 03/05/2017
Note FilmDeCulte : *****-
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Nouvelle-Angleterre, XIXè siècle. Dans son pensionnat de jeunes filles de bonne famille, la jeune Emily Dickinson ne cesse de se rebeller contre les discours évangéliques qui y sont professés. Son père se voit contraint de la ramener au domicile familial, pour le plus grand bonheur de sa sœur Vinnie et de son frère Austin. Passionnée de poésie, Emily écrit nuit et jour dans l’espoir d’être publiée. Les années passent, Emily poursuit sa recherche de la quintessence poétique. La rencontre avec une jeune mondaine indépendante et réfractaire aux conventions sociales ravive sa rébellion. Dès lors, elle n’hésite plus à s’opposer à quiconque voudrait lui dicter sa conduite.

PASSION SECRÈTE

D’Emily Dickinson, le grand public connait sans doute davantage la réputation que le travail, et retient peut-être avant tout sa supposée folie (comme cela est régulièrement avec les femmes poètes, d’Emily Brontë à Sylvia Plath – les lieux communs sur l’hystérie ont toujours bon dos). La poétesse américaine passa en effet toute une partie de sa vie recluse volontairement entre les quatre murs de sa maison, parlant à ses rares visiteurs depuis l’embrasure sous la porte de sa chambre. La première excellente idée du film que lui consacre aujourd’hui le réalisateur britannique Terence Davies est de prendre le contrepied de ce cliché tenace. Devant sa caméra, Emily Dickinson est une jeune femme intelligente, indépendante et surtout bourrée d’humour. Dans des jardins luxuriants, emplis de fleurettes multicolores, Emily et ses amis vannent leurs connaissances avec un art de la formule digne des meilleures drag-queens d’aujourd’hui. Davies retrouve ici ce qui faisait déjà la qualité de Chez les heureux du monde, où il dirigeait Gillian Anderson, à savoir une manière de dépoussiérer sans tomber dans l’anachronisme ou l’irrespect, de rendre vivant sans trahir.

Seize ans après l’héroïne d’X-Files, c’est à une autre actrice issue de la télévision à qui il fait ici appel. Si Cynthia Nixon a déjà une sérieuse réputation d’actrice de théâtre, le public français la connait presque exclusivement dans la peau de la caustique Miranda dans la série Sex and the City. Le choc ne réside pas ici que dans le changement d’époque ; Nixon crève tout simplement l’écran. Elle livre une performance incroyable dans ce qui n’est justement pas un rôle à performance. On n’est effectivement pas ici dans un biopic hollywoodien : pas de monologues hystériques avec un Oscar qui clignoterait au-dessus de la tête des acteurs (alors qu’ironiquement, elle en mérite carrément un). En figure de proue d’un casting particulièrement juste, elle parvient à rendre incroyablement vivants des dialogues pas évidents sur le papier. Et surtout, elle ne joue jamais une folle. Dans un contexte où les femmes ne pouvaient exprimer leur ressenti qu’à la nuit tombée, Davies et Nixon nous disent que la présumée folie n’était au fond peut-être qu’une clairvoyance amère.

L’autre bonne idée du film – et ce qui l’éloigne encore plus des formules toutes faites des biopics – c’est que le long métrage a beau s’attacher à la vie entière d’Emily Dickinson, ce ne sont pas les repères biographiques qui servent de structure au récit. Ce sont au contraire ses écrits qui sculptent l’ensemble. Certains de ses poèmes sont ici transformés en dialogues (« Mes poèmes sont ma consolation pour l’éternité qui nous entoure » « Mon âme n’appartient qu’à moi ») sans que ces derniers ne paraissent jamais lourds. Les dialogues vont eux aussi à l’inverse d’Hollywood, de même que le rythme du film, plus lent, singulier et curieux qu’un vulgaire véhicule à stars. Comme si un grain de folie, présent dès le début (Dickinson sourit en permanence, jusqu’à la frénésie, comme si elle avait pris de la drogue et ne redescendait jamais) venait faire sauter avec bonheur les rouages redoutés.

De la bizarrerie, de l’humour, de la littérature, un rythme lunaire... ? On serait prêt à parier que Terence Davies avait dans un coin de l’esprit le film Amour fou de l’Autrichienne Jessica Hausner (sur le suicide romantique de Kleist). Mais Davies imprime sa propre patte, et tout le film a beau se dérouler dans le strict périmètre d’une seule maison et son jardin, le réalisateur anglais parvient à faire du vrai, bon cinéma, notamment par un usage furtif mais impressionnant du morphing (oui oui) ou une utilisation expressionniste de la lumière qui transforme Dickinson tantôt en sage jeune fille de Vermeer, tantôt en vampire victorien aux abois. La meilleure séquence du film est d’ailleurs sans doute celle où la caméra s’identifie totalement à la réclusion de son héroïne (qui finit par disparaitre, ne devenant plus que des mots), invitant toute la Guerre de Sécession grâce à des trucages d’une simplicité et d’une poésie rare. Emily Dickinson le dit alors elle-même, sa vie est passée comme un rêve dont elle n’était pas l’héroïne.

par Gregory Coutaut

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