Festival Kinotayo 2015: Entretien avec Dimitri Ianni

Festival Kinotayo 2015: Entretien avec Dimitri Ianni

Le Festival Kinotayo, consacré au cinéma japonais, débute ce mardi 24 novembre à Paris ! Ce 10e festival sera à suivre en direct sur FilmDeCulte qui sera partenaire de la manifestation. Dimitri Ianni, de l'équipe programmation du festival, nous parle des temps fort de cette édition anniversaire...

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Comment effectuez-vous la sélection de Kinotayo tout au long de l'année ?

Le Festival du cinéma japonais contemporain de Paris Kinotayo fonctionne sur le principe d'un comité de sélection composé de membres bénévoles qui visionnent les films que nous recevons (environ 160 cette année) et se réunissent à plusieurs reprises durant l'année afin d'en composer une sélection. Plutôt que de confier ce travail à un programmateur comme cela se fait habituellement, l'idée est d'ouvrir un espace de discussion démocratique afin de confronter nos opinions, notre idée du cinéma et partager notre passion. Chacun a ainsi la possibilité de défendre un (ou plusieurs) film(s) qu'il a aimé, parfois même envers et contre tous - je pense notamment à Haman qui cette année fût un choix peu consensuel - et contribuer ainsi à faire découvrir une œuvre ou un cinéaste au public français. Le réalisateur Jean-Pierre Limosin, vice-président du festival, chapeaute la sélection et apporte un regard de metteur en scène à travers une certaine exigence susceptible de dégager une cohérence, une ligne artistique, soutenue par des choix esthétiques et des engagements.

C'est le très beau film d'animation Le Garçon et la bête qui fait l'ouverture du festival. Le film d'ouverture d'un festival a toujours une place un peu à part. Pourquoi avez-vous choisi ce film ?

Tout d'abord je dois avouer ne pas encore l'avoir vu. Je le découvrirai à l'ouverture comme beaucoup. Les films d'ouverture et de clôture sont souvent décidés à l'issue de la sélection, parfois tardivement. Ils sont aussi, c'est le cas pour Le Garçon et la bête, des opportunités. Hosoda est un réalisateur d'animation de premier plan qui possède en France un public fidèle et nombreux. D'autre part, le festival a cette année encore resserré ses liens avec Gaumont notre partenaire privilégié, également distributeur du film dont la date de sortie en France est prévue le 13 janvier 2016. Aussi quand nous avons eu l'opportunité de participer à l'avant première du film, nous n'avons pas hésité à y répondre favorablement.

Sono Sion a été très prolifique cette année. Vous avez choisi Tag en compétition. Comment avez-vous procédé à ce choix parmi ses nombreuses récentes réalisations ?

Effectivement on peut dire que c'est l'année Sion Sono (lire notre entretien) avec pas moins de 6 long-métrages en 2015. Et pourtant, mais je ne parle qu'en mon nom, je n'ai cessé d'être déçu par ce cinéaste après Love Exposure, un film qui m'avait enthousiasmé à l'époque par son récit démesuré, ses audaces et son lyrisme débridé. Néanmoins au Japon, d'une façon générale on tourne beaucoup, ce qui permet à des cinéastes de s'exercer à plusieurs genres, avec parfois de petits miracles comme Tag. Lorsqu'il essaie de traiter de sujets sérieux (Himizu, The Land of Hope), Sono fait souvent preuve de lourdeur et de maladresse. En revanche, lorsqu'il se laisse aller à la poésie pure, à l’origine de son expression artistique, il est capable de fulgurances étonnantes comme c'est le cas dans Tag et sa séquence d'ouverture inouïe. Il possède aussi un certain talent pour révéler de jeunes actrices comme Hikari Mitsushima (Love Exposure), Fumi Nikaido (Himizu) et ici la frêle, fragile et haletante Reina Triendl.

Le dernier Shinya Tsukamoto fait également partie de la programmation. Tsukamoto n'a jamais cessé de tourner, pourtant ses films sont devenus quasi-invisibles en France après ceux plus exposés de la fin des années 90/début des années 2000. Comment l'expliquez vous ?

C'est sans doute un des grands malentendus de la réception du cinéma japonais contemporain en France. Pour moi Tsukamoto est un grand cinéaste, au même titre que Kiyoshi Kurosawa. Ce n'est qu'une intuition, mais je pense que cette absence de reconnaissance provient davantage de facteurs disons « culturels ». Tout d'abord, il a longtemps œuvré dans le domaine du fantastique, ce qui a pu le cantonner à un certain public amateur de cinéma de genre, et l’empêcher d'être considéré par une certaine critique qui lui préférera un cinéaste comme Kiyoshi Kurosawa, dont l’œuvre plus théorique et cinéphile s'inscrit davantage dans la continuité d'une histoire du cinéma. Tsukamoto est plus dans la rupture, d'où son originalité profonde, il cherche à inventer sa propre grammaire du cinéma. Par ailleurs, il y a d'une façon générale chez la critique française, un héritage bazinien qui s'accorde parfois mal avec la dimension très mentale du cinéma de Tsukamoto. Les Italiens qui l'adorent et lui ont déjà consacré plusieurs monographies n'ont semble-t-il pas les mêmes réticences à son égard.

On en discutait il y a peu avec Jean-Pierre Limosin qui citait l'exemple des Frères Quay dont l'univers fantasmagorique aussi peine à franchir certaines barrières. Je crois que la méprise est du même ordre. Et pourtant cette absence de reconnaissance est d'autant plus injuste que depuis Tetsuo: The Bullet Man (2009) Tsukamoto a délaissé l'univers fantastique pour s'attacher à des thèmes plus universels avec Kotoko, un film très fort encore jamais projeté en France, et aujourd'hui Fires on the Plain. Mais ce qui le distingue réellement de ses pairs c'est que c'est le seul cinéaste de sa génération à être revenu ainsi à l'autoproduction et à l'autodistibution. Personne n'en a parlé, mais c'est pour moi un événement majeur du cinéma japonais. Il faut savoir que le film a déjà dépassé les 60.000 entrées au Japon où c’est un véritable succès du cinéma indépendant.

Quels nouveaux talents japonais avez-vous remarqués depuis la dernière édition du festival ?

Une année c’est parfois bien court pour affirmer la naissance d’un nouveau talent, et rares sont les premiers films qui, comme Forma d’Ayumi Sakamoto (lire notre entretien) l’année passée, font preuve d’une réelle maîtrise. Nous en avons pourtant vu un certain nombre, dont ceux du Pia Film Festival, mais cette institution n’est plus ce qu’elle était ; ou encore ceux de la dernière promotion de l’École des Beaux-Arts de Tokyo qui à l’instar de La Fémis, révèle régulièrement de jeunes talents tels que Tetsuya Mariko (Yellow Kid) ou encore Ryusuke Hamaguchi (Passion), mais aucun film ne s’est réellement dégagé cette année. Nous avons eu des discussions à propos de Hold Your Breath Like a Lover de Kohei Igarashi, un jeune cinéaste également issu des Beaux-Arts de Tokyo et qui était le seul représentant japonais à Locarno en 2014. Je sais que Jean-Pierre apprécie le film, mais je suis très réservé sur cette vision que je trouve trop fictive et fantasmée de la jeunesse japonaise, malgré les qualités plastiques du film.

Kinotayo met également à l'honneur des cinéastes qui ont déjà une longue carrière mais qui restent totalement méconnus en France. Je pense à Masato Harada ou Ryuichi Hiroki. Est-ce que cela vous tient particulièrement à cœur de "remédier" à ces rencontres ratées ? Pouvez-vous nous dire un mot de leurs films que vous présentez cette année ?

Tout d’abord je me permets de nuancer vos propos. Même si leurs films n’ont pas connu de distribution en salles, Vibrator de Hiroki a été présenté en compétition au Festival des 3 Continents en 2003 et Tokyo Trash Baby avait été récompensé du Lotus numérique en 2002 au Festival du film asiatique de Deauville qui lui avait par la suite consacré un hommage en 2006. Quand à Masato Harada (lire notre entretien), il est déjà venu présenter son travail en France à l’invitation de L'Étrange Festival, qui lui avait consacré une rétrospective en 2003 (lire notre gros plan sur cette rétro). Il ne s’agit donc pas pour nous de réparer une quelconque injustice, mais plutôt de choisir des films sur leur valeur intrinsèque seule, y compris dans le champ du cinéma commercial. Pour parler à titre personnel du film de Hiroki, Kabukicho Love Hotel, si celui-ci m’a paru intéressant, c’est davantage du a la qualité du scénario de Haruhiko Arai qui, par l’entremise d’un jeune concierge, brosse une galerie de couples vivante et bigarrée se retrouvant l’espace d’une nuit dans l’un de ces établissement nocturnes généralement loués à l’heure. Quand à Kakekomi j’avoue que je n’étais pas très enthousiaste. C’est une production typique d’un cinéma commercial consensuel et grand public mais dont l’exotisme pourra séduire le public français. Mais cela participe aussi de la diversité de la programmation. Je trouve que Harada est devenu un cinéaste très ordinaire, je le trouvais plus intéressant à l’époque de Kamikaze Taxi ou Bounce Ko Gals où ses films étaient chargés d’un propos critique et social plus affirmé.

On a vu émerger ces dernières années au Japon une nouvelle génération de cinéastes aux films ambitieux, radicaux, modernes, mais dont l'économie semble très fragile. Je pense par exemple à Katsuya Tomita ou Ayumi Sakamoto que vous aviez sélectionnée l'an passé. Quel regard portez-vous sur ces cinéastes ?

Ce sont effectivement deux cinéastes que j’apprécie particulièrement, même s’ils sont très différents à maints égards, y compris dans leurs parcours individuels. Tomita (lire notre entretien) l’aîné, appartient à une génération de cinéastes auxquels on pourrait aussi ajouter Koji Fukada (lire notre entretien) que l’on connaît déjà en France, et qui a émergé à partir des années 2000. Ces cinéastes, à la différence des générations précédentes, pour qui faire des films indépendants ou des films d’étudiants en 8mm, n’était souvent qu’une étape, un tremplin pour faire carrière dans le cinéma commercial (voir l’exception Tsukamoto), ont choisi de poursuivre dans la voie de l’indépendance, souvent synonyme d’autoproduction et d’autodistribution. Cette précarité si elle est économiquement pénalisante, a l’avantage de leur offrir une liberté créative totale, gage de pouvoir aborder des sujets forts, délaissés par le cinéma traditionnel comme dans Saudade, où Tomita décrit les mutations économiques et sociales d’une petite ville de province aux pires heures de la crise.

En ce qui concerne Sakamoto, elle a débuté comme éclairagiste et a d’abord été assistante pendant une dizaine d’années, notamment auprès de Tsukamoto, avant de se lancer dans la réalisation. Son cas est donc atypique parmi les jeunes cinéastes de sa génération dont beaucoup sortent d’écoles de cinémas. Elle a donc patiemment appris les différents métiers du cinéma et a eu la chance de rencontrer la confiance d’un producteur avisé qui a cru en son projet. Je suis convaincu que l’une des raisons du miracle Forma tient dans la qualité de cette relation si importante pour un jeune cinéaste entre producteur et cinéaste. Ce que j’apprécie aussi chez elle c’est qu’elle regarde plutôt vers l’étranger, en particulier vers le cinéma européen. On pourrait même dire qu’elle fait des films contre une certaine idée du cinéma japonais. Car trop de cinéastes japonais son autocentrés, n’ont pas assez conscience de ce qui se passe dans les cinémas du monde, de ce qui fait la modernité aujourd’hui.

Quels sont vos objectifs avec cette édition anniversaire de Kinotayo ? Qu'aimeriez-vous dire à nos lecteurs curieux de votre programmation ?

Il serait hasardeux de parler d’objectifs compte tenu des événements récents qui ont frappé le pays. Nous sommes déjà heureux que cette édition puisse se tenir dans les conditions initialement prévues et que la plupart des invités aient décidé de maintenir leur venue. Bien entendu j’invite vos lecteurs à venir découvrir le plus de films possible de la sélection qui est cette année plutôt variée, avec des films de genres très différents allant de divertissements de qualité comme La La La At Rock Bottom de Nobuhiro Yamashita au documentaire militant avec We Shall Overcome, en passant par la comédie (Kabukicho Love Hotel), le fantastique (Haman, Tag) ou le jidaigeki (Kakekomi). Néanmoins l’événement sera à mon sens la présence de Tsukamoto avec Fires On The Plain, véritable œuvre d’une rare intensité, film politique aussi dont l’écho sera d’autant plus important au vu du contexte politique actuel au Japon mais aussi dans le monde.

Entretien réalisé le 22 novembre 2015. Un grand merci à Karine Jean.

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par Nicolas Bardot

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