Entretien avec Koji Fukada

Entretien avec Koji Fukada

Lauréat au Festival des 3 Continents l'an passé, Au revoir l'été (en salles le 17 décembre) est le nouveau film du Japonais Koji Fukada et raconte le retour d'une jeune femme dans la région de son enfance. Un récit rohmérien qui, sous sa douceur apparente, a des choses à dire sur le Japon et le cinéma. Entretien avec son réalisateur.

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Comment en né Au revoir l’été ?

A l’origine du film, il y a ma rencontre avec Fumi Nikaido, dans un festival. On s'est très bien entendu et on a voulu faire un film ensemble.

Aviez-vous déjà cette histoire en tête ou est-elle née de cette rencontre ?

Non à vrai dire c'est à son contact que j'ai réfléchi à une histoire qui puisse lui correspondre. D'où cette histoire d'une jeune fille qui passe ses vacances dans un endroit qui est comme un refuge. En la rencontrant, j'ai été frappé à la fois par son côté enfantin, car elle n'a que 17 ans, et en même temps très mature car elle est comédienne depuis toute petite. Elle a cette maturité par rapport à son métier et en même temps l'innocence et l'insouciance de ses 17 ans. Lui attribuer ce rôle entre deux eaux, j'ai trouvé que cela lui correspondait.

Au revoir l'été est présenté dans le cadre d'un programme spécial consacré au Japon post-Fukushima au Festival Un état du monde... et du cinéma. En quoi, pour vous, votre film est un film post-Fukushima ?

C'est une chose qui ne concerne pas seulement ce film mais tous mes films: faire un long métrage, c'est capter des images en posant un trépied sur le sol, le sol sur lequel tout le monde habite. Cette catastrophe à été d'une telle ampleur, le fait de tourner précisément au nord du Japon a fait de ce film un film concerné par la question de Fukushima.

Avez-vous noté un changement dans le cinéma japonais après Fukushima, comme le retour d'un cinéma plus contestataire ?

Évidemment j'ai beaucoup d'amis documentaristes qui ont tourné sur les lieux de la catastrophe ou dans ses environs. Il y a aussi un certain nombre de petits films de fiction, venus du cinéma indépendant, qui ont pour thème la catastrophe nucléaire. Mais peu de ces films sont produits par de grandes compagnies. On a le sentiment que le haut de l'industrie reste réticent à aborder ce sujet.

Pourquoi selon vous ?

La première chose, c'est qu'à l'origine les Japonais traitent peu de sujets politiques au quotidien, et encore moins au cinéma. Les questions sociales y sont peu abordées. Les investisseurs ont tendance à penser qu'il est difficile d'engranger des recettes avec de tels sujets. Je sors du tournage de mon dernier film, Sayonara, qui raconte l'explosion simultanée d'une dizaine de réacteurs nucléaires sur le territoire japonais, ce qui rend le pays invivable. Au moment de monter le projet, je suis allé démarcher des grandes compagnies pour assembler un financement. Au départ, j'ai eu des retours enthousiastes mais en commission, de façon interne, il a été décidé de ne pas soutenir le projet. Pour la bonne raison que ces sociétés sont liées au ministère de l'économie ou au gouvernement, et elles redoutaient que leurs relations soient compromises à cause ça. Soutenir un film plus ou moins antinucléaire n'est pas forcément souhaitable.

Sous une apparence de douceur, vos films traitent souvent d'une certaine violence sociale.

Il y a dans Au revoir l'été un scène de rassemblement antinucléaire. J'ai pour objectif de ne jamais aborder les questions de façon trop frontale, le film n'est pas un outil qui n'a pour vocation que de véhiculer mon propre message. J'ai deux raisons à cela. La première, pour prendre l'exemple concret et actuel du nucléaire, est qu'un certain nombre de films antinucléaires ont un public déjà acquis à cette cause. Délivrer un message ouvertement ne permet pas forcément de toucher toute la population, il reste ceux qui sont encore à convaincre. Mon idée, ce n’est pas de délivrer un message clair et brut, mais plutôt de proposer une vision des choses qui englobe la complexité de chacune question posées, ouvrir le regard du spectateur. Pour ce sujet en particulier, je montre plusieurs points de vue pour saisir la complexité du problème, ça me semble être la meilleure solution. La deuxième raison c’est que l'histoire du cinéma est marquée par les films de propagande, l'art a une force de persuasion sur spectateur, et je ne veux pas guider trop le spectateurs vers une émotion précise. L'idée de donner envie au spectateur d'enrichir sa vision du monde est pour moi très importante. C'est pourquoi mes films peuvent paraitre doux mais suscitent autre chose en filigrane. Pour mon précédent film, Hospitalité, qui racontait l'histoire d'une famille accueillant un homme plus moins errant, les spectateurs ont souvent eu deux réactions très différentes: certains ont vu le film comme une comédie, d'autres comme un film d’horreur. Ces réactions contrastées, c'était un succès pour moi car c'était le but recherché.

Au revoir l'été est très beau, avec notamment un usage remarquable des couleurs et un format particulier. Comment avez-vous collaboré avec votre directeur de la photographie, Kenichi Negishi ?

C'est ma seconde collaboration avec lui après Hospitalité. C'est moi qui ai eu l'idée du format en 4/3, le meilleur à mes yeux pour filmer les êtres humains et les visages. Pour les couleurs, on a privilégié une approche naturaliste, la beauté des lumières naturelles, on voulait rester spontané par rapport à cela.

On dit souvent en France que des films sont rohmériens, et généralement cela ne concerne que des clichés: du marivaudage et des personnages bavards. Or je trouve qu'il y a quelque chose de réellement rohmérien dans Au revoir l'été qui est le décalage permanent entre la parole et les actes des personnages. Êtes-vous d'accord avec cela ?

Je suis tout à fait d’accord, c'est un point auquel j'ai fait très attention lors de l'écriture du scénario. Moi-même en tant que spectateur, quand je regarde un film, une série ou que je lis un manga, je trouve ennuyeux quand un personnage ne fait que révéler sa vraie pensée et parle pour exprimer chacun de ses sentiments. Ce n'est pas naturel, les choses sont plus complexes. Quand je vois ça, j'ai l'impression d'être revenu avant le 19e siècle. L'idée qu'on est le mieux placé pour se connaître est une pensée rétrograde. L'inconscient dont parlent Freud et Jung, c'est un concept apparu au 20e siècle. Pour moi la contemporanéité, c'est de ne pas savoir si ce qu’on dit est le fond de notre pensée. Quand on regarde les films de Rohmer, on y parle beaucoup mais il y a toujours cette incertitude sur les personnages: sont-ils eux-mêmes convaincus de ce qu’ils disent ? C'est ce qui fait la vérité du cinéma d'Eric Rohmer.

Quels réalisateurs admirez-vous ?

Entre 10 et 20 ans, j'étais passionné de cinéma et j'ai grandi en voyant des films. J'ai été influencé par des tonnes de réalisateurs. Mais il y a trois réalisateurs auxquels je pense à chaque fois que je tourne un film : Eric Rohmer, Mikio Naruse et Abbas Kiarostami.

Comment avez-vous travaillé avec Fumi Nikaido ?

Nous avons travaillé dans une relation de confiance, je ne lui ai pas donné d'indications trop précises jeu. Je souhaitais qu'elle communique avec ses partenaires comme dans la vraie vie, comme elle discuterait avec sa famille et ses amis. Beaucoup d'acteurs considèrent que leur travail est d'apprendre un texte, de construire un personnage lors de la lecture. Je n'avais pas envie de cela. Je voulais privilégier l'échange avec les partenaires de jeu.

Lorsque nous l'avons interviewé, Katsuya Tomita a parlé du décalage qu'il ressent entre le cinéma et la société japonaise actuelle. On a quelque peu évoqué ce sujet à propos de Fukushima mais êtes-vous d'accord avec cette affirmation ?

Oui je le ressens aussi. La plupart des films commerciaux à gros budget ne représentent pas la société japonaise telle qu’elle est. Le cinéma est un art couteux, il faut un gros budget pour réaliser, donc il y a des risques. Dans des pays comme la France ou la Corée, la prise de risque est amortie par le système de subvention et les aides de l'état, mais ce n'est pas le cas au Japon. Du coup les thèmes ne sont pas exploités de la même manière, les opinions des minorités ne sont pas jugées comme quelque chose de vendeur, et on se tourne vers des personnages qui feront recette. Le cinéma indé donne un reflet plus fidèle. Mais il y a plus de difficultés, moins de visibilité. Il y a un contraste entre le cinéma commercial et le nôtre, qui est dans l'ombre.

Entretien réalisé le 16 novembre 2014. Un grand merci à Diana-Odile Lestage et Léa Le Dimna

par Nicolas Bardot

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