Entretien avec Katsuya Tomita

Entretien avec Katsuya Tomita

Invité d'honneur du Festival 'Un état du monde... et du cinéma' au Forum des Images, Katsuya Tomita pourrait symboliser à lui seul toute une frange d’un certain cinéma japonais contemporain. Farouchement indépendant, totalement autoproduit, parfaitement libre. Saudade, sorti en salles le 31 octobre 2012, est un formidable film hors-normes sur un Japon d’invisibles. Nous avons rencontré le réalisateur qui nous parle de son long métrage comme de la situation actuelle du cinéma japonais.

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FilmDeCulte : Vous avez réalisé Saudade dans des conditions singulières : en tournant uniquement pendant votre temps libre et vos congés, avec un budget très restreint, et le film parvient à être très spontané. Est-ce qu’avec le recul vous diriez que ces contraintes ont été aussi des avantages?

Katsuya Tomita: Tout à fait. Comme nous n’avons pas réalisé et produit ce film dans le cadre du cinéma commercial, notre budget était effectivement assez limité. Mais cela a aussi été un avantage, parce que nous avons pu bénéficier en contrepartie de beaucoup plus de temps pour le tourner. Le temps était notre seule richesse, mais c’était aussi notre arme.

FdC : Le fait d’avoir pu rajouter des scènes qui n’étaient pas initialement écrites a-t-il modifié la structure globale du scénario dans son déroulement ?

KT: Oui. On tournait chaque weekend, et durant la semaine les acteurs revenaient à leur propre vie. Or la vie de leurs personnages ressemblait déjà à leur vraie vie, celle qu’ils vivent tous les jours. Parfois, il leur arrivait des choses durant la semaine que je trouvais suffisamment intéressantes pour vouloir les intégrer au scénario. On se retrouvait ainsi presque chaque semaine avec des nouvelles anecdotes dignes d’y être ajoutées. Mon coscénariste Toranosuke Aizawa et moi faisions alors le tri parmi ces nouvelles idées. On essayait de trouver un endroit où les caser, tout en respectant la cohérence de chaque personnage. On ne voulait pas que ça finisse par partir dans tous les sens.

FdC : Pensez-vous que si vous aviez disposé d’un budget plus conséquent, Saudade aurait été différent ? Qu’est-ce qui aurait changé ?

KT: Je suppose qu’il n’y aurait pas eu de différence au niveau du contenu. Par contre j’aurais pu payer mon équipe, c’est la principale différence ! Sinon, si on avait eu un budget suffisant, je crois que j’aurais essayé de tourner en 35 mm.

FdC : On a pu voir récemment d’autres exemples de films japonais réalisés de manière totalement indépendante, par des personnes qui ne font a priori pas partie de la profession. Il y a eu par exemple Just Pretended To Hear de Kaori Imaizumi ou encore The Sound Of Light de Juichiro Yamasaki. D’après vous qu’est ce que cette tendance révèle sur l’état de la production cinématographique ?

KT: C’est vrai que le cinéma japonais est en train de souffrir en ce moment, c’est même certain. Cette situation oblige ces cinéastes à tourner leur film de manière indépendante. Ils n’ont tout simplement pas le choix. Le cinéma japonais est en grande difficulté économique. Chaque année il y a encore un grand nombre de films produits, mais si l’on y regarde de plus près, on s’aperçoit que la plupart sont des « petits » films. Cette nouvelle tendance va peut-être s’avérer être quelque chose de positif, mais ce n’est pas encore sûr. Pour l’instant, s’il y a effectivement de bons cotés, il y en a surtout beaucoup de mauvais.

FdC : Saudade parle aussi d’une société japonaise presque invisible, qu’on n’a du moins pas l’habitude de voir du tout dans le cinéma japonais tel qu’on le connait. Pensez vous que le cinéma japonais mainstream est en décalage avec la société actuelle ?

KT: Ça oui, le cinéma japonais est complètement déconnecté de la société ! Surtout le cinéma commercial, tous ces films à gros budget. Il y a donc peut-être plus d’espoir et de possibilités dans le cinéma japonais indépendant et autoproduit. Cependant, si on y réfléchit bien, certains de ces jeunes réalisateurs sont presque aussi déconnectés de la réalité que les grosses productions. Comme je vous le disais, ils n’ont pas d’argent mais ils bénéficient en contrepartie d’énormément de temps. Ils ont donc un avantage que les réalisateurs de films à gros budget n’ont pas, mais ils n’en tirent pas forcément parti, ils se contentent d’imiter le cinéma japonais déjà existant.

FdC : Parmi cette nouvelle génération, y a-t-il des films ou des réalisateurs qui vous aient particulièrement plu ?

KT: Je cherche un film qui puisse symboliser tout ça… je dirais Heaven’s Story de Takahisa Zeze, un film sorti au Japon il y a deux ans. Zeze est considéré chez nous comme un grand maitre du cinéma, il avait déjà réalisé plusieurs long-métrages commerciaux, mais il a lui-même financé ce film-là. Jusqu’ici il avait déjà eu beaucoup de chance de pouvoir tourner ses films dans le cadre classique de la production japonaise, mais lorsqu’il a voulu tourner ce film qui lui tenait vraiment à cœur, il s’est retrouvé obligé de trouver des fonds par lui-même. Voilà la situation du cinéma japonais : si on veut réaliser les films que l’on souhaite, on n’a pas le choix. Heaven’s Story dure cinq heures, et le tournage s’est étalé sur un an parce que Zeze voulait tourner sur quatre saisons. Avec la conjoncture de la production actuelle, cela aurait été impossible.

Avec ce film, Zeze a voulu montrer une nouvelle manière de faire du cinéma japonais, une manière qui fait sens. Peut-être qu’autrefois, certaines personnes pouvaient apporter des financements pour faire exister des films japonais qui soient ambitieux au niveau artistique, mais aujourd’hui il n’y a plus personne. C’est pour ça que les cinéastes essaient de produire leurs films eux-mêmes. Grâce à la technologie numérique c’est devenu plus facile qu’avant. Dans ce sens là on peut dire que la situation s’est améliorée, mais le contraire est tout aussi vrai. C’est effectivement parmi cette génération que l’on trouve le nouveau cinéma japonais, mais pour l’instant on n’a pas encore assez de recul pour savoir si c’est une situation heureuse ou non. On attend encore de voir quelle sera la prochaine étape.

FdC : Comment est-ce que cette nouvelle génération de films est reçue par le public japonais ? Est-ce que ce sont des films qui sont vus ?

KT: Il faut prendre en compte le fait que globalement, le cinéma japonais attire de moins en moins de spectateurs. Il faut savoir que chez nous, les dvd sortent deux mois seulement après la sortie du film en salle. Du coup le public ne se rend plus au cinéma, ce qui est très regrettable. A la différence de ce qui se passe en France, il y a énormément de vidéoclubs au Japon, il est donc très facile pour les spectateurs de voir les films à un tarif très bas, mais par conséquence, ils ont tendance à mélanger visionnage en salle et en dvd. J’ai l’impression qu’en France vous faites nettement une différence entre les deux, mais ce n’est malheureusement plus le cas chez nous. Le public japonais ne se rend plus au cinéma et c’est dommage, cela crée un vrai cercle vicieux, car comme il y a de moins en moins de spectateurs en salle à cause des dvd, les salles augmentent leur tarif, et au final il y a encore de moins en moins de public.

Des films comme Saudade ou Heaven’s Story ne passent jamais dans des multiplexes comme les films commerciaux, ils ne passent que dans des petites salles de cinéma art et essai. Par contre comme ce sont des films autoproduits, les cinéastes possèdent les droits sur la distribution de leurs propres films. C’est pour cette raison que j’ai décidé de ne pas éditer Saudade en dvd, pour pouvoir continuer à le montrer en salle. Ainsi, il est toujours régulièrement à l’affiche alors qu’il est sorti il y a plus d’un an : les gens continuent à aller le voir. C’est la même chose pour Heaven’s Story. C’est ça être un cinéaste indépendant aujourd’hui au Japon : cela ne se traduit pas uniquement dans la manière de faire un film, mais aussi dans la manière de le montrer.

FdC : Qu’en pense le « grand public »? Est ce que tout le monde se rend compte que la situation est en train de changer ou bien est ce que cela ne concerne que les cinéphiles ?

KT: Cette nouvelle génération de films indépendants commence peut-être à faire un peu plus parler d’elle qu’avant, mais honnêtement, le phénomène n’est encore connu que par une petite minorité. Cela ne dépasse pas toujours le cercle des cinéphiles. On a coutume de dire que pour ce genre de film indépendant, faire 2 000 entrées à Tokyo est un succès. On dit aussi pour plaisanter que c’est parce qu’il y a justement 2000 cinéphiles à Tokyo ! C’est une plaisanterie mais elle est révélatrice. Saudade a fait 20 000 entrées, cela prouve qu’il y a un public potentiel plus large, et que des gens non cinéphiles ont voulu le voir. Le bouche-à-oreille a fonctionné.

FdC : La programmation en festivals, au Japon ou ailleurs, y est-elle pour quelque chose ?

KT: Oui, c’est un tremplin qui permet d’avoir plus de visibilité. Mais la visibilité en soi ne suffit pas, il faut aussi miser sur l’exploitation, surtout au Japon. Mais j’ai conscience que le succès du film a été accéléré par sa présentation en festivals.

FdC : Comment avez-vous choisi le titre du film ?

KT: Avant de commencer à écrire le scénario, mon coscénariste Toranosuke Aizawa et moi partions en voiture faire des repérages, et on cherchait un titre. On avait déjà décidé que l’on parlerait entre autres de la communauté brésilienne, donc on cherchait un titre en portugais. On a cherché parmi les mots qu’on connaissait, et c’est ainsi qu’on est tombé d’accord sur Saudade, sans même en connaître le sens ! On s’est rendu compte que ce mot avait une signification profonde, bien à lui, avec plusieurs sens. C’était important pour nous. On l’a donc choisi comme titre provisoire, et puis c’est resté. Quand on s’est mis à l’écriture du scénario, on a trouvé que le mot correspondait vraiment à ce que racontait le film, cela s’appliquait aussi bien aux sentiments des personnages japonais que brésiliens.

Entretien réalisé le 19 octobre 2012. Un grand merci à Frédérique Rouault et Terutaro Osanai.

par Gregory Coutaut

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