Entretien avec Sono Sion

Entretien avec Sono Sion

L'un des cinéastes japonais les plus passionnants était l'invité d'honneur du Festival Deauville Asia. A l'occasion de la sortie le 24 avril de son très beau The Land of Hope, Sono Sion nous parlait de Fukushima, de Wakamatsu, d'Oshima ou encore de ses excitants nouveaux projets. Retour sur cet entretien avec le réalisateur de Why Don't You Play in Hell, présenté à l'Etrange Festival...

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FilmDeCulte : Il y a une phrase qui est très marquante dans The Land of Hope et qui est « Quand un homme est fort, il fuit ». Pouvez-vous nous en dire plus sur cette réplique ?

Sono Sion: On peut tout à fait dire la même chose sur d’autres sujets que le nucléaire. Mais en tout cas en ce qui concerne Fukushima, la contamination et la radioactivité, il y avait certaines personnes qui préféraient rester chez eux, notamment des hommes. Tandis que beaucoup de femmes et enfants préféraient fuir. Il y a d’ailleurs beaucoup de divorces aujourd’hui dans cette région parce que l’attitude des uns est très différente de celle des autres. Je trouve les hommes très peureux, ils ne savent généralement pas quoi faire. Je trouvais ça un peu déplorable, c’est pour ça que je voulais dire que parfois, fuir était une force.

FdC : Il y a justement chez les personnages de The Land of Hope et Himizu une façon de réagir à la catastrophe qui n’est pas forcément celle qu’attendent les autorités, ce ne sont pas des héros tels qu’on les imagine. En quoi était-il important pour vous, dans cette situation dramatique, d’avoir ces antihéros, ces personnages qui disent « non » ?

SS: Ça rejoint la réplique dont nous venons de parler. Les héros donnent l’impression d’être fort mais les antihéros, malgré leur apparente faiblesse, sont parfois plus forts que les vrais héros.

FdC : La narration de The Land of Hope est un peu plus classique que celle de vos précédents longs métrages. Le film est aussi plus calme, plus doux. Etait-ce un désir conscient de faire, sur ce sujet, un film plus accessible ?

SS: C’est exact. Je ne voulais pas, sur ce sujet, faire quelque chose de provocateur, faire un film excitant. J’ai souhaité adopter ce style, cette forme.

FdC : A mes yeux les scènes les plus belles de The Land of Hope sont aussi les plus simples : je pense à la scène où le jeune homme demande son amie en mariage à côté d’une maison qui tient en équilibre, une autre où une vieille femme danse dans les ruines et est rejointe par son mari. Ce sont deux scènes de bonheur qui naissent dans un décor de catastrophe. Pouvez-vous nous parler plus en détails de ces séquences en particulier ?

SS: Je tenais effectivement beaucoup à réussir ces deux scènes. On peut en tout cas dire qu’il s’agit des seules scènes de fiction dans The Land of Hope. J’ai réalisé ce film après avoir fait beaucoup de recherches. Tout vient de la réalité telle que je l’ai vue, et elle est très grave, très triste. Je voulais montrer quelque chose de différent, de fictionnel, et c’est ainsi que sont nées ces deux scènes. Ce sont les clefs et la base du film.

FdC : Vous avez déjà réalisé deux films évoquant Fukushima. En quoi était-il essentiel pour vous, en tant que cinéaste, de saisir ce sujet sans attendre ?

SS: Il y a différents types de réalisateurs. Il y a ceux qui pensent qu’il faut prendre du temps pour un tel sujet, de la distance par rapport à ce qui s’est passé. Je pense différemment. Surtout après ce drame. Je n’ai pas immédiatement pensé à en faire une œuvre cinématographique, plutôt à participer à la société. Après la catastrophe, le Japon était détruit. Je voulais dire mon opinion sur notre société, et il était très important de ne pas attendre. Je pense que ça ressemble un peu à ce que certains réalisateurs ont fait dans les années 60 en France, en Italie. Après mai 68, beaucoup se sont levés et ont dit quelque chose à travers leurs films.

FdC : Dans beaucoup de vos films, vous donnez une grande importance à la couleur, et plus particulièrement au rouge. Dans I’m Keiko tout le décor est rouge, et quand l’image passe au noir & blanc, l’héroïne précise bien que le mur est rouge. Il y a beaucoup de rouge dans Strange Circus, il y a le bain de sang de Cold Fish, il y a les bombes de peinture dans Guilty of Romance et qui sont plutôt roses. Est-ce que cette récurrence signifie quelque chose pour vous ?

SS: J’aime beaucoup l’aspect passionnel de la couleur rouge. C’est quelque chose qui me frappe, généralement, quelle que soit l’œuvre visuelle. Le rouge vif. Ça vient tout simplement de mon instinct.

FdC : Il y a, dans votre cinéma, quelque chose de très poétique et littéraire, il y a beaucoup d’expérimentations formelles, et un esprit punk, de révolte. Tous ces éléments évoquent Koji Wakamatsu. Est-ce une cinéaste qui vous appréciez, est-ce un modèle pour vous ?

SS: Koji Wakamatsu est un réalisateur que je respecte énormément. Mais à mon avis il était beaucoup plus politisé que moi. C’est sûr qu’on a des choses en commun mais je me sens différent. J’ai cela dit beaucoup de respect pour lui et je pense que Wakamatsu était l’un des derniers réalisateurs avec Oshima à avoir mené un combat à travers leurs films. C’est un réalisateur qui me donne beaucoup de courage.

FdC : Quel sentiment a provoqué chez vous la disparition récente d’Oshima, qui est un autre grand cinéaste de la révolte ?

SS: Après sa mort, je me suis dit qu’une période avait pris fin. Il est temps qu’une autre génération réfléchisse au chemin que nous devons prendre.

FdC : Vous avez cité Orange mécanique comme un film marquant de votre jeunesse. Quels sont les autres films qui ont forgé votre cinéphilie ?

SS: Orange mécanique ne m’a pas tant influencé, c’est surtout que je l’ai vu à une période précise de ma vie, où j’avais fugué pour la première fois. C’est ce contexte qui m’a beaucoup marqué. Pour répondre à votre question, je citerais Le Secret de Veronika Voss de Fassbinder, mais aussi le cinéma de Fellini que je voyais étant petit, ou encore Pépé le Moko avec Jean Gabin.

FdC : Pouvez-vous nous donner plus de détails sur votre prochain film, Why Don’t You Play in Hell, qui sort en septembre au Japon ?

SS: Comme je viens de faire deux films à la suite sur un sujet social, je voulais changer complètement. Why Don’t You Play in Hell, c’est un film que le public pourra voir avec du Coca et du popcorn pendant la séance. C’est un mélange d’action, de kung-fu et de comédie. Ce sera très simple.

FdC : Le film a-t-il une chance de passer par Cannes ?

SS: Je n’en ai aucune idée ! A vrai dire ce genre de choses ne me préoccupe pas du tout. Je fais des films que j’ai envie de faire et ne pense pas à de telles stratégies.

FdC : The Room fait partie des films diffusés lors de votre rétrospective à Deauville Asia. Envisagez-vous un jour de revenir à de tels projets minimalistes, en noir & blanc, qui tranchent avec vos derniers films tout en étant également radicaux?

SS: J’aimerais bien ! Mais je ne sais pas quand. J’ai renoncé, quelque part, aux films d’art & essai car le contexte actuel du cinéma japonais est extrêmement difficile. C’est difficile de réaliser des films aussi radicaux dans la production d’aujourd’hui. On n’est plus du tout à l’époque d’Oshima ! Après I’m Keiko, j’ai décidé de me tourner davantage vers le divertissement.

FdC : Pouvez-vous nous en dire plus sur votre projet de film de monstre ?

SS: Au Japon, on a longtemps eu cette tradition du film de monstre réalisé de façon artisanale. Aujourd’hui, tout est fait avec des images de synthèse. Pour ce film, je veux retrouver ces anciennes méthodes, avec des effets spéciaux artisanaux, des maquettes, des personnages maquillés et déguisés en monstres.

FdC : Est-ce que vous notez une différence dans la façon dont vos films, qui peuvent être polémiques, sont accueillis au Japon et à l’étranger ?

SS: Au Japon, les gens ne savent pas où me situer. Je crois que je suis traité comme un réalisateur embarrassant.

Entretien réalisé le 9 mars 2013. Un grand merci à Pascal Launay et Céline Petit.

par Nicolas Bardot

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