Entretien avec Anocha Suwichakornpong

Entretien avec Anocha Suwichakornpong

Anocha Suwichakornpong est une des récentes révélations du cinéma thaïlandais. La réalisatrice, qui compte Apichatpong Weerasethakul parmi ses admirateurs, signe avec Mundane History (en salles le 16 janvier) un trip céleste et hypersensible. Rencontre avec une cinéaste prometteuse...

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FilmDeCulte : Quel a été votre parcours avant la réalisation de Mundane History ?

Anocha Suwichakornpong: J’ai étudié la mise en scène à New York. Quelques années après, je suis revenue en Thaïlande. J’ai créé une petite boite de production avec quelques amis. On a fait pas mal de courts métrages ensemble avant que je ne me lance dans Mundane History.

FdC : Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire en particulier ?

AS: Le film est adapté d’une nouvelle que j’ai écrite il y a de nombreuses années. La nouvelle était très courte, elle tenait sur une page, et elle était écrite à la première personne. En fait c’était comme un journal, où le personnage principal décrit ses sentiments vis-à-vis de son père, et sur l’accident qui cause sa mort. L’histoire est en fait née de la frustration que je ressens par rapport à la société thaïlandaise, qui est extrêmement patriarcale. J’ai remarqué que la question de la masculinité n’avait pas vraiment été traitée dans le cinéma thaïlandais contemporain (ça, c’était il y a 4-5 ans). La majorité des réalisateurs thaïlandais hommes ont eu tendance à avoir des personnages principaux féminins. J’ai commencé à développé un récit qui serait un reflet de la société thaïlandaise, et explorerait la façon dont la masculinité joue une part importante dans la construction de la famille. Et par extension, de la société.

FdC : Votre film est coupé en deux entre les scènes quotidiennes et des visions célestes. The Tree of Life de Terrence Malick a été réalisé après votre film. L’avez-vous vu et qu’en avez-vous pensé ?

AS: Oui j’ai vu le film. Heureusement, je l’ai vu assez longtemps après la sortie de Mundane History. Je dis heureusement parce qu’en tant que réalisatrice, on essaie toujours d’aller vers l’originalité, même si ça semble impossible. On l’espère toujours. A propos de The Tree of Life, je suis mitigée. D’un côté j’admire son ambition, et j’ai apprécié la performance des acteurs. De l’autre, j’ai trouvé la fin décevante dans sa façon de vouloir « conclure » le récit à tout prix.

FdC : Quelle a été l’importance du montage dans la construction de Mundane History ?

AS: Le montage a été une partie très importante du film. J’ai beaucoup apprécié de collaborer avec mon monteur Lee Chatametikool, qui n’aurait pas pu faire un meilleur travail. On a bossé longtemps dessus, et le film est passé d’une narration linéaire (comme dans le scénario) à une narration non-linéaire (comme dans la nouvelle). La restructuration drastique du film a commencé quand, en travaillant sur la 5e ou 6e version du script, j’ai décidé qu’il fallait changer la façon dont il débute. Au lieu de commencer avec Ake qui se réveille à l’hôpital, pourquoi ne pas débuter le film lorsqu’il est déjà à la maison ? J’aimais l’idée de débuter le film sans introduction, pour que le public ne soit pas dans une situation passive, mais qu’il soit tout de suite impliqué. Une fois choisie cette nouvelle scène d’ouverture, le film a pris une forme nouvelle. Peu après la structure du film s'est dégagée. Je pense que ça a aussi à voir avec la chanson choisie pour la scène de supernova, Hush, The Dead are Dreaming, interprétée par un groupe de Malaisie, Furniture. Le film n'est pas linéaire, mais le récit suit une structure très claire et précise. Si vous écoutez la chanson, vous verrez de quoi je parle.

FdC : On a découvert beaucoup de jeunes cinéastes indépendants venus de Thaïlande ces dernières années, comme Aditya Assarat, Sivaroj Kongsakul, Kongdej Jaturanrasmee ou Nawapol Thamrongrattanarit. Est-ce que ce sont des cinéastes que vous côtoyez, êtes-vous sensible à leur cinéma ?

AS: Oui, je les connais personnellement. Tous les réalisateurs que vous citez ont des styles de mise en scène assez différents, et ça c'est super. Nawapol (lire notre entretien) apporte du sang neuf et je pense qu'il a un grand avenir devant lui. Il est à l'aise à la fois dans le cinéma indépendant et dans un cinéma plus mainstream. C'est un peu notre Steven Soderbergh. J'ai beaucoup aimé certains de ses courts métrages, avec cette impression de "fait main". J'ai également beaucoup aimé le deuxième film d'Aditya (lire notre entretien), Hi-So. Plus que son film précédent, Wonderful Town, qui est plus connu et qui a peut-être été mieux reçu. Pour moi, Hi-So est un film sur la nature irréversible du temps, et sur le vide que nous avons chacun dans nos vies. C'est un film sur le néant.

FdC : Mundane History sort seulement maintenant en France mais a été réalisé il y a 3 ans. Quels sont vos projets de réalisatrice ?

CM: Je travaille sur différents projets de longs métrages en tant que réalisatrice. J'espère pouvoir en faire au moins un cette année. J'ai co-réalise un court métrage intitulé Overseas avec Wichanon Somumjarn, que nous avons présenté à Locarno cette année. En tant que productrice, j'ai peut-être été plus active. J'ai produit le premier film de Wichanon, In April the Following Year, There Was a Fire, celui de Lee Chatametikool, Concrete Clouds (qui est maintenant en post-production). Mais l'année prochaine, je ne produirai rien et je vais me concentrer sur mes projets.

Entretien réalisé le 17 novembre 2012. Merci à Guillaume Morel.

par Nicolas Bardot

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