Festival de Gérardmer 2016 - Entretien avec Jérôme Lasserre

Festival de Gérardmer 2016 - Entretien avec Jérôme Lasserre

Le Festival du Film Fantastique de Gérardmer débute ce mercredi ! Et il sera comme chaque année à suivre en direct sur FilmDeCulte. Programmateur au festival, Jérôme Lasserre nous détaille les temps forts de cette nouvelle édition...

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Il y a eu un certain nombre de films sélectionnés en 2015 à Gérardmer et qui ont fait partie des films fantastiques dont on a beaucoup parlé dans l'année. Je pense à It Follows, Goodnight Mommy, Ex Machina ou encore What We Do in the Shadows. Quel bilan tirez-vous de cette édition ?

J'en tire un très bon bilan ! C'était une très bonne année, avec notamment un long métrage très marquant, It Follows, qui est un grand film au-delà du strict genre fantastique. C'est un film qui restera alors que c'est seulement le second long métrage de ce jeune auteur. Il y a eu d'autres films forts et je pense que c'est une édition qui elle aussi restera.

J'imagine qu'après le Grand Prix de Miss Zombie, qui est un excellent film mais qui est resté totalement inédit, avoir un vainqueur comme It Follows offre au festival une autre visibilité ?

C'est vrai. Malheureusement ou heureusement, la diffusion des films a changé. Je préfère évidemment les sorties au cinéma, je suis plutôt de la vieille école. Voir un film sur un portable ou une tablette, pour moi le cinéma ce n'est pas ça. Aujourd'hui le cinéma se consomme aussi sur d'autres supports. Ce qui est dommage avec Miss Zombie, c'est qu'il n'a même pas été diffusé en VoD. Pour It Follows, c'était royal puisque le film est sorti juste après avec beaucoup de mentions de son Grand Prix au Festival. Il a ensuite fonctionné, à son échelle et selon son économie. Cette année encore il y aura des films qui ne sortiront pas en salles, d'autant que c'est parfois compliqué pour le genre. On verra ce que ça donne.

Le festival s'ouvre par la projection de Frankenstein signé par un réalisateur, Bernard Rose, qui s'est déjà illustré dans le genre. Comment s'est effectué le choix de ce film pour l'ouverture ?

Bernard Rose, c'est quelqu'un qui a une histoire dans le fantastique avec un film comme Candyman. Même si c'est un touche-à-tout, c'est un auteur important du genre et comme Candyman, Frankenstein est une fable sociale. C'était déjà le cas dans le livre avec cette histoire d'un étranger qui a du mal à vivre dans notre monde. On peut projeter ces thèmes jusqu'aux migrants d'aujourd'hui. C'est le 16e long métrage de Bernard Rose et il a quelque chose à raconter. Il nous fait l'honneur d'être là. Et puis Frankenstein, c'est un mythe du fantastique depuis les films d'Universal et notamment La Fiancée de Frankenstein qui pour moi est un très grand film. C'était bien de commencer comme ça, pour marquer l'appartenance du festival au fantastique.

L'un des films de la sélection 2016 à jouir du meilleur buzz est The Witch. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce qui distingue ce film très attendu ?

C'est effectivement un film attendu, avec une bande annonce bien fichue. Mais, contrairement à ce que la promotion pourrait laisser croire, c'est un film d'auteur assez pointu, très axé sur la mise en scène et l'atmosphère. Il se déroule à une époque peu utilisée, qui est l'arrivée des premiers colons. Ce n'est pas un western, plutôt un film dans la lignée du Nouveau monde. Les gens risquent d'être décontenancés car il ne s'agit pas d'un pur film d'horreur à proprement parler.

Un autre film longuement attendu est Évolution de Lucile Hadzihalilovic. C'est un film très ambitieux, très réussi mais assez risqué. Est-ce qu'on se pose des questions avant de l'inclure en compétition ?

Ah non c'est une évidence. La seule question c'est : « est-ce qu'on l'inclue à Gérardmer ? ». C'est là aussi un film d'auteur et si on a à Gérardmer un public ouvert à plein de choses, il y a aussi une partie du public qui est plus réfractaire à ces productions singulières. C'est un film qui demande une certaine réflexion, il ne se passe pas grand chose au niveau de l'action et c'est à chacun de voir et construire la trame du film. C'était une évidence de l'inclure en compétition, c'était ça ou rien. C'est un film important je trouve, d'autant qu'on a très peu de cinéastes de genre en France. Le fantastique n'a jamais été très important, malgré des noms comme Louis Feuillade, Georges Méliès, Franju ou Alain Jessua – mais ça remonte à un certain temps. Il y a eu bien sûr une nouvelle génération avec Alexandre Aja, Eric Valette et d'autres mais ils restent rares.

Il y a quelques années on a pu découvrir à Gérardmer The Loved Ones de Sean Byrne qui était un film particulièrement jubilatoire. Vous avez sélectionné le nouveau film de Sean Byrne, The Devil's Candy. Comment se situe t-il par rapport à son précédent long métrage ?

On peut une fois encore y voir un vrai metteur en scène qui sait créer une ambiance. C'est un film moins drôle, plus noir, plus gothique, avec la présence du diable qu'on retrouve dans pas mal de films cette année. Le monde va plutôt mal et le diable est partout. C'est aussi un film plus tenu, où l'on suit la descente aux enfers d'un personnage, avec une mise en scène qui comporte des réminiscences de It Follows. J'aime beaucoup ce film, il constituera je pense une bonne surprise pour le public et a de vraies chances d'être au palmarès.

What We Become est l'un des rares films non-anglophones de la compétition. Comment l'avez-vous découvert et qu'est-ce qui vous a donné envie de l'inclure dans cette sélection ?

On essaie, dans la mesure du possible (avec Bruno Barde, le directeur et sélectionneur du festival), de diffuser tous les cinémas fantastiques du monde, mais cette année le cinéma américain est vraiment en force – contrairement à d'autres précédentes années d'ailleurs. C'était intéressant d'avoir ce film européen, pas parce qu'il est européen, mais parce qu'il est réussi. C'est un film de zombies, un genre cher aux fans et très en vogue grâce à des séries comme The Walking Dead. What We Become revisite le film de zombie de manière clinique – peut-être parce qu'il s'agit d'un film du nord ? On peut le rapprocher aussi d'auteurs comme Michael Haneke ou d'un long métrage comme Goodnight Mommy de Veronika Franz et Severin Fiala (lire notre entretien), qui est un sacré film. Goodnight Mommy est sorti dans les salles françaises sans rencontrer le succès escompté mais ce sont assurément des auteurs à suivre. What We Become est un premier film danois. On sait que le cinéma scandinave, comme la Suède l'avait fait avec Morse, peut parfaitement produire des films intéressants et What We Become appartient à cette catégorie.

Il y a comme chaque année une sélection de documentaires. Pouvez-vous nous présenter les films de cette année, Lost Soul, Le Complexe de Frankenstein et La Rage du démon ?

Je suis fan de documentaires et on a la chance d'en avoir trois cette année sur des sujets différents. Le Complexe de Frankenstein est un très bon documentaire sur les effets spéciaux et surtout sur leurs créateurs, avec des gens comme Stan Winston ou Greg Nicotero. J'ai été élevé à l'époque par mes lectures ado de Mad Movies, et il y avait toujours des reportages sur ces créateurs. Et ils sont tous représentés dans ce documentaire sur lequel les réalisateurs, qui sont également journalistes, ont fait un gros boulot et ont rencontré beaucoup de monde. C'est d'autant plus intéressant que les effets mécaniques, moins numériques, ont tendance à disparaître du cinéma fantastique, même si on note une petite résurgence comme dans le dernier Star Wars qui revient vers des effets plus authentiques. C'est très intéressant de montrer leur travail d'artisans.

Lost Soul c'est un truc de dingue, qui raconte l'histoire du tournage avorté de L'Île du Dr Moreau par Richard Stanley, qui a été viré au bout d'une semaine et remplacé par John Frankenheimer. C'était un énorme budget pour Stanley qui venait du cinéma indépendant avec un film comme Hardware. Il viendra d'ailleurs à Gérardmer et avec Alejandro Jodorowsky ça fera deux mystiques parmi nous. Le documentaire raconte une histoire incroyable, avec Stanley qui est resté sur le tournage comme figurant, en immersion, face à l'ego de chacun dont Marlon Brando qui devient fou. C'est un doc assez fou sur le fantastique mais aussi sur le cinéma en général.

Enfin on aura en première mondiale La Rage du démon qui est un film français d'une heure sur une œuvre attribuée à Méliès et qui à chacune de ses projections rendait les gens fous. Il y a beaucoup d'intervenants dont Christophe Gans et le résultat est très étonnant.

J'imagine que c'était comme une évidence de rendre hommage à Wes Craven pour un festival qui a accompagné de près son come back dans les années 90 avec le Grand Prix de Scream ?

Wes Craven est un vrai maître du genre, et il n'y en a plus beaucoup actuellement. Il l'a remis au goût du jour dans les années 90 avec ce film dans le film qui savait se moquer du genre tout en le prenant au sérieux et en faisait une vraie analyse. C'était normal d'avoir cet hommage. On l'a souvent invité auparavant mais soit il tournait, soit il ne pouvait pas. C'est donc un hommage posthume avec Scream, Les Griffes de la nuit qui fut aussi une révolution et Le Sous-sol de la peur qui n'est pas son meilleur mais qui sera peut-être une découverte pour les plus jeunes.

Comment a été effectué le choix du président du jury, Claude Lelouch, qui peut paraître surprenant de prime abord ?

C'est ça qui nous a intéressés. On ne s'y attendait pas mais quand on lui a demandé, il nous a dit qu'il était tout à fait ouvert au genre, qu'il ne s'y connaissait pas trop mais qu'il était curieux. Qu'on l'aime ou pas, c'est un grand cinéaste qui restera. Et c'est intéressant d'avoir l'avis de quelqu'un qui ne fait pas du tout du cinéma de genre. Peu de cinéastes en France ont sa carrière, c'est important qu'il soit avec nous cette année.

Quel est votre film fantastique préféré ?

Je dirais Pique-nique à Hanging Rock de Peter Weir qui est plutôt un film ésotérique mais qui m'a énormément marqué. Je n'en dormais pas, et il me hante toujours. Je ne l'ai d'ailleurs pas revu alors que j'ai le dvd mais j'ai peur d'être déçu, pour moi c'est un film culte. Il y a également Blue Velvet qui m'a bouleversé, c'est un film très beau, triste et étrange. Je suis plus sensible au fantastique d'atmosphère qu'à l'horreur pure ou au gore. Même si, dans un autre registre, mon troisième choix serait The Thing de John Carpenter.

Entretien réalisé le 25 janvier 2016. Un grand merci à Aïda Belloulid.

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par Nicolas Bardot

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