Pique-nique à Hanging Rock

Pique-nique à Hanging Rock
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Pique-nique à Hanging Rock
Picnic at Hanging Rock
Australie, 1975
De Peter Weir
Scénario : Cliff Green d'après d’après le roman de Joan Lindsay
Avec : Kirsty Child, Vivean Gray, Anne-Louise Lambert, Tony Llewellyn-Jones, Helen Morse, Rachel Roberts, Jacki Weaver
Photo : Russell Boyd
Durée : 1h47
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Le 14 février 1900, une sortie scolaire tourne au drame. Chaperonnées par leurs professeurs, des adolescentes modèles partent pique-niquer à Hanging Rock. Quatre d’entre elles (trois élèves, un professeur), disparaissent mystérieusement, comme par enchantement. Les recherches piétinent. Pour les survivants, l’énigme reste entière.

WALK ON THE WILD SIDE

Son premier long métrage, préambule insolite et macabre, Les Voitures qui ont mangé Paris, n'avait soulevé qu'une indifférence polie en Australie. Financé par des fonds publics, Pique-nique à Hanging Rock, provoque au contraire un engouement spectaculaire. A 31 ans, Peter Weir est un réalisateur culte. Remarqué pour ses courts et moyens métrages (Michael et la comédie horrifique Homesdale ont tous deux reçu le Grand Prix de l’Australian Film Institute), réalisateur de documentaires pour le Commonwealth Film Unit, Weir appartient à cette vague exaltante de têtes brûlées qui va débloquer et redonner confiance à une industrie moribonde. Au début des années 60, déchu et exsangue, le cinéma australien semble vivre ses dernières heures. Il faudra attendre la décennie suivante pour que l’Etat vienne à son chevet et le remette d’aplomb par des subventions et des formations spécialisées, notamment via l’Australian Film Television and Radio School. Entre 1970 et 1985, près de 400 films voient le jour. Jamais l’industrie n’a été aussi florissante. Entièrement rentabilisé à sa sortie, loué par la presse et le public, consacré à l’étranger (le film n’est toutefois distribué aux Etats-Unis qu’en 1979), Pique-nique à Hanging Rock est ainsi né sous les meilleures auspices, dans un contexte particulièrement bienveillant. Sur le papier, le deuxième film de Peter Weir ne laisse pourtant pas présager un tel phénomène. Bien qu’adaptée du roman éponyme de l’Australienne Joan Lindsay paru en 1967, déjà teintée d’une pointe de mysticisme, cette chronique à peine murmurée d’une disparition annoncée est d’une singularité et d’une étrangeté peu communes.

LES PETITES FILLES MODELES

Le jour de la Saint-Valentin, les élèves du lycée Appleyard, jeunes filles vertueuses et corsetées, sont autorisés à pique-niquer à Hanging Rock, site aborigène magnétique, imposante masse rocheuse et volcanique, située au cœur du Bush australien. La directrice de l’internat, Miss Appleyard, régit ce cloître victorien de sages chrysalides. A l’abri des regards, recluses dans leurs chambres cafardeuses, les jeunes filles lisent des poèmes, lissent leur chevelure interminable, composent des herbiers et rêvent à demi-mot. L’après-midi s’annonce angélique, la tendre élégie sidère par sa grâce et son ensorcelante partition; Peter Weir et son scénariste Cliff Green suivent avec délice le long rituel qui précède la tourmente. Comme un lent supplice: quelque chose bout, une écharde démange, un mal indéfinissable gronde en sourdine. La directrice prétexte une leçon de géologie (les lycéennes doivent rédiger une dissertation), prévient du danger (ne pas s’approcher du rocher, assimilé à un lieu de débauche), dicte ses dernières recommandations (ne pas ôter ses gants devant des inconnus). Miranda, blonde évanescente – la plus belle, la plus aimée d’Appleyard – songe à quitter l'établissement. Elle demande à son amie Sara de ne pas s’attacher à elle. Punie pour son manque d’assiduité en cours, la pauvre et orpheline Sara est interdite de sortie. Dès le générique d’ouverture, Peter Weir ne laisse aucun doute sur l’issue de cette flânerie romantique de Petit Poucet perdu et de Chaperon Rouge livré au loup; un carton révèle le fin mot de l’histoire. Mais l’intrigue porte moins sur la résolution du fait divers, dont la romancière avait suggéré avec malice la véracité, que sur l’impuissance des survivants, désemparés et inconsolables.

CRIS ET CHUCHOTEMENTS

Les jeunes filles sont déjà mortes. Comme les roses flétries qu’elles écrasent entre les pages de leurs livres. Prisonnières de leur narcissisme, mortes sous l’emprise d’Appleyard, de ses lois puritaines, de ses pendules omniprésentes, de ses entraves physiques et morales. Les amours contrariées (la fascination de Sara pour Miranda, les ressentiments de la directrice pour sa fidèle Miss McCraw), la sexualité réprimée (une Saint-Valentin mortifère, des hommes distants, simples voyeurs ou admirateurs), la chair meurtrie (une punition corporelle en cours de danse): partout, le désir est inhibé, le corps enchaîné et soumis au pouvoir de la raison. Or Hanging Rock est le lieu de l’abandon et du secret, de la fêlure et de l’amnésie. Un défi à la raison. Personnage à part entière, le rocher s’interpose entre les vierges égarées et l’autorité tyrannique d’Appleyard. De manière significative, c’est la revêche Miss McCraw, professeur de mathématiques, qui disparaît avec Miranda, Irma et Marion. A midi, le temps n’appartient plus à personne, les aiguilles des montres se sont cassées. Avant huit heures du soir, les lycéennes assoupies s’abandonnent à un repos voluptueux, goûtent aux vertiges d’une nature ardente et sauvage. Une serre civilisée de boutons en fleur d’un côté, une végétation rebelle de l’autre: Appleyard et Hanging Rock sont les deux faces conflictuelles d’une même pièce. Deux faces dont le mariage bouleverse l’ordre du monde. Au contact du rocher volcanique, de ces pierres millénaires et encore brûlantes, parcourues de petits lézards, les adolescentes enflammées s’effeuillent, se déchaussent et vont se perdre dans les cavités et les précipices d’un dédale surnaturel.

UN RÊVE DANS UN RÊVE

En 1998, Peter Weir profite d’une réédition américaine pour remonter son film et réétalonner les couleurs. Délesté de sept minutes, le director's cut resserre les mailles du mystère et en conserve jalousement la clé. Retrouvée évanouie sur le rocher, après une semaine de recherches infructueuses, Irma ne garde aucune séquelle et aucun souvenir de sa fugue. De même, la craintive Edith ne se rappelle plus des sentiers empruntés par ses amies. Les rares indices à disposition martyrisent les enquêteurs, quand ils n'appuient pas le sous-texte érotique. Irma est retrouvée sans son corset, Miss McCraw a été vue pour la dernière fois à moitié dévêtue. Irma fait allusion à un "nuage rouge". C'est en manteau rouge qu'Irma la miraculée se présente à ses camarades de classe et provoque une haine et une jalousie incontrôlées. "Laisse-moi t’embrasser sur le front / Et maintenant que je te quitte, Laisse-moi t’avouer ceci: / Tu n’as pas tort, toi qui estimes / Que mes jours ont été un rêve; / Mais si l’espoir s’est envolé / En une nuit, ou en un jour, / Dans une vision, ou dans aucune / N’a-t-il pas moins disparu? / Tout ce que nous voyons ou paraissons / N’est qu’un rêve dans un rêve." En citant les derniers vers du poème d'Edgar Allan Poe, Miranda apportait sans doute un début de réponse. C'est elle qu'on compare à un ange de Botticelli, elle dont on chérit les apparitions, elle qui découpe à la hâche un gâteau en forme de cœur, elle qui anticipe ses adieux. Perdu dans ses pensées, Michael associe son souvenir à celui d'un cygne. Pique-nique à Hanging Rock est à l'image de ce cygne, la moitié d'un cœur, un éternel point d'interrogation, mais aussi de cette fleur effarouchée qui se replie sur elle-même dès qu'on la touche: d'une majesté hypnotique et d'une infaillible beauté.

par Danielle Chou

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