Entretien avec Veronika Franz et Severin Fiala

Entretien avec Veronika Franz et Severin Fiala

Goodnight Mommy bénéficie depuis quelques mois d'un très fort buzz et celui-ci est parfaitement mérité. Ce film d'horreur psychologique signé par les Autrichiens Veronika Franz et Severin Fiala raconte l'affrontement entre deux jumeaux et leur mère. Cette première réalisation aussi poétique que mystérieuse constitue une vraie révélation. Sorti en salles au printemps dernier, Goodnight Mommy est désormais disponible en dvd. Entretien avec ses deux réalisateurs...

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Quel est l’étrange point de départ de cet étrange film ?

Severin Fiala : Le point de départ est étrange et en même temps assez banal. On est tombé sur une émission de télé réalité dédiée aux opérations de chirurgie esthétique. Celle-ci prévoyait des transformations totales : nez, cheveux, tout le visage… Les personnes opérées sont séparées quelque temps de leur famille, pendant l’opération. Ils ne la retrouvent qu’ensuite, et c’est évidemment intégré à l’émission télé. C’est un moment extrêmement heureux, tout le monde applaudit etc. Mais si l’on regarde attentivement les yeux des enfants, on sent qu’il y a cette hésitation. Ils ne sont pas sûrs de ce qu’ils doivent penser.
Veronika Franz : Un sentiment d’étrangeté, de bizarrerie…
Severin Fiala : Un jour, on a vu une fillette dire : mais ce n’est pas ma mère ! C’était le point de départ de Goodnight Mommy.
Veronika Franz : Et puis on est nous-mêmes des fils et filles, je suis mère, et nos problèmes personnels se reflètent dans tout cela.

D’où vient le film qu’on voit au tout début de Goodnight Mommy ?

Veronika Franz : C’est la famille Trapp.
Severin Fiala : Pas celle de La Mélodie du bonheur évidemment, mais c’est la même histoire, dans un film qui date de dix ans avant. C’est l’image de la famille autrichienne parfaite…
Veronika Franz : … et ils chantent Guten abend gute nacht.
Severin Fiala : C’est la famille parfaite mais elle est évidemment trop parfaite pour être réelle, jusqu’à devenir effrayante.
Veronika Franz : Et puis ce début renvoie aussi à la fin. C’est un film en miroir. Et il y a des « miroirs cachés » durant le film…
Severin Fiala : Quand les gamins sont face à face, se regardent et se coupent les cheveux, cela se situe pile au milieu du film. Au plan, dans la première partie, de l’œil de la mère dans le miroir grossissant répond, dans la dernière partie, le plan de la loupe. Etc.

D’où vous est venu le titre original Ich seh Ich seh (Je vois je vois) ?

Veronika Franz : C’est un jeu d’enfants allemands, dont l’équivalent anglais est I spy with my little eye. Le principe est de penser à quelque chose et les autres doivent deviner quel est l’objet auquel on pense : de quelle couleur est-il, est-ce que je peux le voir, est-ce la chaise, est-ce un tableau… J’y ai beaucoup joué avec mes enfants lorsqu’ils s’ennuyaient dans la voiture. Bien sûr, il y a aussi un motif jumeau dans Ich seh Ich seh. Je vois, je vois est aussi une question posée par le film. A vrai dire on avait même une scène du jeu dont je vous ai parlé mais elle a été coupée. Mais ça restait un bon titre pour le film.
Severin Fiala : C’est aussi une question d’identité : sur ce qu’on voit, ou pas.
Veronika Franz : Ca porte sur ce qu’on peut être dans différentes circonstances : étranges, malades… On peut se comporter autrement que d’habitude et devenir une personne totalement différente. Sans ça, les hommes n’iraient jamais en guerre, et on constituerait tous des familles heureuses sans histoire. Cela pose la question de ce que l’on est, et ce qu’on peut devenir. Car il y a toujours plusieurs personnes en vous.

Comment avez-vous travaillé avec les enfants sur un sujet aussi sombre ?

Veronika Franz : On a joué avec eux ! (rires)
Severin Fiala : Pour eux, ça faisait juste partie de leurs vacances d’été. Et pendant ces vacances, ils tournaient des scènes de temps en temps.
Veronika Franz : On a tourné chronologiquement. On ne leur a pas donné l’histoire en entier, on a juste parlé de situations basiques : la mère revient, mais elle est différente, elle a un comportement différent. D’un jour à l’autre, on leur en disait plus pour qu’ils restent intéressés. On leur présentait ça comme un whodunit. « Est-elle votre mère, ou pas ? Que va-t-il se passer ? »
Severin Fiala : C’était dur de les garder intéressés tout le temps, sur deux mois de tournage.
Veronika Franz : Ils n’ont pas vu le film, leurs parents ont décidé qu’ils le verraient quand ils auront 15 ans. Ils ont vu la première partie seulement. Les parents étaient là, pas directement sur le tournage mais ils vivaient dans le coin.
Severin Fiala : Et puis tourner une scène qui semble effrayante, c’est très différent sur un tournage où il y a plein de gens. Tout le monde est très concentré parce que le temps et le budget sont limités…
Veronika Franz : Et puis on leur disait : « Imaginez ! Ce n’est pas votre mère, c’est une étrangère qui l’a kidnappée, c’est peut-être même une extraterrestre ! Imaginez ! » On ne voulait pas décrire des comportements sadiques, mais jusqu’où on peut aller dans certaines circonstances extraordinaires. Sans trop en dévoiler, la menace ressentie par les frères, c’est une menace littéralement existentielle.

Veronika, vous avez collaboré en tant que scénariste avec Ulrich Seidl. Qu’avez-vous appris à ses côtés ?

Veronika Franz : J’ai écrit tous ses derniers films depuis quinzaine années. On a fait ça ensemble. J’ai appris à écrire visuellement, à ne pas me reposer sur les dialogues mais à écrire des images et apprendre à les évoquer. J’ai aussi appris comment accomplir un travail conséquent. Ca semble très ennuyeux dit comme ça…
Severin Fiala : Et ça l’est !
Veronika Franz : … Mais lorsqu’on se donne un objectif, on ne lâche pas tant que ce n’est pas bon. Ulrich est intransigeant sur ce point, ça peut durer des années et si ça n’est pas assez bon, il recommence. C’est un vrai enseignement : il faut être assez fort pour suivre ce qu’on désir vraiment. Par exemple, il y a eu un énorme travail fourni sur le travail de décoration. Et on avait sous-estimé ça (rires). C’est une grande maison, avec des meubles très chers ! Et même quand on en avait, ils restaient trop petits. C’était un long travail.
Severin Fiala : Faire un film c’est penser à la mise en scène, diriger les acteurs, mais c’est aussi choisir des ciseaux. Pour la scène des ciseaux, on nous a présenté une boite de 100 ciseaux et on devait choisir meilleur. Si on se dit : « peu importe », l’équipe se démotive et sentira que ce n’est pas important.
Veronika Franz : Alors que c’est important ! Cela fait une différence s’il est grand ou petit, rouillé ou neuf, aiguisé ou non… Ca, on le fait ensemble parce que c’est plus fun. Surtout si on doit choisir parmi 100 ciseaux ! (rires)

Comment avez-vous abordé l’atmosphère visuelle d’un film qui va du conte de fées onirique à quelque chose de beaucoup plus cash et violent ?

Severin Fiala : C’était une question de perspective. Les enfants sont liés à l’imaginaire tandis que la mère est plus rationnelle. Le monde des enfants est relié aux contes de fées, plus au surnaturel qu’à la réalité, et la caméra était plus mobile et plus fluide par exemple. Tandis qu’à la maison, qui est liée à la mère, la caméra était plus statique. On a adopté un style de filmage plus brut et « documentaire » lors de la scène sur le lit à la fin, en nette rupture avec les scènes du début.

Êtes-vous d’accord sur je vous dis que l’horreur vous a permis d’aller plus loin dans l’aspect métaphorique et viscéral de l’histoire qu’un drame plus classique ?

Veronika Franz : Totalement ! C’est la définition parfaite et je suis heureuse de vous l’entendre dire (rires)
Severin Fiala : Il y a peu de films d’horreur en Autriche et ils sont peu appréciés par la presse ou le public. On les estime souvent ennuyeux ou idiots. Mais je pense la même chose vous. Le genre transporte une question existentielle différemment. Il attire le spectateur dans l’histoire, lui fait ressentir les choses plus intensément, sans la distance habituelle des autres genres.
Veronika Franz : Et quand le film est fini, on repense au sujet mis en perspective. Cela crée également une distance intéressante.

Aviez-vous des modèles en tête en préparant le film ?

Veronika Franz : On a vu beaucoup de films d’horreur mettant en scène des enfants. On a découvert des films aussi. On a revu Les Innocents de Jack Clayton. On a vu Bunny Lake is Missing de Preminger où c’est un enfant qui disparaît, et la fin est magnifique. Mais on se connait depuis 15 ans et cela fait 15 ans qu’on regarde des films d’horreur, ou des films en général.
Severin Fiala : On n’a en tout cas pas fait Goodnight Mommy avec un film ou un réalisateur en tête. C’était plutôt un mélange d’expériences et de films.
Veronika Franz : J’ai beaucoup aimé la formule d’un critique : « Franju, Takashi Miike et Michael Haneke ont fait un film film ensemble, intitulé God help Us ! » ! (rires) Je me sens plus proche de Franju que de Haneke à vrai dire.

Avez-vous un nouveau projet ?

Severin Fiala : On en a plusieurs. Plus on va en festival, plus a de projets ! On a trois projets, dont un film de science-fiction et un film historique pour lequel on a déjà fait beaucoup de recherches.
Veronika Franz : Le film historique sera le prochain.
Severin Fiala : Cela se déroule au 18e siècle…
Veronika Franz : … C’est sur des femmes qui tuent des enfants pour être ensuite exécutées. C’est une histoire vraie et on a recensé environ 300 cas, notamment en France.
Severin Fiala : Elles ne pouvaient pas se suicider. Elles n’en avaient pas le droit : impossible de confesser leur péché avant de passer à l'acte. Donc elles tuent, et ont le droit de se confesser avant d’être exécutées. Ensuite, elles vont au paradis.
Veronika Franz : Enfin peut-être. (rires)

Entretien réalisé le 29 janvier 2015. Un grand merci à Aurélie Dard.

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par Nicolas Bardot

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