Entretien avec Ulrich Seidl

Entretien avec Ulrich Seidl

Documentariste passé à la fiction, l’Autrichien Ulrich Seidl a divisé le Festival de Cannes l’an dernier avec son remarquable Paradis : amour, premier volet cinglant de sa trilogie consacrée à des femmes à la recherche du bonheur aux mauvais endroits. Sa venue à Paris a été l’occasion pour nous de l’inviter à parler de son travail, souvent mal interprété et mal aimé.

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FilmDeCulte : A quel moment du projet Paradis avez-vous décidé de faire trois long métrages au lieu d’un seul ?

Ulrich Seidl: Cette décision a été prise sur la table de montage. Il faut savoir que l’on disposait d’à peu près 90 heures de rush. Ce matériel nous donnait une liberté incroyable, on aurait pu s’en servir pour écrire un tout nouveau scénario, pour créer un tout nouveau film. On a commencé par tenter de monter un seul et unique film, en essayant différentes versions, mais à chaque fois j’arrivais à la même conclusion : il devenait évident qu’il fallait en faire trois films.

FdC : Au-delà du sérieux évident de vos films, on y trouve régulièrement un aspect caustique qui peut provoquer le rire. Quand le public rit devant vos films, ça vous plaît ou ça vous vexe ?

US: Pas du tout pas du tout, au contraire ! Je suis toujours très heureux quand quelqu’un rit dans une salle de cinéma. J’aime bien cette lisière entre comédie et tragédie. Ce qui me plait c’est de débusquer la frontière entre le rire et le moment où le deuil commence, en quelque sorte.

FdC : C’est une nuance qu’on retrouve aussi bien dans vos scénarios que dans votre direction d’acteurs. Comment travaillez-vous à maintenir cet équilibre ?

US: Comment répondre à votre question ? En fait mon travail est le résultat de différents facteurs, et différents niveaux interviennent. Je ne suis d’ailleurs pas toujours sûr d’atteindre mon but : parfois j’obtiens un résultat que je n’estime pas réussi. Je trouve toute mon inspiration dans le réel. La réalité peut être pénible mais aussi drôle. J’observe tout cela et à partir de cela je façonne les scènes de ma fiction, et parfois c’est drôle. Voilà ma méthode.

FdC : De manière général, qu’est-ce qui vous fait rire au cinéma ?

US: Comment décrire cela ? Je ne saurais pas vous dire ce qui me fait rire. Je ne sais pas comment exprimer cela avec des mots. Je ne sais pas. Mais la semaine dernière j’ai regardé un Buster Keaton, Ma vache et moi, et alors là j’ai vraiment rigolé.

FdC : L’an dernier nous nous étions entretenus avec votre compatriote Markus Schleinzer. Il nous disait entre autre que ce que les gens prennent pour du cynisme est en réalité souvent du simple réalisme, et que c’est au contraire le manque de réalisme qui est cynique. C’est une vision dans laquelle vous vous retrouvez ?

US: Oui, il n’a pas tort. (lire notre entretien avec Markus Schleinzer)

FdC : Vous aviez vu son film, Michael?

US: Oui.

FdC : Et ça vous a plu ?

US: Oui (sourire).

FdC : En voyant la scène d’ouverture de Paradis: Amour, je me suis fait la réflexion que tous ceux qui avaient un a priori négatif sur le film et qui avaient envie de le détester aller être servis. Comment l’avez-vous appréhendée ?

US: Ce n’était pas du tout mon intention qu’une scène d’ouverture d’un de mes films puisse immédiatement créer un sentiment de détestation chez le spectateur. Au contraire. Je voulais que le spectateur soit directement catapulté au cœur de l’émotion de ce film. L’idée même de cette scène m’est venue il y a des années déjà, et elle n’était pas nécessairement destinée à ce film, j’aurais pu l’utiliser ailleurs. Cette scène provoque tout de suite une série de questions chez le spectateur. En voyant ces visages d’handicapés, ces distorsions de visages en quelques sorte, on se demande immédiatement « qu’est-ce que c'est que la beauté ? », « qu’est-ce qu’un corps ? », et ce sont précisément les thèmes de mon film.

FdC : Dans Paradis : Amour, chaque personnage se retrouve tantôt en position d’exploitant puis d’exploiteur. Cette ambivalence, vaut-il mieux la prendre comme quelque chose d’optimiste ou de désabusé ?

US: Il ne s’agit nullement de diviser les choses en positives ou négatives. Ce que je fais dans mes films c’est tenter de rendre des vérités visibles, donc de donner une nouvelle image du monde. C’est vrai : c’est un fait dans le film qu’il y a cette exploitation mutuelle, mais ce n’est pas du tout un jugement moral. C’est un deal, c’est un partenariat sur la base d’une exploitation mutuelle.

FdC : N’avez-vous pas l’impression que c’est le malentendu principal qui revient face à vos films ? Ce soi-disant jugement moral que vous porteriez sur vos personnages, aux yeux de vos détracteurs ?

US: Je pense effectivement que je ne donne pas de jugement moral. Dans chacun de mes personnages je me retrouve un peu moi-même. Je ne pourrais jamais faire un film sans m’intéresser aux personnages, sans me sentir proche d’eux. C’est pour cela qu’il y a une certaine tendresse mais aussi un côté très direct dans mes films. Mais cela n’implique jamais une quelconque forme de jugement, c’est au contraire le spectateur qui est appelé à donner un jugement. C’est à lui de se confronter à ce que moi je lui montre. On pourrait me faire ce genre de reproches à propos de mes documentaires, mais pas pour mes fictions. Dans une fiction vous travaillez avec des acteurs mais dans un documentaire vous montrez ce qui est vrai.

FdC : La manière dont vos films sont parfois reçus peut faire penser à l’accueil qui était fait aux photos de Diane Arbus. On lui reprochait beaucoup de mettre ses modèles dans des situations peu flatteuses, alors qu’elle ne faisait que les montrer sans fard, sous leur vrai jour. Vous vous reconnaissez là-dedans ?

US: Je connais le travail de Diane Arbus. J’aime beaucoup ses photos, elles m’ont d’ailleurs servi d’exemple à une certaine époque. Mais je ne dirais pas les choses comme vous dites, je ne le fais pas de manière intentionnelle. En réalité tout dépend du spectateur: s’il arrive à la conclusion que ce n’est pas beau, c’est parce que lui il juge, il juge en fonction du milieu auquel il appartient. C’est justement ça le problème : que les spectateurs se permettent de juger.

FdC : Comment présenteriez-vous les deux volets suivants de la trilogie ?

US: Dans Paradis: Foi, le personnage principal est également une femme de plus de 50 ans. C’est une femme également déçue, notamment par son mariage et son partenaire. Elle s’enfuit dans la religion, et Jésus devient en quelque sorte son amant : son amant spirituel mais aussi son amant sexuel, physique. Puis un conflit éclate lorsque son mari, qui est égyptien et musulman, revient après des années d’absence. Il réclame alors de son épouse qu’elle accomplisse son devoir conjugal.

Dans Paradis: Espoir, le personnage principal est une jeune fille de treize ans. C’est la fille de Thérèse, L’héroïne de Paradis : Amour. Tandis que Thérèse part au Kenya, sa fille passe ses vacances dans un camp d’amaigrissement pour adolescent dans la province autrichienne. Là, elle tombe amoureuse d’un homme beaucoup plus âgé qu’elle, mais elle pense qu’à cause de son surpoids, cette histoire ne va pas marcher. Elle a évidemment raison : cette histoire-là aussi est aussi vouée à l’échec.

Entretien réalisé le 14 décembre 2012. Merci à Matilde Incerti

par Gregory Coutaut

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La critique de Paradis: Amour

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