Entretien avec Markus Schleinzer

Entretien avec Markus Schleinzer

Avec Michael, son premier film en tant que réalisateur qui raconte la cohabitation forcée entre un enfant de 10 ans et son ravisseur, l'Autrichien Markus Schleinzer, qui a débuté comme directeur de casting, est l'une des révélations du Festival de Cannes 2011. Interview d'un cinéaste à suivre...

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FilmdeCulte: Quel était le point de départ de Michael, qu’est ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire ?

Markus Schleinzer: Au début, c’était un peu une expérience : est-ce qu’un directeur de casting serait capable de devenir réalisateur ? Je voulais essayer, et j’ai commencé à chercher des idées pour mon premier scénario. C’était fin 2009, et le sujet du film faisait les gros titres dans le monde entier. Il n’y avait quasiment plus de journaux où on ne pouvait lire en première page “enfant disparu” ou “une famille réunie”. Ça touchait les gens, dans toutes les couches de la société. Y compris moi. Michael est donc l’une des trois histoires que j’ai commencées à écrire, et que j’ai faites partager à trois de mes amis un après-midi (Marisa Growaldt, Kathrin Resetaris et Alexander Tschernek, je vous remercie infiniment!). On a fini par parler presque exclusivement de Michael, avec ferveur et enthousiasme, et de la difficulté de raconter une telle histoire. D’une part parce que montrer uniquement le point de vue de la victime ou du criminel serait une manière trop facile de cacher les événements les plus terribles. Mais également parce que le risque était de tout réduire à une sorte d’arnaque à but thérapeutique. Suite à cette discussion, je me suis mis à l’écriture et j’ai fini le scénario en cinq jours.

FdC: Avant de réaliser votre premier film, vous avez travaillé avec plusieurs réalisateurs autrichiens très connus, tels Michael Haneke, Ulrich Seidl et Jessica Hausner. Qu’avez-vous appris de ces collaborations ? Ces expériences vous ont elles aidé à passer à la réalisation ?

MS: Ce sont tous des artistes très différents dont les œuvres sont extrêmement personnelles. Ce qui les lie, c’est qu’ils sont entièrement dévoués à leur travail. Ça veut dire qu’ils ne font jamais de compromis. Ils ont tous les trois une vision très claire de ce à quoi leurs films vont ressembler, et ils sont tout à fait capables de transmettre cette vision aux autres membres de l’équipe. Avoir travaillé comme directeur de casting était une très bonne école parce que j’étais sans cesse en train de travailler avec des gens devant la caméra et j’apprenais à expérimenter tout en travaillant.

FdC: Comment s’est déroulé le casting pour le rôle du jeune Wolfgang ? Comment avez-vous présenté le projet aux familles des jeunes acteurs ?

MS: On a travaillé de la même manière que sur Le Ruban blanc (sur lequel Markus était directeur de casting, ndlr). Il était fondamental d’être entièrement clair dès le départ. Pour commencer, on a tenu tout le monde informé en donnant un synopsis du film aux parents. Comme ça, ceux qui ne souhaitaient pas être confrontés à ce sujet pouvaient s’abstenir. Au fur et à mesure du processus, on leur en dévoilait plus. Juste avant le tout dernier casting (il restait quatre garçons en lice pour le rôle), j’ai donné à tous les parents un exemplaire complet du scénario, et je me suis entretenu avec eux pour leur expliquer plusieurs choses : pourquoi il était important pour moi de faire ce film, comment allait se passer le tournage, qu’est ce qui serait hors-champ et qu’est ce qui ne le serait pas… Je leur ai en quelque sorte fait une promesse que j’ai toujours tenue. Bien sûr ces discussions ont été longues, et il y en a que j’ai dû rencontrer plusieurs fois. On a également demandé la permission des parents avant d’envoyer le film à Cannes.

FdC: Trouver un acteur pour jouer Michael était tout aussi important, car il fallait que ce soit quelqu’un à qui chacun puisse s’identifier. Avez-vous facilement trouvé votre acteur ?

MS: Au début, c’était horrible. Quand je travaillais en tant que directeur de casting, je n’arrivais jamais à comprendre comment des réalisateurs autrichiens pouvaient écrire des scenarii sans avoir personne en tête pour interpréter les personnages. Je trouvais ça bizarre, et même stupide. Et puis j’ai fait exactement la même chose. Pire : j’avais conscience de ne connaître personne qui soit capable de jouer le rôle tel qu’il était écrit. Puis, par pur hasard, je me suis retrouvé à faire partie d’un jury chargé d'évaluer 100 films d’écoles, et Michael Fuith jouait justement dans l’un d’entre eux. Et là, j’ai su que c’était lui qu’il me fallait. Je n’ai fait passer d’essais à personne d’autre après ça.

FdC: Pouvez vous nous parler de la manière dont vous vouliez dépeindre la monstruosité ? Le personnage principal n’est en effet jamais montré clairement comme un monstre, mais comme un homme banal. Comment avez-vous maintenu cet équilibre ?

MS: Lorsqu’un crime est commis, la réaction immédiate du voisinage est presque toujours strictement la même, pleine d’incrédulité : personne n’avait rien vu venir, personne n’aurait pu s’imaginer, il était toujours si gentil, si serviable, etc… mais passé le choc initial, le désir d’instaurer une distance prend place : "En fait il a toujours été un peu bizarre, distant, pas net…" et rapidement cette distance devient vitale, elle est indispensable dans la préservation de notre normalité, et doit être intensifiée. Parce que la sécurité de notre normalité est sacrée et ne doit pas être mise en jeu. On se crée donc ces images de monstres parce qu’elles garantissent une distance et une sécurité absolue. L’image du monstre est une explication très efficace parce qu’elle trace une frontière infranchissable entre notre monde et celui du Mal. Et pourtant un grand nombre de ces crimes horribles sont perpétrés par des gens normaux, qui fonctionnent dans tout un tas de domaines dans la vie, et personne ne les croit jamais capables de faire ces choses-là. Tant que l’on continuera à parler d’eux comme des monstres, cela ne servira a rien d’essayer de comprendre leurs actions et leurs motifs, de comprendre les victimes et de les comprendre eux, parce que cette image ne sert qu’à les éloigner de nous artificiellement. Et je peux tout à fait le comprendre. Personne ne veut s’identifier à quelqu’un comme ça, à un criminel. Mais ça n’est d’aucune aide à qui que ce soit. Une société prouve son niveau de développement par la manière dont elle juge ses criminels. Et cela s’applique a de nombreux domaines, pas seulement la pédophilie. Pour toutes ces raisons, il était important de montrer Michael dans un contexte normal, pas comme un monstre. Parfois cela paraissait logique, d’autres fois absurde, et parfois révoltant. Mais je ne voyais aucune autre manière de faire.

FdC: Après avoir écrit le scenario, vous dites êtes allé le faire lire à une psychologue, pour vérifier la crédibilité du portrait psychologique du personnage principal. Avez-vous changé quoi que ce soit au scénario suite à cela ?

MS: Oui, j’ai ajouté une ligne de dialogue. Dr Heidi Kastner pensait que dans une scène en particulier, son laconisme et son manque de communication n’était pas crédible. A part cela j’étais très soulagé qu’elle soit d’accord avec ce que j’avais écrit.

FdC: Il y a aussi dans Michael des touches d’humour très surprenantes (par exemple l’utilisation de la chanson Sunny). Étaient-elles présentes dans votre projet dès le départ ? Vous êtes-vous inquiété de la manière dont le public puisse réagir face à elles ?

MS: Chaque vie contient sa dose d’humour, d’imperfections et de détails ridicules qui, aux yeux du public, rendent le personnage principal attachant. Beaucoup de gens m’ont dit que le pire moment du film, pour eux, était quand ils se rendaient compte qu’ils avaient de l’affection pour Michael, qu’ils riaient avec lui ou qu’ils se sentaient triste face à ce qui lui arrive. Ces moments-là sont décisifs, ils étaient présents dès le départ dans le scénario (y compris la chanson Sunny), parce que se sont des mécanismes pratiques pour nuancer l’image du monstre distant et pour rendre le personnage plus réaliste. Je ne me suis pas vraiment inquiété des réactions du public parce qu’on a tous vécu des situations comme celles-là. De toute façon, il ne se passe rien de particulièrement bizarre ou ridicule, rien qui ne puisse être expliqué par la fiabilité humaine qui nous relie tous.

FdC: Après avoir vu votre film, certains spectateurs ont semble-t-il pris sa froideur pour du cynisme. Je dirais au contraire que sa sobriété est très respectueuse parce qu’elle est à l’opposé de toute manipulation. Était-ce fondamental pour vous d’éviter des éléments attendus tels que des pleurs, des scènes de viol et de l’hystérie ?

MS: Merci pour cette formulation, vous avez répondu à la question à ma place. Je cherche toujours le contact avec le public, je n’ai jamais peur de discuter avec des gens qui rejettent complétement Michael. Souvent, ils réalisent eux-mêmes que les termes cynisme et manipulation peuvent s’appliquer à eux plus qu’au film. Ils se sont sentis manipulés parce qu’ils ont été amenés à réfléchir par eux-mêmes pendant presque tout le film, et certains trouvent que c’est une manière très cynique de traiter son public. Or, c'est quelque chose que j’assume complètement. Cela correspond à ma manière de travailler, c’est le genre de choses qui m’intéresse. Hannah Arendt avait une expression à ce sujet : "des pensées sans rails". Ça m’a toujours plu, comme formule. Si j’arrive toujours à la conclusion que les autres avaient déjà prévue pour moi, il ne peut y avoir de pensées nouvelles. Un film est toujours quelque chose de manipulateur parce qu’il y a quelqu’un à la base qui décide qu’est ce qui va être révélé, quand et comment. Par contre, enrober les choses de musique ou de sentimentalisme, ou encore raconter une histoire uniquement dans le but de soulager le public, comme une forme de thérapie, pour moi c’est dégueulasse. Au contraire, je trouve que cette manière simple de raconter une histoire est très respectueuse du public, dans le sens où ça ne leur explique pas ce qu’ils doivent ressentir, que ça ne les embarque pas dans un genre de voyeurisme sentimental. C’est aussi une manière de respecter la dignité des personnages dont on raconte l’histoire.

FdC: Il reste rare que des premiers films soient directement sélectionnés en compétition officielle à Cannes. Comment avez-vous réagi à l’annonce de votre sélection ? Comment s’est passé la présentation du film ?

MS: C’était la première fois que je venais à Cannes, et c’était un choc très positif! Je me suis éclaté. Je n’avais jamais rien vécu de pareil. Je suis très content car le film va pouvoir rencontrer un plus large public, désormais.

FdC: Avez-vous profité de votre présence pour voir d’autres films ?

MS: Malheureusement je n’en ai pas eu l’occasion. Suite à la présentation de Michael j’ai dû rester assis sur une terrasse et enchainer les interviews.

FdC: Le cinéma autrichien tel qu’on le connait chez nous a souvent l’air violent, et pourtant des histoires comme celle de Michael arrivent partout. Cela fait-il sens de dire que votre film peut être « typiquement autrichien » ?

MS: C’est aux gens qui habitent à l’étranger de décider de ça. Et pourtant je connais mes propres réactions, des fois, devant un film je me dis « oui, ça, c’est typiquement Italien ! » ou « c’est typiquement Anglais ». J’en ai conscience. Mais j’ai du mal à voir ce qui pourrait être typiquement autrichien. Disons qu’il s’agit d’un film européen avec quelques particularités nationales. Je n’avais jamais vraiment pensé à ça. C’est un sujet qui touche tout le monde, mais comme le film n’est pas basé sur une histoire vraie en particulier, le pays d’origine n’a que peu d’importance. Mais d’un autre coté, je veux que mon film ait ses particularités. Oui, je suis Autrichien. C’est là que je vis. Je sais comment les gens vivent, par ici. Et c’est normal que je parle de l’Autriche d’un point de vue autrichien, et c’est un peu une tradition locale. Nous sommes un petit pays dont le cinéma a pu se développer de façon unique parce qu’il n’a jamais eu à (et n’a jamais pu) s’imposer au box-office. On n’est pas obligé d’offrir des palliatifs pour plaire au plus grand nombre. On peut raconter l’histoire que l’on veut parce que c’est au public de suivre l’artiste (s’il le veut), et non pas forcément l’inverse. La réalité est quelque chose d’acceptable. Le réalisme, c’est du réalisme, ce n’est pas par exemple un acteur sexy, bien coiffé et bien habillé qui court dans les champs de blé avec une blonde en plein été alors qu’ils ont soit-disant un grave problème à coté. Quand je pense à ce qu’on considère comme étant réaliste au cinéma depuis quelques années… soit je me marre, soit je m’énerve sérieusement.

FdC: Quels sont vos projets ?

MS: On a terminé de tourner la dernière scène de Michael en janvier, et avec la postproduction, Cannes et toute son agitation, sans compter d’autres festivals, je n’ai pas eu le temps de passer concrètement à autre chose. En tout cas ce que je peux dire, c’est que je souhaite continuer à réaliser des films.

par Gregory Coutaut

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