Entretien avec Peter Modestij

Entretien avec Peter Modestij

6A, premier long métrage du Suédois Peter Modestij, a été l'une des principales découvertes de la dernière Berlinale. Ce film raconte l'histoire d'une réunion scolaire entre des parents en colère, des enseignants désemparés et trois lycéennes après des plaintes pour harcèlement. Le résultat est tendu, concis et surprenant. FilmDeCulte vous fait les présentations avec un jeune auteur à suivre...

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Quel a été le point de départ de 6A ?

6A s'inspire d'une histoire vraie qui est arrivée à quelques uns de nos amis, lorsqu'ils étaient en sixième. On a brodé sur cette situation, en se basant également sur nos expériences, à Siri (Hjorton-Wagner, productrice du film, ndlr) et à moi. C'est cette situation qui m'a attiré avant tout: cette discussion sur qui a harcelé qui, et la façon dont les filles sont blâmées et sont finalement victimes d'un environnement scolaire pas si sain. La plupart des films que j'ai développés récemment traitent d'adultes qui laissent tomber les gosses et 6A m'a donné l'opportunité parfaite pour parler de cela.

Dans 6A, il y a souvent la tête de quelqu'un dans le champ, la caméra n'est pas toujours dirigée vers celui qui parle. Ces choix esthétiques assez déroutants créent un sentiment d'immersion et d'implication, comme si le spectateur se retrouvait lui-même dans cette réunion. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce choix ?

Notre processus est la principale raison de ce choix esthétique. On ne voulait pas trop déranger les acteurs durant le tournage. Du coup on a pensé qu'une caméra qui zoomerait, posée dans un coin de la salle, suffirait pour capter la tension dramatique à l’œuvre. Et d'ailleurs on n'a pas ressenti le besoin de corriger cette sensation un peu télévisuelle d'une certaine manière, on voulait avant tout saisir les émotions de chacun dans la salle. Voir à 100% les gens parler ne constituait pas une priorité. Notre directrice de la photographie Lisabi Fridell et son équipe devaient suivre l'action comme s'il s'agissait d'un documentaire. Parfois, Lisabi n'avait tout simplement pas idée de ce qui allait suivre, elle devait donc rester en alerte, suivre l'histoire de la meilleure façon possible et de l'endroit où elle se trouvait. Lors du montage, ma monteuse Linda Jildmalm et moi-même pesions en permanence le pour et le contre dans les choix que nous faisions. Et au final nous avons toujours fait le choix du jeu d'acteur et de l'émotion, au lieu d'un cadre plus "correct" ou plus clair. C'était ça, l'élément clef dans la création visuelle de 6A.

A quel moment de l'élaboration du film avez-vous décidé que celui-ci serait filmé en temps réel ?

Eh bien le film a fini par durer une heure en suivant le script et en faisant en sorte de rendre chaque partie de l'action crédible. Une heure, c'était aussi la durée maximum que le public pouvait endurer à nos yeux. En réalité, je pense que cette réunion est plus longue que ce qu'on voit à l'écran. Ce genre de réunion peut durer des heures à vrai dire. Mais nous voulions jouer sur ce sentiment de temps réel bien sûr, et cela s'est en partie confirmé lors du montage.

6A est court, mais il est aussi rempli de tension. Comment avez-vous trouvé l'équilibre idéal entre cette tension et les moments de répit ? Était-ce présent dans le script, ou est-ce que cela a été élaboré au moment du montage ?

Cette sensation de chaud-froid était en premier lieu dans le scénario. Je le crois en tout cas. Mais durant la première partie du montage, tout nous a semblé très bavard et très dense d'un bout à l'autre. Cela manquait alors de dynamique, on avait l'impression que tout le monde se disputait en permanence. J'imagine qu'il a donc fallu travailler quelque chose en profondeur afin d'être fidèle à la vision originale du script. Mon idée pour le film était qu'il y ait deux grandes vagues qui se construisent et s'affrontent, avec entre elles de parties plus calmes. C'est comme si nous avions un graphique avec une vague qu'il fallait suivre afin de construire crescendo la tension et le volume sonore dans la salle de classe jusqu'au pic... Avant de retravailler à nouveau sur la construction de la tension pour accompagner la seconde éruption ou pic du dernier acte.

La discussion entre les personnages est tellement naturelle et spontanée qu'elle semble impossible à créer artificiellement. Avez-vous laissé de la place à l'improvisation ou est-ce que tout était écrit ? Avez-vous fait beaucoup de répétitions ?

Tout a été improvisé lors de longues prises. Aucun des acteurs n'a eu de scénario à lire. Le but a plutôt été de contrôler l'improvisation et essayer de provoquer chez les acteurs les réactions écrites dans le script. Pour en arriver là, nous avons emprunté un petit détour : j'ai divisé le scénario en six parties. Nous avons tout filmé en morcelant, trois parties un jour puis trois parties un autre. Le film a été tourné en 4 jours. Les informations fournies aux acteurs concernaient essentiellement leurs personnages. Si on a fait des répétitions, c'était surtout pour construire les personnages et leurs relations. Nous voulions garder l'histoire secrète le plus longtemps possible. La veille du tournage, on a fourni quelques détails et nous avons souhaité expérimenter avec chacun ; je ne savais pas vraiment quel serait le résultat. Et puis nous avons pu voir que nous parvenions plus ou moins à ce que nous avions écrit. Nous avons eu de la chance ! En voyant le film aujourd'hui, c'est assez drôle de voir comme il est proche du scénario, sans avoir eu à "jouer" les dialogues.

Il y a dans votre film un sentiment grandissant de malaise qui m'a en quelque sorte rappelé deux autres réalisateurs suédois contemporains: Ruben Östlund et Anna Odell. Êtes-vous d'accord si je vous dis que vous partagez une même façon de traiter de la violence inhérente à nos sociétés ?

Oui... et non. Cinématographiquement, nous ne partageons pas forcément le même point de vue avec Ruben et Anna, mais par contre nous partageons peut-être davantage au sujet des gens et de la société.

Ester Martin Bergsmark apparaît au générique de votre film. Nous avons vu et adoré Something Must Break. Quelle a été l'implication d'Ester dans la création de 6A ?

Ester Martin (lire notre entretien) a été d'une grande aide à la lecture du script et en regardant le film en cours de montage.

Les personnages de 6A parlent parfois les uns sur les autres, et pourtant les dialogues restent en permanence audibles. En tant que spectateurs, on est immergé dans ces dialogues mais jamais perdus. Comment avez-vous travaillé sur le son pour arriver à un tel résultat ?

Le montage et mixage sonores n'ont pas été facile à faire. Comme nous laissions parler chacun librement, ça n'était pas une tâche aisée. Le travail sonore a été un instrument, au même titre que le montage. Les deux procédés ont été très fastidieux, détaillés, et la seule manière d'arriver quelque part était de persévérer et d'y travailler beaucoup.

Je souhaitais également vous parler de la fin du film, qui est à la fois ironique et amère : tout le monde s'autocongratule pour ses qualités de communication... mais rien n'a été résolu.

La génération actuelle d'adultes a laissé tomber les enfants. Pour moi, c'est le message le plus important dans 6A. C'est évident partout dans la société: au sujet des écoles, du changement climatique etc. La société moderne prétend que la chose la plus importante, ce sont les enfants, mais ça n'est suivi par aucune action réelle.

Quels sont vos projets ?

Je viens d'achever un premier traitement de mon prochain film, SUB. Ce sera un teenage movie assez tendu, pour les adultes mais aussi les plus jeunes, sur l'anxiété liée au changement climatique mais aussi sur le féminisme.

Entretien réalisé le 25 mars 2016.

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par Nicolas Bardot

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Notre critique de 6A

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