Entretien avec Ester Martin Bergsmark

Entretien avec Ester Martin Bergsmark

Ester Martin Bergsmark a remporté le Tigre d'or du meilleur film en début d'année au Festival de Rotterdam avec Something Must Break. Cette romance atypique venue de Suède arrive en salles le 10 décembre et c'est une véritable perle. Entretien avec une des révélations de l'année...

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Comment est né Something Must Break ?

Tout est parti du roman de Eli Leven, Nånting måste gå sönder. La poésie de cette langue, le personnage étaient bouleversants. J’avais une image en tête que je ne pouvais enlever de mon esprit : un ralenti extrême de Sebastian se faisant tirer les cheveux, avec son visage qui va de la douleur au plaisir. Pour moi c’est un film sur ça, sur la douleur et le plaisir, et combien ils peuvent être proches l’un de l’autre.

Le personnage de Sebastian/Ellie est unique, c’est un personnage qu’on ne voit nulle part ailleurs. Y a-t-il une dimension politique à raconter une telle histoire ?

Oui bien sûr, c’est politique. Mais ce qui est important c’est que le personnage ne le soit pas. Dans le sens où le récit doit être raconté d’une perspective humaine. Et ça rend le propos encore plus politique.

Saga Becker illumine le film. Comment s’est déroulé le casting ?

C’est Saga qui est venu-e à moi. J’ai cherché parmi des acteurs et des non-acteurs, ça m’a pris deux ans. C’était déprimant. Et Saga a lu un article parlant de l’adaptation de ce livre au cinéma. Saga vivait dans une petite ville , a lu le livre le jour-même, a envoyé un email la nuit suivante : « Je suis Sebastian ». Avant de prévenir sa mère : « Je vais jouer ce rôle », avant même l’audition. C’est le destin ! Et c’était presque trop beau pour être vrai. Durant l’audition, j’ai testé ses limites. Avec un visage aussi beau et fort, une telle prestance, il suffit parfois de filmer Saga et tout devient magique.

Vous avez tourné des documentaires auparavant. Something Must Break se situe quelque part entre le pur réalisme et un romantisme total. Le film tire sa force de ce mélange.

Oui, tout à fait. C’est totalement ce que j’ai essayé de faire.

Quels choix fait-on pour traduire à l’image ce double aspect ?

Pour moi le réalisme est déjà une forme de fiction. C’est une approche qui domine le cinéma en Europe du nord. Je voulais pousser cela vers le mélo romantique, qui est parfois plus fidèle à la façon dont nos yeux voient le monde. Sebastian et Andreas sont des personnages romantiques. Je voulais faire un film d’amour avec des personnages qui désirent vivre dans un film d’amour. Mais le réalisme impose quelque chose de différent, comme les choses très concrètes liées au corps. Mais parfois, ils peuvent être dans ce film d’amour et cette rêverie.

Les scènes de sexe sont très belles et assez atypiques.

Il y a différentes scènes de sexe. Ma préférée est la première entre les deux personnages principaux. Il y a une nudité émotionnelle, une innocence. Je voulais faire le film d’amour auquel je croyais. Avec des personnages qui tombent amoureux en même temps qu’ils font l’expérience de leur propre corps. Je voulais qu’on puisse sentir ces corps, les respirer. On savait ce qu’on voulait, quelles étaient les limites. Je laissais mes acteurs sur le sofa en leur chuchotant choses. C’était fun.

Pouvez-vous nous parler de l’importance de la musique ?

Durant l’écriture, on était accompagné par des chansons sur une playlist. Je voulais des chansons pour le film, c’est la playlist de ces deux amoureux. La musique fait partie du script lui-même. J’ai pensé à The Knife, Houwaida, ou à Tami Tamika – c’est comme si sa chanson I Never Loved This Hard This Fast Before avait été écrite pour le film. Ce sont des paroles à la fois pathétiques, explicites, mais vraies et authentiques. Comme le film. Et c’était primordial d’être fidèle à ce personnage adolescent qui saigne.

Le titre international de Something Must Break est aussi celui d’une chanson de Joy Division. Pouvez-vous nous parler de ce choix ?

En fait cela vient d’une phrase suédoise, qui traduite est le même que Joy Division. Ça parle de la destruction en même temps que de la vie, de vivre la vie pleinement.

Sebastian/Ellie n’a pas une identité de genre fixe et définie. Si ce n’est pas trop indiscret, dans quelle mesure vous identifiez-vous à ce personnages ?

A ce jour, je ne sais pas. Je ne peux pas y répondre maintenant.

Comment se construit-on hors du système binaire homme-femme en Suède ?

Il y a quelque chose de très rationnel : les gens sont obsédés par ce système. Les genres dans ce qu’ils ont de plus commun. J’ai reçu un email de l'Académie suédoise, me demandant dans quelle catégorie mettre Saga Becker: acteur ou actrice. J’ai répondu : les deux.

Comment le film a t-il été reçu en Suède ?

Il y a eu de bonnes critiques mais aussi des gens qui n'ont pas compris le film. Lors de la sortie danoise, l'accueil a été beaucoup plus chaleureux. Je pense que la Suède est coincée sur certains aspects. Pour moi Something Must Break est une histoire d'amour pure et honnête, certains ont pensé que c’était plus extrême que ce que j’avais imaginé. Je leur donne quelques années avant d’aimer le film !

On a pu voir apparaître pas mal de nouveaux réalisateurs venus de Suède ces derniers temps comme Axel Petersen (Avalon), Anna Odell (The Reunion), Lisa Aschan (Voltiges) ou Ruben Östlund (Force majeure, Play). Avez-vous le sentiment que quelque chose de neuf se passe en Suède ?

Je ne pensais pas qu’il y avait des gens hors de Suède qui s’intéressaient à ça ! En fait on ne se connait pas tellement entre nous. C'est, je dirais, plus dur de faire des films en Suède aujourd’hui. L’État donne moins d'argent qu'auparavant, et celui-ci va davantage aux blockbusters. C'est difficile de financer un autre cinéma. Mais j'espère que ce renouveau de réalisateurs va continuer.

Quels sont à vos yeux les films qui retranscrivent le mieux et le plus finement des personnages transgenres au cinéma ?

Je n'en ai pas vu tant que ça. A part le mien. Alors voilà le meilleur ! (rires)

Quels sont vos projets ?

J'ai fini mon premier clip. Je n'ai jamais fait de court métrage auparavant, alors je vais expérimenter. Et je continue d’écrire, je travaille sur deux films et une série télé.

Entretien réalisé le 22 octobre 2014. Un grand merci à Matthieu Rey.

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par Nicolas Bardot

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