Takeshi Kitano

Takeshi Kitano
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Réalisateur, Scénario, Acteur
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"Beat" Takeshi Kitano. Un visage impassible, paralysé en partie depuis un accident de moto en 1994. Un masque de peau secoué par des tics nerveux qui trahissent le bouillonnement intérieur, la rage contenue d'un clown blanc devenu cinéaste par hasard, à moins - première énigme - que cela soit l'inverse. Peintre, écrivain, comique, acteur, réalisateur: Kitano multiplie les expériences artistiques pour cerner une mort qu'il ne craint plus. Ses films sont autant de testaments nostalgiques, de bouteilles à la mer, de road movies lents, tristes et magnifiques, dans lesquels l'amour, la vie, l'art et la mort sont inextricablement liés.

LE ROI DU GAG

"Merry Christmas Mister Lawrence". Les cinéphiles n'ont pas oublié cette célèbre réplique de Furyo de Nagisa Oshima, véritable acte de naissance de Takeshi Kitano au cinéma. Star de la télévision japonaise aux commandes d’un gigantesque show potache, Beat Takeshi n’occupe encore aucun poste derrière la caméra. Après un court passage à l’université, il choisit de devenir acteur de cabaret. Il s’initie aux claquettes et à l’expression corporelle puis devient simple bateleur, comme les deux personnages secondaires de Kids Return. Au début des années 80, il endosse le rôle du comique troupier et s’amuse d’un parler très vulgaire. La télévision lui offre une audience considérable: Beat Takeshi est né. Au cinéma, l’artiste nippon privilégie les rôles dramatiques, mais le succès n’est pas au rendez-vous. A chacune de ses apparitions, le public japonais est pris d’un irrésistible fou rire. Quand il décide de remplacer au pied levé Kinji Fukasaku (Battle Royale) sur le tournage de Violent Cop, personne ne relève ce premier tour de manivelle. Quinze ans plus tard, l’aspect schizophrénique de sa carrière n’est toujours pas élucidé. En Occident, il est considéré à juste titre comme l’un des plus grands cinéastes de son temps. Au Japon, il n’est qu’un bouffon scandaleux qui dilapide ses yens dans des suicides commerciaux. Au yeux de ses détracteurs, le cinéma de Takeshi Kitano n’est qu’un habile détournement des règles du polar.

NOIR C’EST NOIR

La confusion est née des aléas de la distribution des films asiatiques dans les salles françaises. Supposés plus vendeurs, les polars existentiels du réalisateur ont été les premiers à pénétrer le marché hexagonal. En toute logique, ils ont installé une réputation infondée de spécialiste du film noir. Dès son premier film Violent Cop, Takeshi Kitano impose un style: sécheresse de la mise en scène, ambiguïté morale du héros, violence exacerbée, construction narrative alambiquée, faisant volontairement l’impasse sur les temps forts supposés. Si, dans la plupart de ses longs métrages, Kitano raconte des histoires de yakuza pathétiques ou de flics corrompus, ce n’est nullement pour occuper un créneau commercial, mais pour refléter l’état social de son pays et les doutes qui le taraudent. "Dans la société japonaise, seuls les flics et les yakuza sont confrontés à la mort quotidiennement. Un cinéaste qui veut exprimer son idée sur la vie et la mort n’a que deux possibilités, parler des flics ou parler des yakuza" (HK, n°5). Tout ce qui prédomine dans un film policier est naturellement relégué à l’arrière-plan. Seul Aniki, mon frère s’inscrit véritablement dans la tradition des gangsters au cinéma, avec l’ascension puis la chute très hawksienne d’un parrain yakusa. Comme si le déplacement de l’intrigue aux Etats-Unis forçait le cinéaste à expliquer les rites mafieux et à rythmer l’action par des règlements de compte.

LE PARADIS PERDU

Réduire Kitano au simple film noir est donc une fausse piste. L’artiste aborde toujours des thèmes très personnels qui dépassent le climax policier. Dans ses œuvres, l’amour et la mort sont omniprésents. Il y plane toujours un sentiment d’inéluctable. Le héros kitanien rêve d’un retour impossible à un état antérieur. Le jeune marié de Dolls, les garçons de Kids Return, le flic de Hana-Bi, le gangster d’Aniki, mon frère, tous espèrent revenir à l’heure du choix pour ne pas commettre les mêmes erreurs. La structure narrative des longs métrages illustre ce questionnement. Takeshi Kitano jongle avec les strates temporelles pour donner l’illusion d’un retour en arrière. Le héros s’enfonce pourtant dans un comportement jusqu’en-boutiste, sans échappatoire. Au terme du voyage, une constante: la mer, force d’attraction et de répulsion: "Quand je suis près de la mer, je sens une violence latente, une tension terrible qui me fascine en tant qu’homme et en tant que cinéaste mais qui m’effraie tout autant. Il ne me viendrait pas à l’idée d’y entrer. Je ne me baigne jamais." (HK, n°5). A Scene at the Sea fait figure de parenthèse dans sa carrière; même Getting Any et L’Eté de Kikujiro se révèlent faussement optimistes. Le jeune muet, d’apparence si frêle, parvient à dompter les vagues et le cœur d’une jolie fan. Un film étrange, d’avant son accident, qui est le parfait contrepoint des sombres Violent Cop et Jugatsu.

LE MYSTERE KITANO

La famille de Kitano s’est toujours exprimée par l’intermédiaire de l’art. Sa grand-mère paternelle, Yaeko Takemoto, était une célèbre conteuse de Bunraku (théâtre de marionnette japonais) et une joueuse de Shamisen, luth à manche long pourvu de trois cordes. L’un de ses ascendants, grand maître de Kabuki, lui avait enseigné cette tradition scénique. Le père du réalisateur nippon était peintre en bâtiment. Il pratiquait également la danse et réalisait de petits objets peints en laque. Même si Kitano l’a peu connu, la fibre artistique lui a été transmise. Audacieux, il dévoile plusieurs de ses dessins à l’écran. Le style naïf et enfantin du trait contraste avec la charge symbolique et métaphorique du récit. Dans Hana-Bi, un suicide est représenté par une emprunte rouge dans la neige. Son talent multi-facettes ne se limite pas au dessin. L’angelot de L’Eté de Kikujiro a été fabriqué par ses soins. Dolls lui donne l’occasion de rendre conjointement hommage au Bunraku et à la personnalité de Chikamatsu, le Shakespeare japonais, dont la prose illumine le film. L’âge déclinant, Takeshi Kitano semble de plus en plus inspiré par l’Histoire de son pays. Acteur samouraï dans Tabou de Nagisa Oshima, le réalisateur a abordé le genre du chambara dans une nouvelle version de Zaitochi. Le succès du film était au rendez-vous mais maïtre Takeshi entra alors dans une incroyable crise d'inspiration. Par peur de se répéter, il enchaîna deux comédies absurdes Takeshi's et Glory to the Filmaker. Annoncé plus tradtionnel, Achille et la Tortue pourrait lui permettre de retrouver du crédit auprès des cinéphiles.

CHEF DE GANG

Takeshi Kitano s’entoure presque toujours de la même équipe technique. Depuis Sonatine, Joe Hisaishi collabore à tous les films du cinéaste. Seul Getting Any fait exception à la règle. Compositeur attitré de Hayao Miyazaki, l’arrangeur élabore pour Kitano des partitions aux tonalités enfantines, simples et épurées qui accentuent l’émotion discrète des images. Influencé par les travaux de Philip Glass et Terry Riley, la musique de Hisaishi se veut minimaliste, seulement limitée à quelques accords, bien loin de l’emphase symphonique des derniers films du studio Ghibli. L’expression la plus parfaite de son art se retrouve dans Dolls et son unique motif mélancolique répété à l’infini. Takeshi Kitano décrit leur entente artistique comme une lutte permanente: "Notre collaboration est à la fois très forte et très conflictuelle, pas amicale du tout. C’est un combat de boxe permanent. Généralement, je lui porte le premier coup en lui présentant un premier bout à bout des rushes. Il encaisse le choc et me répond par la musique." (HK, n°5). La notoriété de ses films en Europe et aux Etats-Unis a permis la découverte d’acteurs sensationnels: Claude Maki (A Scene at the Sea, Aniki, mon frère), Ren Ohsugi (Hana-Bi, Aniki, mon frère) et bien sûr Susumu Terajima, ancien compagnon de route de Beat Takeshi, devenu l’icône du jeune cinéma japonais. Outre les films de Kitano, on a pu l’apprécier dans After Life, Distance de Hirokazu Kore-Eda et Okaeri de Makoto Shinozuki.

par Yannick Vély

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