Wong Kar-Wai

Wong Kar-Wai
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Réalisateur, Scénario
Chine, République populaire de

L’angoisse de la page blanche, Wong Kar-Wai la sublime en art du tâtonnement. Des verres fumés en guise de signature coquette, une cartouche de Lucky Strike à portée du combo, l’irrésolu lance un regard amusé sur le vaillant petit orchestre qui le suit aveuglément. Les langues se délient, les violons s’échauffent, les sillons contradictoires n’en finissent plus de se perdre. Une semaine, un mois, deux hivers, trois printemps… La tête chercheuse ne se décide toujours pas à lâcher prise. WKW ou le principe de l’incertitude: une symphonie de l’impossible aussi hasardeux qu’éprouvant, ou le désir sans cesse renouvelé de raviver les songes. Une genèse papillonnante, quitte ou double permanent, dont l’ambition secrète serait d’arrêter le temps.

A UNE PASSANTE

"Quand on se croise, un millimètre nous sépare."

[Chungking Express]

Elle voudrait le retrouver à l’arrêt de bus. Il rêve de la bousculer dans la rue adjacente. La pluie s’est évaporée, la foule s’est liquéfiée. L’un n’a d’yeux que pour l’autre, l'autre tourne les talons et boude l’évidence. Les corps-aimants mendient, gémissent, se frôlent, puis s’éclipsent. Les affaires de cœur de Wong Kar-Wai sont d’abord des affaires de leurre, de déveine chronique et d’invitations tardives. Avant même de grignoter les maillons d’une chaîne et de faire tournoyer ses tandems, Wong s’imprègne des battements suintants d’une ville – sa ville –, Hong-Kong: l’une des plus fortes densités au monde, où la mémoire et le souvenir sont régulièrement battus en brèche par le désir de tout reconstruire. Adieu ruelles contiguës, échoppes brinquebalantes, place au clinquant et à l’immaculé. Les échafaudages en bambou tapissent déjà les façades meurtries. Chungking Express et Les Anges déchus jaillissent littéralement du bitume, de ces foyers décrépis dont seul Wong semble vouloir capturer la beauté. Même lorsqu’il s’exile à Buenos Aires, les pavés et les terrains vagues rappellent les couleurs saturées de la métropole. A partir de cette ancre familière et bourdonnante, Wong peut s’adonner à ses intrigues de géomètre, de tangos surexposés et de petits apartés nocturnes. D’une lave foisonnante et dissipée, il extrait d’authentiques fleurs de solitude, mesure encore et toujours la distance irréductible qui sépare deux âmes frileuses et indolentes.

ELEGIE DU HASARD

"Et si on recommençait à zéro?"

[Happy Together]

WKW palpe les gerçures du cœur, en examine les moindres craquèlements. La touche magique de l’esthète est pourtant née de considérations plus naïves qu’il n’y paraît. La palette onctueuse de Christopher Doyle et les capharnaüms piquants de William Chang Suk-Ping se sont adaptés aux contraintes de l’espace, des virevoltes de la production et du cerveau tatillon de l’artiste. Scénariste de formation, Wong est paradoxalement réputé pour son indécrottable paresse narrative. Alignées bout à bout, ses miniatures esquissent à peine une histoire; elles émettent une vibration, un mouvement sinusoïdal, un son. Des froissement de tissus comme autant de parades amoureuses, de discrets hochements de têtes plutôt que des divagations sirupeuses. Clamant haut et fort leur goût de l’improvisation – les inépuisables jam sessions -, les trois agitateurs aspirent l’hystérie et l’énergie tonitruantes de Kowloon pour en dégager des blocs de silence, troués de failles temporelles. Hong-Kong revisité par Wong est précisément une ville hors des certitudes, hors des saisons. Les tournages dans le désert de Yuli (Les Cendres du temps), en Argentine (Happy Together) restituent eux aussi ce parfum d’évasion. WKW est indubitablement le héraut du spleen urbain, mais ses vacillements galants l’amènent vers un îlot de sensualité rêveuse, une géographie entièrement fantasmée, de fragments versatiles hantés par les mêmes silhouettes. Films-synecdoques, Nos Années sauvages ou In the Mood for Love jouxtent des cagibis, des rues isolées et ne montrent jamais une carte dans sa totalité.

LES RAISONS DU CŒUR

"S’il y avait un deuxième billet, partirions-nous ensemble?"

[In the Mood for Love]

Avec ses récurrences musicales, ses dentelles qui rivalisent de justesse et se répètent à l’infini, le cinéma de Wong Kar-Wai ressemble à un livre de sable, sans prologue ni point final. Chungking Express a vu le jour sur un coup de tête, pendant l’interruption de tournage des Cendres du temps. Le deuxième chapitre de Nos Années sauvages dédié aux Beatles et à la folie des casinos est resté à l’état d’ébauche, faute d’un porte-monnaie conséquent. Wong attendra dix ans avant de faire revêtir à Maggie Cheung ses qibao (robes à col Mao) brodées sur mesure. In the Mood for Love et le projet fleuve 2046 réitèrent cette gémellité. Wong Kar-Wai pourrait être l’auteur d’un refrain unique, dépoussiéré et lustré chaque année. Ou au contraire, d’une multitude de longs et moyens couplets, qui s’émiettent capricieusement au fil des semaines. L’infortunée Shirley Kwan a ainsi disparu de la version définitive de Happy Together pour resurgir dans un document inédit, Buenos Aires Zero Degree, monté à partir des chutes du film. "La raison pour laquelle il me faut autant de temps pour faire un film (…), c’est que j’imagine chaque tournage comme le dernier (…). Je ne veux pas avoir de regrets ou d’excuses, me dire que je ferai mieux la prochaine fois. La manière dont vous envisagez un film évolue pendant sa réalisation, d’où la nécessité de nombreux réajustements." (WKW, Time Asia)

DOULEUR EXQUISE

"Cette nuit, tu rêveras de moi."

[Nos Années sauvages]

La plus belle histoire d’amour de Wong Kar-Wai, c’est encore celle qui l’unit à ses acteurs, étoiles grelottantes ou Grandes Ourses effarouchées. Le cinéaste avoue s’inspirer librement de la personnalité et de la grâce de ses patients, dont il dévore les battements de cils et célèbre les maladresses à la dérobée. Un film ne s’épanouit qu’en présence de ces paupières languissantes et de ces pupilles enjôleuses. La timidité d’un Tony Leung Chiu-Wai, la détermination d’une Maggie Cheung ou la candeur d’une Faye Wong ont raison des frontières bétonnées imposées par le script. Ces mêmes témoins zélés ignorent le plus souvent la tournure que prendra la toquade, Wong Kar-Wai étant le grand gourou des subterfuges et des contre-indications. Le désir de perfection et la somptuosité des atours vont de pair avec l’inspiration cinégénique – Hitchcock et Antonioni en motifs souterrains –, comme si le cinéaste s’amusait à sculpter minutieusement toutes les faces d’un polygone. Sous le vernis, le diamant brut: les émotions qui bafouillent, les sentiments qui trébuchent et les plaies qui s’entrouvrent en silence. Ho Po-Wing s’écorche les mains par amour. Lai Yiu-Fai panse les cicatrices restantes. Parce que sa mère naturelle a refusé de l’accueillir, Yuddy refuse de lui montrer son visage. Wong Kar-Wai sera un éternel retardataire; son atelier permanent a pourtant la précision d’un horloger. Ses équations sibyllines ont trouvé leur apogée dans 2046. Deux ans après avoir chahuté la Croisette, Wong hérite de la présidence du jury. Les lunettes noires et les nuits blanches sont encore d'actualité.

par Danielle Chou

En savoir plus

Réalisateur - scénariste:

2007 The Lady from Shanghai 2006 My Blueberry Nights 2004 2046 2001 In the Mood for Love 1997 Happy Together 1995 Les Anges déchus 1994 Les Cendres du temps 1994 Chungking Express 1991 Nos Années sauvages 1988 As Tears Go By

Scénariste:

1990 Return Engagement 1988 Walk on Fire 1987 The Haunted Cop Shop 1987 Flaming Brothers 1987 The Final Victory 1986 Goodbye My Hero 1986 Rosa 1986 Sweet Surrender 1985 Unforgettable Fantasy 1984 Silent Romance 1983 Just for Fun 1982 Once Upon a Rainbow

Producteur:

2002 Chinese Odyssey 1997 First Love – The Litter on the Breeze 1993 The Eagle Shooting Hero

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