Entretien avec Yann Gonzalez

Entretien avec Yann Gonzalez

Avec Les Rencontres d'après minuit, Yann Gonzalez signe un des premiers films français les plus enthousiasmants de ces dernières années. L'histoire: au cœur de la nuit, un jeune couple et leur gouvernante travestie préparent une orgie. Sont attendus La Chienne, La Star, L'Etalon et L'Adolescent. Gonzalez orchestre une rêverie poétique qui laisse une large place à l'imaginaire. Le jeune réalisateur se confie longuement et très librement sur la conception du film, sur ses influences et sur le formatage dans le cinéma français.

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FilmDeCulte : Tu as été critique de cinéma avant de réaliser des films. Est-ce que la critique a été, d'une certaine manière, une école de cinéma pour toi ?

Yann Gonzalez : Oui et non. Oui parce que ça m’a permis de voir énormément de films et de passer mon temps à ça. Et non parce que ça n’a jamais été une vocation. J’ai toujours voulu faire du cinéma et la critique est arrivée un peu par hasard, par accident. Même si j’ai passé de super années notamment quand j’ai bossé pour Maxx, un magazine masculin avec des filles à poil en couverture. Moi je m’occupais des pages culture ! Mais je crois que je ne me suis jamais considéré comme un vrai critique. Lors de mes 2-3 premières années à Chronic'art, je crois que j’ai été un critique très arrogant, très virulent et cette violence-là j’ai un peu de mal à l’assumer aujourd’hui. Non pas parce que mon film va sortir etc, mais parce que c’était vraiment un péché de jeunesse, c’était une façon aussi de revendiquer très fortement mon territoire, des goûts de cinéma. Mais je pense que, malheureusement, c’est des choses qui restent, que j’aimerais voir disparaître et dont je ne suis pas très fier !

FDC : Qu'est-ce qui a fait naître chez toi l'envie de faire les Rencontres d'après minuit ? Est-ce que c'est l'histoire du film qui est arrivée en premier ou l'envie de raconter ces personnages, ou un sentiment etc ?

YG : C’est plein de choses, c’est à la fois la musique, la littérature… J’ai l’impression que les choses n’arrivent jamais par hasard. Par exemple je lisais le journal de Mireille Havet qui est une auteure des années 20 proche de Cocteau. Je crois que c’est vraiment les sensations que j’ai éprouvées en lisant son journal qui m’ont donné envie de passer à l’écriture du long métrage et de retrouver cette émotion qui m’a traversé. Tout est venu un peu dans le désordre. J’avais envie de réunir plusieurs personnages, j’avais envie de filmer Kate Moran et Julie Brémond, de les confronter à d’autres corps et d’autres acteurs. J’aimais cette idée de réunion mais je ne savais pas trop comment faire au départ. Le sexe est un peu la matière première de mes films depuis mes courts métrages donc ça m’a paru naturel de les réunir pour une orgie. C’est une orgie un peu particulière qui devient complètement autre chose, une orgie amicale, familiale, sentimentale…

FDC : Comment on produit un film aussi atypique aujourd'hui ?

YG : J’ai trouvé que c’était très long, frustrant et difficile. J’ai commencé à écrire en août 2009. Donc on a mis 3 ans et demi avant de tourner puisque le tournage a eu lieu en décembre 2012/janvier 2013. Je crois que pour un premier long métrage c’est un temps de financement à peu près normal mais moi ça m’a semblé extrêmement long. On a eu énormément de rejets de la part des commissions qui trouvaient ça trop « hybride », c’est en général ce qui revenait. Le CNC m’a même reproché de ne pas avoir carrément écrit un porno en fait, à partir du postulat érotique. Ce côté 'sortir des cases dans lesquelles on t’a assigné' était compliqué à faire entendre. Après j’ai eu quand même de la chance. Je n’ai eu aucun financement privé, aucune télé mais on a eu l’avance sur recettes à l’arrachée au bout de la 3e fois avec un président de la commission, Paul Otchakovsky-Laurens, qui vient de la littérature. Ce qui n’est pas un hasard non plus. Il a, je crois, vachement défendu le scénario. Mais je n’étais pas étonné que ce soit quelqu’un d’un peu extérieur au carcan du cinéma contemporain français qui défende ce projet. On a eu ça et une aide régionale, on a fait le film avec moins d’un million d’Euros.

FDC : Est-ce que ça correspondait à ce que tu imaginais au départ ?

YG : Je suis un peu largué par rapport aux histoires de budget, sur combien il faut pour faire un film… Mais ma productrice a été assez folle pour se dire qu’à un moment on pouvait y aller. Donc on a foncé, on l’a fait et voilà. Je crois qu’elle a quelques dettes encore aujourd’hui (rires) ! On espère qu’il y aura au final un achat télé, peut-être d’Arte ou Canal+. On verra.

FDC : Sur Les Rencontres d'après minuit, tu travailles beaucoup sur l'artificialité pour créer l'émotion...

YG : Tout à fait.

FDC : ... C'est quelque chose qu'on a pu voir auparavant chez d'autres cinéastes français mais qu'on voit très rarement aujourd'hui. J'ai souvent le sentiment que les premiers films sont obsédés par une idée de justesse, de savoir-faire, de réalisme.

YG : C’est déprimant hein ?

FDC : Un peu oui. Comment tu expliques ce formatage ?

YG : Je pense que ça vient de loin en fait. Je dirais qu'au départ ça vient même des courts métrages. C’est un milieu très excluant. C’est très compliqué de sortir des normes et c’est un format qui prépare au formatage. Tous les gens un peu singuliers ont rarement été aidés, à part par le GREC qui est une super plateforme de production et qui défend des projets très atypiques, hors normes, mutants. Par exemple la contribution financière du CNC, je trouve que c’est une catastrophe. Je ne comprends pas leurs choix. J’ai fait partie de leur comité de lecture et tous les projets un peu fous, enthousiasmants que je pouvais lire et que je faisais passer en plénière n’étaient jamais défendus au final. Je ne dis pas que j'ai un goût extraordinaire et que ça allait forcément devenir des films géniaux mais quand même, ça signifie quelque chose. C’est un peu angoissant. C’est un peu la même chose pour les festivals de courts sauf certains comme Pantin et d'autres. Donc déjà, ça vient de là. Ensuite ça vient de toute la censure et de la terreur, de la peur d’un cinéma différent, ça vient de la télévision… et je ne mettrais pas ça sur le dos du public. C’est un manque de confiance en le public et un formatage total de la part des télévisions, des producteurs, des SOFICA, de tous les guichets financiers du cinéma français. Il y a une fermeture de plus en plus forte de ce côté-là. Après cette année pour le cinéma français c’était assez stimulant, il y a vraiment eu quelques films ovnis, je pense au film de Serge Bozon (Tip Top, ndlr), au film d’Héléna Klotz (lire notre entretien) qui est sorti l’année dernière (L’Âge atomique), au film de Guiraudie (L’Inconnu du lac) qui est hyper stimulant… Il y a encore des cinéastes qui arrivent à outrepasser cette censure et ces barrières. Mais je pense que c’est beaucoup plus difficile qu’il y a 20 ou 30 ans.

FDC : Toujours sur cette question du formatage: tu as parlé de ton admiration pour Innocence de Lucile Hadzihalilovic. A mes yeux, Les Rencontres... et Innocence sont deux des premiers films français les plus marquants de ces dernières années. Ce sont deux films qui ont en commun une large place laissée au mystère, à l'hésitation fantastique. Je pense aussi à Marina de Van qui m'expliquait en début d'année qu'il lui était impossible de produire son nouveau film en France. Lucile Hadzihalilovic n'a pas pu tourner depuis 10 ans. Qu'est-ce qui bloque selon toi ? Qu'est-ce qui fait qu'il n'y ait pas de place, même en marge, pour de telles cinéastes ?

YG : Je pense qu’elles font du genre sans vraiment en faire. Et moi c’est un peu la même chose, on joue avec les codes du fantastique sans être de plain-pied dans le fantastique ou l’horreur. Et du coup ça déconcerte. C’est un peu la même chose pour Carax qui est notre ainé à tous. Mais c’est un peu différent, il a commencé dans les années 80. J’ai l’impression que quelqu’un qui vient du cinéma d’auteur, même si ça ne veut pas forcément dire grand-chose, et qui se lance dans le fantastique, c’est un peu suspect pour les fans purs et durs de fantastique et pour les commissions plus "auteuristes" qui la plupart du temps ne connaissent pas grand-chose au cinéma fantastique et d’horreur. Donc c’est très compliqué aujourd’hui de faire du cinéma de genre un peu autre, un peu à côté, disons du cinéma de genre alternatif. C’est pareil, c’est une volonté de mettre des gens dans des cases et dès que tu veux contourner ces cases c’est un peu l’enfer.

FDC : Et Innocence comme Ne te retourne pas ce sont des films qu’on peut difficilement faire rentrer dans une case.

YG : Mais oui, c’est des films mutants. Innocence pour moi c’est vraiment un grand film, je n’ai aucune réserve, je trouve ça magnifique, d’une poésie, d’un lyrisme, d’une grâce inouïs. Ne te retourne pas c’est un film un peu malade, un peu bizarre mais dans lequel il y a des choses incroyables. La façon dont ce film s’est fait descendre alors qu’il y a 50 merdes naturalistes qui sortent tous les ans avec une critique dithyrambique, c’est inadmissible.

FDC : Alors qu’il y a des défauts dans Ne te retourne pas mais c’est un film avec une ambition folle et des séquences purement fascinantes.

YG : Et ça fait tellement de bien d’être perdu, d’avoir cette sensation de perte dans un film français. C’est devenu tellement rare.

FDC : Pour moi, les plus grands cinéastes sont ceux qui n'ont pas peur du ridicule. Tu as déclaré avoir envie, justement, de flirter avec le ridicule, le grotesque. Est-ce que tu peux m'en dire plus sur ce désir ?

YG : Ce goût du grotesque et du ridicule, c’est une façon de se risquer en permanence. Quand je fais un film j’ai l’impression de me risquer tout le temps et de faire des paris avec moi-même. Je sais que le film peut basculer à tout moment dans le nanar ou être à côté de la plaque. Et en même temps c’est ça qui m’excite. C’est ça que j’ai envie de tenter. Je pense que si on ne joue pas avec ça, c’est difficile d’aller au bout de l’émotion. J’ai l’impression qu’il faut flirter avec le grotesque et le ridicule pour la trouver. Ça ne vaut pas pour tous les cinémas mais c’est le cinéma qui m’a marqué quand j’étais gamin, c’est le cinéma de Dario Argento avec des choses ridicules comme ce majordome avec un dentier dans Suspira, tous ces personnages un peu fous ou imbéciles, cette fragilité-là, ce côté sur le fil qui fait qu’à un moment ça bascule au sublime sans qu’on s’y attende.

FDC : Comme la fin de Phenomena.

YG : Oui exactement ! Je ne sais pas à quoi ça tient mais je crois que c’est aussi une façon d’aller affronter ses monstres et ses peurs les plus intimes. Et ça passe aussi par ça, le grotesque, l’innommable et le ridicule.

FDC : Il y a dans ton film un enchevêtrement de récits mythologiques, de glissements vers le bis, de rêves, une scène d'horreur etc. Des choses très différentes qui sont intégrées dans un univers très cohérent. Il y a aussi quelque chose de symbolique à retrouver tout cela dans un premier film. Est-ce qu'il y a une dimension de manifeste dans Les Rencontres d'après minuit ?

YG : En fait ça je ne me suis pas rendu vraiment compte de ce côté sous influence, je l’assume totalement et en même temps je l’ai fait en toute innocence. J’ai juste cherché à habiller mes personnages de la façon la plus juste. Et pour moi les habiller c’était aller chercher des couleurs et des textures dans le cinéma que je connais et que j’aime. Je ne sais pas si c’est un manifeste mais c’était la façon la plus naturelle de faire ce film. Et d’aller vers l’émotion et être en osmose avec celle des personnages. Quand je regarde le film aujourd’hui, il y a un côté presque caviardage avec toutes ces images qui viennent de mes vieux souvenirs de cinéphiles, des petits bouts de bouquins que j’ai lus, de la musique... Tout ça donne au final un film très référentiel et en même temps ces références n’étaient pas du tout là à l’écriture. Si on compare le film à une maison, l’âtre du film, le cœur de la maison, c’est vraiment moi, mon imaginaire, ma sensibilité, mes personnages, et les murs, c’est le cinéma. Mais quand je filmais, je ne pensais jamais aux références, c’est vraiment les limbes de la cinéphilie qui resurgissent. C’est très étrange. Une chose est sûre, pour le prochain j’ai envie d’aller vers quelque chose de nu en ce qui concerne les références. Pour voir ce que je peux faire sans canne et sans les gens que j’aime. Devenir un peu adulte.

FDC : Il y a un réalisateur qui m'a sauté aux yeux quand j'ai vu ton film et qui est Jean Rollin. Est-ce que tu peux parler de ton rapport à ce cinéaste ?

YG : C’est un des cinéastes qui a marqué mon adolescence. Je me souviens qe j’avais 15/16 ans quand tous ses films avaient été réédités en VHS et j’avais volé quelques vidéos sur des marchés, on était des ados fauchés. J’avais un petit groupe de potes cinéphiles et on regardait ça d’un œil un peu goguenard, mi-sérieux mi-amusés en fumant des joints. Il y avait quelque chose d’un peu risible, et en même temps on était happés par les images que ce cinéma-là pouvait produire, par la poésie de La Rose de fer qui est un de mes préférés, La Nuit des traqués, et dans La Vampire nue il y a des moments sublimes aussi. C'est ce mélange de naïveté au bord du ridicule et d'une croyance totale au cinéma que je trouve hyper émouvante. Et finalement c’est des images qui m’ont vachement marqué et sont restées en moi. J’ai revu ses films récemment et il y a vraiment des choses incroyables, des purs moments de poésie. Je serais prêt à sacrifier toute la filmo de Claude Sautet pour 3 plans de Jean Rollin ! (rires) Parce que tout à coup il y a des épiphanies. Je crois que c’est ce qui m’intéresse au cinéma. Même si un film est très mauvais, s’il y a un moment de grâce, c'est ce que je retiens et c’est pour ça que j’aime le cinéma. Je pense qu’il y a aussi un amour infini des actrices chez Rollin, des visages féminins, des silhouettes féminines. On a la même fascination pour les femmes. Lui du côte hétérosexuel et moi du coté homo. Donc ça donne des choses très différentes mais je crois que tous les deux ce sont les femmes qui nous inspirent. J’ai beaucoup plus de mal à écrire des personnages masculins, ou alors il faut qu’ils aient une part féminine. Par exemple pour le rôle de Niels Schneider j’ai l’impression que, si on part des clichés hommes-femmes, il joue presque le rôle de l’épouse docile et mélancolique alors que Kate Moran est l’homme fort. J’aime bien qu’il y ait cette inversion des genres, que tout se mélange, que tout soit poreux au niveau des identités, des genres, des sexualités. C’est quelque chose que je revendique.

FDC : As-tu eu d'autres influences picturales hors cinéma ?

YG : Oui bien sûr. Au départ on était parti pour les décors sur des choses très art déco, très années 20-30. Donc je ne sais pas si ça venait des lectures de Mireille Havet mais j’aimais bien cette idée d’une esthétique située entre deux guerres. Les années folles dans leur effervescence, dans leur recherche d’avant-garde étaient vraiment très puissantes, avec ce sentiment d'être au bord du cataclysme, avec la prescience d’une catastrophe à venir. Et puis on s’est rendu compte qu’on n’avait pas tout à fait l’argent pour faire ça. Donc on a fait le film dans un espace-temps indéfini entre le passé, les années 20, 80 et le futur avec cet objet de science-fiction qui est le jukebox sensoriel. Voilà pour les décors. Pour toute la partie moyenâgeuse, on est allé plusieurs fois au Louvre avec ma chef op et on a vu des enluminures du Moyen-Âge, des petites miniatures qui par leur simplicité, leur naïveté nous ont vachement influencés. Le soleil rouge vient je crois d’une miniature du Moyen-Âge et d’une peinture du Douanier Rousseau. C’est parfois des choses sur lesquelles ont tombait par hasard et qui nous semblaient justes. A ce moment-là je lisais aussi les livres de René Crevel à qui j’ai piqué une phrase, j’en ai pris une à Tony Duvert que je lisais aussi à l’époque. Je crois que je suis resté assez ouvert à tout ce qui pouvait tomber dans mon escarcelle, que ce soit le cinéma, mais même hors du cinéma. Parce que le ciné c’est vraiment une mémoire très intérieure pour moi alors que le reste est venu 2-3 mois avant le tournage, ou juste avant; c’était plus spontané. Mais il y a effectivement eu une confluence d’éléments qui ont fait que le film existe tel qu’il est aujourd’hui. Pour nous, il y avait une espèce de ligne mélancolique, plastique, qui nous semblait logique dans cet assemblage disparate sur le papier.

FDC : Nicolas Maury crève l'écran dans Les Rencontres.... Peux-tu nous parler de votre relation, de la façon dont tu l'as dirigé ? Qu'est-ce qu'il t'a apporté sur le tournage ?

YG : Énormément de choses. Je l’avais vu il y a longtemps au moment de sa sortie dans Les Amants réguliers de Philippe Garrel. Ça m’avait frappé parce que c’était la première fois je crois qu’il filmait un personnage homosexuel. Lui qui est hyper hétéro, un peu bloqué sur son hétérosexualité (rires). Ça faisait du bien qu’il s’ouvre à quelque chose de différent. C’était très beau de voir Nicolas évoluer dans l’univers de Garrel, on était un peu chez Garrel et un peu ailleurs, il y avait quelque chose de magique. Je l’ai revu dans une pièce adaptée de Wedekind où il était vraiment incroyable. Il jouait un adolescent alors qu’il avait 26 ou 27 ans, avec un maquillage blanc d’Auguste et il était bouleversant. Là j’ai commencé à avoir l’intuition, avant d’écrire le scénario, que j’avais envie de travailler avec lui. Je n'ai pas écrit le scénario pour lui mais je le savais capable de réinventer le personnage et d’en faire quelque chose de hors normes et bouleversant. C’était très simple de travailler avec lui. Je lui ai envoyé le scénario, il l’a lu dans la nuit et a dit des choses très belles sur le personnage et le projet. Il a proposé plein de gestes, d’intonations et ma direction d'acteur se limitait à des petites nuances de voix, des gestuelles un peu plus accentuées. Quand il dit « speed, poppers, cocaïne, mdma », je lui ai dit de façon un peu absurde qu’il fallait qu’il le joue comme une ouvreuse de cinéma ou une hôtesse de l’air (rires). On a fonctionné un peu comme ça, avec des idées rigolotes qui nous parlaient à tous les deux. On en parlait hier avec Kate Moran: je crois vraiment à la télépathie entre un cinéaste et ses acteurs, et j’ai l’impression qu’il y a eu un flux un peu magique entre les 7 acteurs et moi. Je crois que d’emblée tout le monde a compris la partition du film et tout était très naturel. "Magique" c’était un peu fort parce qu’il y a eu des moments de doute et de tension très difficiles pour moi. J’ai pris très peu de plaisir sur ce tournage mais tout le monde avait envie d’être là et ça se sent dans le film, ce désir mutuel entre les acteurs et moi. J’avais très envie de les filmer et il n’y a que ça qui compte, le désir immense d'un cinéastes pour ses acteurs, c’est ça qui motive et qui donne envie de faire du cinéma. Je crois que je fais vraiment mes films pour mes acteurs et c’est eux qui en sont l’incarnation et le rendent vivant. Sinon c’est une peau morte.

FDC : Il y a un côté Isabelle Huppert chez Nicolas Maury...

YG : Je crois qu’il en a marre qu’on lui dise ça (rires). Je comprends pourquoi on le compare à Isabelle Huppert, c’est rare d’avoir des acteurs brillants, très très intelligents, qui n’ont pas un discours convenu sur le cinéma, qui ne soient pas phagocytés par leur agent, par la société du spectacle, par le monde conformiste dans lequel on vit. Et je trouve qu’Huppert et Maury font partie de cette espèce rare. Je pense que ce sont des créateurs avant d’être des acteurs. Je crois qu’ils font de la mise en scène au cœur de la mise en scène. Nicolas a participé à la mise en scène. Quand tu travailles avec Isabelle Huppert, elle fait certainement aussi la mise en scène, je pense qu’il faut rester ouvert à ces gens-là. Après, Nicolas est totalement admiratif d’Isabelle, je crois que ce n’est plus un secret de dire qu’il écrit un scénario pour elle. Il est cinéaste aussi, il a réalisé un moyen métrage que je trouve très beau. Donc j’ai hâte de voir aussi ce qu’il va faire en tant que réalisateur.

FDC : As-tu laissé une place à l'improvisation sur le tournage ?

YG : Non ! (rires) Oui et non, un petit peu dans les déplacements, les gestes, mais sur les mots, non. Quasiment rien. On a coupé de toutes petites choses qui d’un coup me semblaient fausses. Je laisse les comédiens proposer des choses et parfois on les a gardées, mais ce n’est pas vraiment de l’improvisation pure et dure. C’est un cinéma qui je l’espère n’est pas rigide mais qui est très chorégraphié. J’ai besoin d’arriver sur un plateau en sachant ce que je vais faire. Sinon je suis terrorisé, ça me dépasse, peut-être que dans le futur ça va évoluer. Mais je ne crois pas, parce que c’était pareil sur mes courts.

FDC : Que Les Rencontres... soit sélectionné à Sitges, le plus grand festival européen de cinéma fantastique, ça te semble cohérent ? Ça te fait plaisir que le film soit également reconnu en tant que film de genre ?

YG : Oui oui oui, moi je suis pas un gros bisseux mais j’aime le cinéma bis et j’aime le cinéma de genre. Qui sont deux choses différentes. Que le film trouve un public au sein d’un festival de genre, je trouve ça génial. Je crois que c’est vraiment le festival où le film a le plus divisé. Pour les gros fans purs et durs d’horreur, il est passé vraiment pour un film prétentieux et intellectuel, bavard, chiant, tout ce que tu veux. Pour les amateurs d’objets plus insolites, étranges, il y avait vraiment un engouement. Mais je suis ravi que les gros bourrins du cinéma d’horreur aient pu voir ce film ! (rires) Parce qu’il y a aussi des bourrins.

FDC : C’est un peu ça à Gérardmer aussi. Où on retrouve des gros films d’horreur pour fans et des films plus étranges, moins grand public, comme Amer ces dernières années…

YG : Leur dernier film (L’Étrange couleur des larmes de ton corps, ndlr) a été très bien accueilli à Sitges.

FilmDeCulte : ... Tandis qu'Amer s’est fait siffler à Gérardmer avant d’acquérir une réputation un peu culte.

YG : C’est pourtant le genre d’endroit où on sent vraiment l’amour vibrant des spectateurs pour le cinéma. J’ai trouvé ça hallucinant mais il y avait 4 ou 5 personnes qui avaient tiré sur papier photo l’affiche du film et qui m’ont demandé de la signer. Je ne sais pas si c’est un truc de nerds qui collectionnent la première signature de n’importe quel cinéaste passé à Sitges, mais c’est vraiment de l’ordre de la passion. Rien que pour ça, je suis très content.

FDC : Il y a également dans le film un humour queer et camp décomplexé que l’on ne voit absolument jamais dans le registre de l’humour français, au cinéma comme ailleurs. Cela contribue d’ailleurs à la singularité du film. Peut-on dire que Les Rencontres d’après minuit est aussi en partie une comédie ?

YG : Oui totalement ! Pour moi c’est à la fois une comédie, une tragédie, un film fantastique, un film queer… Une comédie oui, mais pas seulement. Il n’y a rien de plus jouissif pour un réalisateur que de faire rire les spectateurs. J’aime bien rester un quart d’heure vingt minutes, même si j’en ai ras-le-bol de voir le film, pour voir comment les gens réagissent, s’ils rient… C’est quelque chose de précieux que j’ai envie de garder. C’est une aussi façon de faire accepter la tragédie. Plus les personnages prennent de la distance par rapport à eux-mêmes et plus il y a une sorte de légèreté au départ, plus la tragédie future est plausible.

FDC : Comment s'est passée la sélection à Cannes ?

YG : C’était euphorisant. Tout le festival était génial, surtout que c’était une année super difficile pour le cinéma français, il y avait tellement de films qui pouvaient être sélectionnés et au départ je ne pensais vraiment pas qu’on serait où que ce soit. Après c’est aussi une émulation. Médiatiquement, on ne pouvait pas rêver mieux, c’était un tremplin inestimable.

FDC : Le film a été présenté ailleurs ?

YG : Oui. A Un Certain Regard il n’a pas été sélectionné, c’est certain. A la Quinzaine, je ne sais pas ce qu’ils en ont pensé mais je crois qu’Edouard Waintrop (lire notre entretien) et Charles Tesson communiquent énormément, et Charles Tesson aimait beaucoup le film donc il n’y a pas eu vraiment de débat. Il y a eu un coup de cœur de la Semaine de la Critique. Et c’est super, quand j’étais adolescent j’y ai découvert C’est arrivé près de chez vous, Cronos, Clerks, des films qui m’ont marqué. C’est génial de faire partie de cette histoire-là. Ç’aurait pu être aussi à la Quinzaine, à Un Certain Regard, mais voilà. J’étais super heureux. A Un Certain Regard ça n’a pas du tout plu je crois. J’ai parlé avec quelqu’un du comité qui m’a dit que ça avait vraiment été unanime. Rejet total. Pour moi c’est vraiment un film qui est totalement sur l’émotion, je comprends que des gens se sentent extérieur.

FDC : C’est dommage parce que c’est le type de film qui manque parfois à l’officielle. Des films plus décalés comme cette année Real de Kurosawa qui n’était dans aucune sélection ou Le Congrès qui était à la Quinzaine.

YG : Oui. Après en compétition on aurait été massacrés ! Mais ça aurait pu donner un peu de piquant à Un Certain Regard. On fera mieux la prochaine fois.

FDC : Je parlais récemment avec Pascale Ourbih, la présidente du Festival Chéries-Cheris. Elle notait que de plus en plus de films LGBT préfèrent désormais rester dans le circuit des festivals grand public, et délaissent les festivals LGBT au public plus restreint et ciblé. Ton film a été mis en avant à Cannes; tu étais aussi en compétition à Chéries-Cheris et le film a également été projeté dans le cadre des avant-premières Le jeudi c’est gay friendly. C’est important pour toi de faire circuler le film dans ce milieu-là aussi?

YG : Oui mais pour moi c’est la même chose que le fait d'être sélectionné dans des festivals de fantastique. C’est un public un peu niche, même s’il y a quelque chose d’un peu péjoratif dans ce terme-là. Mais ce que je trouve dommage dans la plupart des festivals LGBT, c'est que quand je montre le film dans un festival gay à New York, il y a 90% de mecs dans la salle. Pas de lesbiennes. Je préfère le terme queer qui est beaucoup plus ouvert, qui mêle davantage les hétéros, les gens, les sexualités… C’est un film qui prône une ouverture, une multiplicité des désirs, des sexualités, c’est vraiment un film pansexuel pour moi. Mais j’ai l’impression que les festivals LGBT sont très gay ou lesbiens. Quand tu présentes un film gay, il y a 90% de mecs dans la salle, et quand tu présentes un film lesbien il y a 90% de filles. Les spectateurs hétérosexuels ou gay-friendly se sentent un peu exclu et ne vont pas spécialement à ce genre de séance. C’est un peu excluant, c’est un peu dommage, mais c’est génial aussi de pouvoir trouver ce public-là. Je suis gay et je trouve ça formidable qu’un public gay voie ce film. Jamais je ne refuserai d’aller dans un festival gay, au contraire, en plus le public y est hyper réactif et c’est très agréable de présenter le film dans ce cadre-là. A New York c’est l’endroit où les gens ont le plus ri. Cela dit, j’aime qu’il y ait une vraie variété de gens parmi les spectateurs.

FDC : Le film sort bientôt. Il cartonne, gagne 50 César...

YG : Science-fiction donc ! (rires)

FDC : ...et tu as carte blanche totale pour ton prochain long métrage. Que fais-tu?

YG : J’ai un projet qui me tient à cœur et que j’ai vaguement commencé à écrire. Le film se passerait dans années 70 et ce serait sur l’histoire de la musique cosmique allemande. Sur un groupe de hippies et tous ses membres qui sont devenus cultes depuis comme Ash Ra Tempel, Klaus Schulze, Tangerine Dream etc. Ils se sont regroupés pendant des semaines pour former une espèce de communauté dans les montagnes suisses, ont commencé à délirer ensemble, à prendre de la drogue et plonger dans des rêves… C’est très proche des Rencontres en fait mais c'est assez différent. Je voudrais aller très très loin dans l’onirisme, dans la représentation des rêves. Avoir complètement carte blanche, ça serait fantastique. Au niveau casting... ça ne me fait pas rêver d’avoir Jean Dujardin et Catherine Frot, j’en n'ai rien à foutre ! Les acteurs bankable, ça ne m’intéresse pas. Si je devais convoquer des noms, j’irais du côté des rock stars, des icônes de la Factory de Warhol ou du cinéma fantastique des années 70. Par exemple j’aurais adoré filmer Catherine Jourdan, Jessica Harper. Et d’autres acteurs plus anciens comme Bette Davis, Lillian Gish, ces visages-là qui sont tellement singuliers, tellement forts, tellement cinématographiques et qui je trouve sont un peu perdus, qu’on ne retrouve plus aujourd’hui. Il y a moins cette magie des visages. La plupart des acteurs bankable en France sont un peu fades, un peu stéréotypés… Beaucoup de gens en disent du mal mais Marion Cotillard a un peu ce visage de cinéma muet, du cinéma expressionniste. Je l’aime beaucoup. Elle évolue dans d’autres sphères mais c’est quelqu’un avec qui j’aimerais travailler un jour.

Entretien réalisé le 31 octobre 2013. Un grand merci à Chloé Lorenzi.

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par Nicolas Bardot

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