Entretien avec Ulrich Seidl

Entretien avec Ulrich Seidl

Avec le documentaire Sous-sols, le réalisateur autrichien Ulrich Seidl s'aventure... dans les caves des Autrichiens. Et lorsqu'on connaît le réalisateur, on imagine qu'il ne va pas y trouver que des installations secrètes de petits trains ou des collections de Mon Petit Poney. Le résultat est un film assez fascinant, aussi drôle que glaçant. Nous avons rencontré Ulrich Seidl qui nous en dit un peu plus sur ce projet pas banal qui sort en salles le 30 septembre.

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Sous-sols a un point de départ qui est à la fois très trivial et tout à fait curieux. Comment est née cette idée ?

L'idée de départ de Sous-sols correspond à une observation fondamentale: j'ai constaté qu'en Autriche, le sous-sol est souvent la partie la mieux équipée de la maison. C'est un lieu qui peut être consacré aux loisirs, au temps libre. C'est aussi un endroit pour réaliser ses désirs ou ses obsessions. La cave est par ailleurs un lieu obscur, avec une notion de peur qui s'y rattache. Tout cela m'a incité à faire ce film.

Comment vous y êtes vous pris pour rencontrer tous ces gens?

On peut comparer ce film à un voyage, au cours duquel on fait des rencontres via le porte à porte. On essaie de trouver des gens qui correspondent au sujet du film. On commence à tourner, et on voit assez rapidement si l'on peut continuer avec la personne qu'on a rencontrée. Parfois, on s'arrête le premier jour, et parfois on continue. Cela pose évidemment une question délicate, car ce que je recherche ce sont les gouffres, les abîmes. Comment va t-on faire pour découvrir ces gens et que ceux-ci acceptent que leur sous-sol soit mis à jour ?

Vous êtes-vous posé des limites quant à ce que vous pouviez montrer ou non ?

A priori, il n'y avait aucune limite. C'est la situation qui décide. Nous voyons ce qui se passe sur place, et on décide de garder ce qu'on a tourné ou pas. Par exemple, on aurait pu tourner davantage de scènes SM, mais ce n'est pas ce qui m'intéressait le plus.

Le paradoxe sur lequel repose le film, ce sont ces gens qui semblent très fiers de parler de leur sous-sols... tout en cachant leur passion dans leur sous-sol.

En fait si ce paradoxe n'existait pas, je ne pourrais pas faire de film. J'ai réalisé un documentaire qui s'appelle Jesus, Du weißt, dans lequel je filmais des gens qui prient. C'est une des choses les plus intimes qu'on puisse montrer. Et si tout était ouvert au public, je n'aurais pas eu l'occasion d'initier ce film. Pour tourner, on a besoin de créer une atmosphère particulière. De faire comme si on n'était pas là et que les gens se sentent en sécurité. Et qu'ils agissent, comme si nous ne les observions pas.

Est-ce qu'à vos yeux la façon d'aborder le refoulé dans Sous-sols exprime quelque chose de particulièrement autrichien ?

Hum... Pas spécialement. Ce film est tourné en Autriche mais est-ce que ce qu'on voit sur la sexualité, sur le racisme, les néo-nazis ou la solitude ne serait pas identique en France ? Tout cela est assez universel.

Lorsque nous vous avions rencontré pour la trilogie Paradis, vous aviez déclaré : « Ce qui me plait c’est de débusquer la frontière entre le rire et le moment où le deuil commence ». Est-ce que cela s'applique à un film comme Sous-sols ?

A vrai dire cela vaut pour tous mes films, qui cherchent chacun cette frontière.

Vous nous aviez également confié que vous ne portiez pas de jugement moral sur vos personnages, et que vous vous retrouviez dans certains d'entre eux. Est-ce le cas également avec vos interlocuteurs de Sous-sols ?

Cela vaut tout à fait pour Sous-sols. Je ne prononce jamais de jugements moraux sur mes personnages – sinon je ne pourrais tout simplement pas travailler, pas les filmer. Ce que ces gens représentent, je le retrouve en partie en moi.

Est-ce que vous vous attendiez à trouver des choses en particulier dans ces caves ? Ou au contraire avez-vous été surpris ?

Je suis un homme curieux, c'est mon caractère. Donc je cherche, et je ne sais pas à l'avance ce que je vais trouver. On aurait pu continuer à faire ce film pendant très longtemps. Finalement, ce qu'on voit à l'écran ne représente qu'une partie de la réalité. De la même manière, on est resté plus longtemps avec certaines personnes. Certaines séquences ont été terminées assez rapidement, d'autres ont pris des semaines.

Et vous, qu'avez-vous dans cette cave ?

J'ai du vin dans ma cave ! (sourire) J'ai une très jolie cave creusée directement dans la falaise !

Votre film est sélectionné à l’Étrange Festival. Le considérez-vous comme étrange ?

Non. (rires) Ce n'est pas un film étrange. Tout est normal ici !

Vos interlocuteurs ont-ils vu le film ? Comment ont-ils réagi à voir ce qui est caché dans leur cave exposé sur un écran ?

J'ai invité tous les protagonistes du film à venir à la première, lors de la Mostra de Venise. Ils sont montés sur scène après la présentation et étaient, je pense, très heureux. La seule exception concerne les hommes de la cave nazie. Un scandale a éclaté en Autriche peu de temps avant la première, lorsqu'une télévision privée a découvert que deux de ces hommes sont des politiciens locaux. Cela a fait du bruit et ils ne sont pas venus.

Vous avez produit le film d'horreur Goodnight Mommy, le premier long métrage de votre collaboratrice Veronika Franz (qu'elle a co-réalisé avec Severin Fiala). Quelle a été votre implication dans ce projet ?

D'abord, je n'ai pas participé au scénario. J'ai apporté mon soutien, donné mon opinion sur le casting, sur les lieux de tournage. Par contre, je ne me suis pas impliqué du tout pendant le tournage. J'ai simplement essayé de faire en sorte que Veronika et Severin remplissent les exigences de la production.

Vos films traitent parfois de situations horribles, mais traitées davantage sur le registre du drame. Vous sentiriez-vous à l'aise à l'idée de réaliser un film d'horreur ?

Non. Mes films sont déjà, d'une façon, des films d'horreur. Mais une horreur de la banalité et de la normalité.

Avez-vous de nouveaux projets ?

Toujours. (sourire)

Et est-ce qu'on peut en savoir plus ?

Je prépare un film sur des gens qui partent en vacances pour chasser. Ils s'en vont en famille et voyagent en Afrique pour tuer des animaux. Sinon, j'ai un plus gros projet que je porte depuis des années. C'est un film historique qui se déroule au cours des guerres napoléoniennes, en Autriche. Cela parle de gens expulsés de la société et qui deviennent des parias. Ces jeunes gens, pour survivre dignement, en viennent à commettre des crimes.

Entretien réalisé le 10/09/2015. Un grand merci à Emmanuel Vernières et Xavier Fayet.

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par Nicolas Bardot

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