Entretien avec Till Kleinert

Entretien avec Till Kleinert

Il y a les premiers films déjà super-calibrés qui ressemblent à des cartes de visite et il y a les autres. Heureusement, Der Samurai de l'Allemand Till Kleinert appartient à la seconde catégorie. Cet ovni fantastique mêle loup-garou, katana et homosexualité larvée le tout dans une petite ville allemande. Der Samurai sort le 15 juillet en France. Rencontre avec son réalisateur.

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Der Samurai possède une atmosphère assez particulière et mélange des éléments inattendus. Aviez-vous en tête des références ou modèles pour raconter cette histoire en particulier ?

C'est sûr que de nombreux éléments et motifs me viennent d'autres œuvres de fiction qui m'ont directement ou indirectement influencé - les contes de fées, les films et romans horrifiques, les comics, les jeux vidéos japonais. Mais je me suis approprié la plupart de ces références de façon inconsciente, elles sont devenues naturellement une partie intégrante de mon vocabulaire que j'utilise sans même y penser. Comme une langue natale.

Je distinguerais néanmoins deux influences en particulier. D'abord, les films de Takashi Miike, qui ont eu un gros impact sur moi quand j'ai commencé à les voir autour de l'an 2000. Il y a en eux une folie libératrice, une volonté de mélanger et jongler audacieusement entre les genres et les tons, et je n'étais pas habitué à cela dans les films occidentaux avec lesquels j'ai grandi. Il a une façon d'utiliser le ridicule comme une porte vers le sublime, de transcender les limites de ce qui est vu habituellement comme le bon goût, et ça m'inspire beaucoup. Ensuite, il y a Hitcher de Robert Harmon, qui du point de vue de la structure et du ton a eu une influence directe sur ce film. Littéralement, à chaque fois que je rencontrais un blocage sur Der Samurai, je trouvais la solution dans Hitcher.

Le sous-texte gay du film est à la fois parfaitement métaphorique et tout à fait explicite. Comment avez-vous travaillé sur cet équilibre ?

En son cœur, le film parle d'un jeune homme seul et dans le placard qui est contraint à affronter ses désirs et goûts réprimés. C'est un sujet qui m'est assez familier, en tout cas à une version plus jeune et peu assurée de moi-même. Comme Jakob est incapable de s'occuper consciemment de ces problèmes, le film devient une version cauchemardesque, distordue, vivante et monstrueuse de cette lutte - et en même temps j'avais envie que le public soit un peu plus conscient de l'état de Jakob que Jakob lui-même, qu'il comprenne avant lui ce que signifient ses actes de déni et de sublimation. J'avais cela à l'esprit lors du montage du film. Bizarrement, en travaillant avec les acteurs lors du tournage, on s'est surtout concentré sur les tentatives de Jakob de stopper le "bad guy" et on ne s'est pas tant que ça concentré sur le sous-texte homo-érotique, en sachant qu'il serait ensuite suffisamment visible à l'écran.

En général, ce qui est particulièrement fun quand on fait du fantastique et qu'on utilise des métaphores, c'est la possibilité d'être tout à fait littéral à propos de choses que vous traiteriez de manière beaucoup plus modérée dans la vie. On peut créer un sous-texte en déplaçant les choses, en traduisant la lutte intérieure de manière explicite. Ça peut être tout à fait libérateur. Pour moi, c'est comme mettre un masque ou un costume qui vous autorisent d'un coup à parler d'une voix forte, à dire et faire toutes sortes de choses qu'habituellement j'aurais tendance à cacher par peur d'être jugé ou moqué par les gens. Je n'utilise pas la métaphore comme une façon de brouiller mes intentions, plutôt comme un moyen de les exprimer avec joie et courage. J'imagine que cela mène à la contradiction qu'implique votre question : d'un côté le film porte un masque, tandis que d'un autre il se révèle souvent très explicite quant à ses intentions. Mais pour moi, ça ne constitue pas une contradiction. Le premier élément autorise le second à exister.

Lors du climax du film, vous utilisez une chanson de The Ark. C'est un morceau qui, d'une certaine façon, illustre l'histoire du personnage principal et qui en même temps crée une rupture avec le reste du film. Pouvez-vous nous parler de ce choix ?

Durant la majeure partie du film, Jakob, notre protagoniste, ne s'autorise jamais à accepter ou même voir les aspects libérateurs des attaques de son ennemi. Même s'il est fascinant, le Samouraï reste un monstre à ses yeux et leur interaction est un scénario scandaleux et cauchemardesque. Du coup quand le soleil se lève après cette horreur, rien n'a été résolu pour Jakob, qui a littéralement manqué une occasion d'accepter la danse qui lui est proposée.

Cette issue aurait été trop triste après ce qu'il a traversé. Il était clair qu'on devait accorder à Jakob une dernière rencontre, sans les bruits de fond du village, hors de son devoir de policier, là où toute cette tension pouvait enfin laisser place à une sorte de libération. Pour souligner cette libération et donner une chance au public de ressentir cette explosion soudaine, j'ai choisi de mettre cet hymne pop euphorisant, qui transcende le ton plus sombre du reste du film et qui s'ouvre vers une lecture plus positive et alternative de l'histoire.

J'ai bien conscience que l'effet est un peu détonant voire comique vu que la chanson est dans une tonalité totalement différente du reste du film, et j'imagine que le public peut ricaner quand il entend les premiers accords de l'intro. Mais en même temps, je suis tout à fait sincère quant à ce qu'implique la chanson par un de mes groupes préférés. Ce que j'aime par-dessus tout avec The Ark c'est leur volonté d'accepter le ridicule inhérent à une certaine attitude pop et extravagante tout en étant parfaitement sincère et sans cynisme à propos des idées et des émotions qu'ils communiquent - une qualité qui m'inspire beaucoup et à laquelle j'aspire aussi moi-même.

Savez-vous si Der Samurai va être montré dans d'autres festivals français ou s'il va sortir en salles ?

Il a déjà été projeté dans des festivals français, notamment au Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg, et il sera distribué l'an prochain par Zootrope. Mais je n'ai pas de date précise à vous fournir.

Quels sont vos projets ?

Je travaille actuellement sur un nouveau scénario. Ce ne sera pas pour un film mais pour une série télévisée. C'est une idée que j'ai en moi depuis une dizaine d'années, autour d'un complexe socialiste de logements décrépits, dans un coin de l'ancienne Allemagne de l'est. Les locataires unissent leurs forces pour combattre une présence qui s'est installée dans le bâtiment et a transformé celui-ci en un organisme qui, littéralement, digère ses habitants. Je n'ai pas besoin de vous dire que ce sera à nouveau très métaphorique, et aussi en partie autobiographique.

Entretien réalisé le 12 novembre 2014. Un grand merci à Thibaut Fougères.

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par Nicolas Bardot

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