Entretien avec Sudabeh Mortezai

Entretien avec Sudabeh Mortezai

Après avoir réalisé des documentaires, la réalisatrice autrichienne Sudabeh Mortezai signe sa première fiction avec Le Petit homme (Macondo). Ce film réussi qui était en compétition à la Berlinale évite bien des pièges du film social à hauteur d’enfant. A l'occasion de sa sortie française ce mercredi 25 mars, rencontre avec sa réalisatrice…

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Pourquoi avoir choisi ce sujet pour votre première fiction ?

Le point de départ a été le lieu, ce camp de réfugiés qui se nomme Macondo et qui se trouve en banlieue de Vienne. J’ai développé l’histoire à partir de ce microcosme particulier. Environ 2000 personnes venues d’une vingtaine de pays vivent ici dans des logements sociaux bas de gamme ; il y a des générations de réfugiés qui reflètent les différents conflits de ces 60 dernières années. Récemment, la majorité de la population est venue de Tchétchénie, de Somalie et d’Afghanistan. L’histoire de ce garçon tchétchène a évolué d’une simple observation du lieu à l’écoute d’histoires que les gens avaient à raconter. Ce qui rend l’histoire très personnelle à mes yeux c’est le point de vue de l’enfant. Moi-même j’ai quitté l’Iran avec ma famille pour m’installer en Autriche quand j’avais 12 ans donc je peux me reconnaître en lui. Etre déraciné et essayer de s’adapter à une société nouvelle, quand on est enfant, c’est une expérience tout à fait intense. Les enfants de familles immigrées sont souvent contraints à grandir trop vite et à prendre des responsabilités qui ne sont pas de leur âge. Ils peuvent servir de traducteurs ou de médiateurs entre leurs parents et cette société inconnue. C’est une grande opportunité pour la famille mais aussi un lourd fardeau pour un enfant.

Vous avez réalisé des documentaires avant de signer votre première fiction. Quelle différence faites-vous, si vous en faites une, entre votre travail documentaire et votre travail sur un film de fiction comme Le Petit homme ?

Je conçois Le Petit homme comme le prolongement naturel de mon travail. Je suis heureuse si mes films peuvent rendre compte d’une expérience humaine. Après avoir réalisé deux longs métrages documentaires, j’étais intéressée par l’idée de développer une fiction qui soit profondément ancrée dans le documentaire. J’ai écrit le scénario à partir de recherches documentaires, j’ai pris comme point de départ des histoires vécues. Je savais également dès le départ que je voulais travailler avec des acteurs non-professionnels et autoriser l’improvisation pour qu’ils vivent la scène devant la caméra plus qu’ils ne la jouent. Les frontières entre fiction et documentaire sont déjà très floues à mon sens. De nos jours, la plupart des bons documentaires ont une histoire, des personnages dans lesquels vous pouvez vous identifier, une dramaturgie évidente. La différence, c’est que dans les documentaires on trouve souvent cette dramaturgie au moment du montage alors que dans la fiction, elle se trouve déjà dans le scénario.

L’un des éléments surprenants du Petit homme est la façon dont vous évitez les scènes très dramatiques dans une histoire qui l’est. Comment avez-vous travaillé sur cet équilibre lors de l’écriture du scénario ?

Là encore je pense que cela vient de mon background documentaire. Bien sûr cela m’intéressait de raconter une histoire et avoir des elements dramatiques. Mais je cherchais également une part de naturalisme. Quand j’écrivais le scénario, j’ai utilisé pas mal de situations que j’ai rencontrées, des dialogues que j’ai entendus, et les personnages sont inspirés par des gens que je connais. Tout ce que j’écrivais devait sonner vrai. Je ne voulais pas d’une histoire bigger than life. Dans la vie de tous les jours, les événements les plus dramatiques arrivent parfois de façon très discrète – et il n’y a pas de gros effets ou de musique pour les surligner. Je crois toujours que les vraies émotions seront suffisamment intenses pour que vous n’ayez pas à les rendre plus grandes qu’elles ne le sont. Cela me touche quand des actes et des gestes simples, dans une vie ordinaire et quotidienne remplie de drames, révèlent des émotions. Le casting était très important pour accomplir cela. Les acteurs du Petit homme n’avaient aucune expérience devant la caméra mais leur expérience était très proche de celles de leurs personnages. Du coup leurs émotions sont naturelles et brutes. Pendant le tournage, nous suivions la structure narrative du scénario mais tous les dialogues étaient réinventés devant la caméra.

Comment avez-vous abordé le style visuel de votre film ? Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec votre directeur de la photographie Klemens Hufnagl ?

Nous devions trouver un équilibre entre la mise en scène en l’impression documentaire de l’histoire et du décor. On a beaucoup parlé avant le tournage du style visuel à adopter et on s’est mis d’accord sur certains éléments. Utiliser la caméra à l’épaule et la lumière naturelle autant que possible était essentiel pour suivre au mieux la spontanéité des acteurs. La caméra devait aussi être toujours à hauteur du regard de Ramasan, parfois en légère contre-plongée vers lui pour lui donner ce statut de héros. Toute l’histoire est vécue à travers lui donc la caméra ne devait jamais perdre ce point de vue. Idéalement, nous voulions filmer de longues prises, interférer aussi peu que possible avec ce décor réaliste tout en y insufflant de la vie, et c’était un challenge. Il y avait sans cesse des enfants de tous les âges jouant ici et le résultat était parfois incontrôlable. Il fallait suivre le courant et décider parfois sur l'instant même lorsque nous avions élaboré une préparation minutieuse. Généralement, on privilégiait des longues prises en n'interrompant pas les improvisations puis on changeait d'axe pour remettre ça.

Dans quelle mesure selon vous Le Petit homme est-il un film qui parle des problèmes particulièrement contemporains ?

Les flux et déracinements sont un des sujets majeurs dans le monde aujourd'hui. En découle tout le débat sur la migration et l'intégration. Je préfère voir cette situation de l'intérieur, à travers le point de vue des réfugiés. Je pense que les enfants et les jeunes adolescents de ces familles de migrants sont la clef de tout cela. Ils sont dans une situation si vulnérable, soumis à de nombreuses influences, à l'extrémisme religieux ou politique par exemple. Mais ils sont également comme je vous l'ai dit des médiateurs entre la culture de leurs parents et la nouvelle société dans laquelle ils vivent.

Quels sont vos réalisateurs favoris ?

Les frères Dardenne font partie de mes réalisateurs préférés. Je pense que La Promesse sera pour toujours l'un de mes films préférés. J'admire vraiment leur cinéma profondément humaniste, la force morale de leurs histoires, leur simplicité brillante. J'adore les films de Mahamat Saleh Haroun, plus particulièrement Daratt. Fish Tank d'Andrea Arnold est un de mes préférés de tous les temps. Ce sont tous des réalisateurs qui nous confrontent de façon brute, en apparence simple mais très puissante, à ce que c'est d'être humain.

Quels sont vos projets ?

Je n'en suis qu'aux prémices mais j'ai quelques idées. Mais ce sera encore de la fiction avec des éléments de documentaire, c'est certain.

Entretien réalisé le 3 juillet 2014.

par Nicolas Bardot

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