Entretien avec Nina Hoss

Entretien avec Nina Hoss

Symbole du nouveau cinéma allemand (Barbara, Yella, c'était elle), Nina Hoss revient avec un nouveau rôle bigger than life dans Gold. Son personnage charismatique de chercheuse d'or tout droit sortie de La Jeunesse de Balthazar Picsou prouve une nouvelle fois qu'elle peut tout jouer. Le film sort ce mercredi 24 juillet. Rencontre avec une actrice supérieure.

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FilmDeCulte : Comment le projet Gold vous a-t-il été présenté, et qu’est-ce qui vous a attirée dedans ?

Nina Hoss : C’est tout d’abord le scénario de Thomas, bien sûr. Mais j’étais surtout stupéfaite par le genre même du film : c’est un vrai western ! C’est quelque chose que l’on ne rencontre pas souvent en Allemagne, nous n’y sommes pas du tout habitués. Et pourtant ce que raconte le film fait partie de l’histoire de notre pays : il y a bel et bien eu des Allemands qui sont partis en Amérique du nord. C’est un sujet très rarement abordé, et c’est bien cela que j’ai trouvé fascinant : c’était une histoire à laquelle je n’avais jamais songé. Puis bien sûr il y a ce personnage. J’ai beaucoup aimé que le film se focalise sur une femme, malgré le contexte historique. Elle combine trois particularités qui ne sont pas anodines : elle est allemande, c’est une femme et elle voyage seule. Ce qui m’a également plu, c’est la manière dont le film parle de l’espoir, et de ce qu’il pousse les hommes à faire. Quand on n’a rien laissé derrière soi, on ne peut plus rien faire d’autre qu’aller de l’avant, sinon c’est la mort. C’est tout simple et en même temps c’est très fort. Le mouvement perpétuel de ces personnages m’a fasciné. Leur voyage est exténuant mais le film parle de la certitude que l’on s’oblige à avoir que tout va bien se terminer. La force que les hommes peuvent puiser dans leur espoir ou leur croyance, c’est fascinant.

FDC : Certains éléments de Gold peuvent être vus comme étant typiquement américain (le film emprunte au western mais aussi au road-movie). Y a-t-il selon vous des éléments du film qui seraient typiquement allemands, si tant est que cela a un sens ?

NH : La retenue. La réserve. C’est tellement allemand… Si je croisais ces personnages au Canada, je reconnaitrais tout de suite qu’ils sont allemands. Ils ont beau former un groupe, ils sont tous très solitaires et singuliers. Le film est lui aussi très allemand de par son point de vue distancé, et c’est ce que Thomas a souhaité. Il n’y a pas beaucoup d’action, pas beaucoup de démonstration d’émotions, l’histoire est vraiment racontée de manière très directe. C’est un peu un cliché, mais j’imagine que tout cela est effectivement très allemand.

FDC : Le personnage que vous interprétez a beau être une femme très forte, avec des principes, elle éprouve une vraie difficulté à communiquer et à nouer des liens avec les autres. C’est une ambivalence qu’on retrouve dans beaucoup de rôles que vous avez déjà interprétés (Barbara, Yella…). Ce mélange de force et de solitude constitue presque un fil rouge dans votre filmographie, mais est-ce quelque chose que vous travaillez consciemment ?

NH : En tout cas, dans le Gold, cette dimension était déjà présente dans le scénario. Thomas Arslan (lire notre entretien) et Christian Petzold (réalisateur de Barbara, Yella et de nombreux autres films avec Nina Hoss, lire notre entretien) sont des réalisateurs qui veulent précisément parler de ce sentiment-là. C’est quelque chose qu’ils ressentent de manière très intime. Dans le cas de Christian, on pourrait presque dire que ses personnages sont des fantômes qui cherchent à tout prix à revenir à la vie, à retrouver cette sensation. Ils ont ce désir qui est très puissant mais ils ne parviennent pas à lâcher prise et à franchir le pas à cause de leurs principes, ou plutôt de leur attitude. Chez ces deux réalisateurs, les personnages féminins sont toujours placés dans des situations menaçantes. Ils ne racontent jamais la vie quotidienne de ces femmes, leur existence, leurs habitudes, ils les mettent sous pression. Souvent une pression politique. Même dans Yella la pression provient du système, puisqu’il y est question des relations entre l’Est et l’Ouest. Même si dans le cas précis de ce personnage, la pression qu’elle ressent à être décédée est sans doute plus forte (rires).

Dans Gold c’est pareil : être seule à cette époque était particulièrement dangereux. En tant que femme, elle ne peut donc pas se dévoiler, être elle-même. Il lui faut arborer un second visage, un masque qui lui serve à se protéger. Voilà ce qu’ont en commun ce personnage et les autres héroïnes que j’ai interprétées : elles portent un masque. Elles sont infiniment seules car elles ne savent pas à qui elles peuvent faire confiance. Il leur faut énormément de temps pour se montrer sous leur vraie nature, pour dévoiler leur fragilité.

FDC : Vous parlez de fantômes. L’an dernier, nous avons rencontré Christian Petzold à l’occasion de l’hommage qui lui été rendu au Goethe Institut, et il utilisait lui-même cette image du fantôme pour décrire ces personnages. Dans Yella vous jouiez véritablement une revenante, dans Nous sommes la nuit vous jouiez une vampire lesbienne, aujourd’hui dans Gold vous êtes une héroïne de western. On imagine que ce sont des rôles rêvés pour une actrice. Les autres actrices sont-elles jalouses de ce qu’on vous propose?

NH : (Rires) En tout cas ce sont des rôles de rêve, ça oui !

FDC : Cette dimension bigger than life de vos personnages, c’est quelque chose qui guide vos choix ?

NH : Mon dieu, je crois bien que je n’avais jamais vu les choses sous cet angle, mais peut-être bien. En tant qu’acteur, on se doit de voir plus loin que la vie de tous les jours, d’avoir de l’imagination et de rester ouvert aux choses. C’est une chance que de pouvoir faire l’expérience de tous ces personnages, tous ces univers. Tout est possible pour les acteurs, et il faut s’en montrer digne. Je ne me mets aucune barrière, et si je dois jouer un fantôme, j’y vais à fond ! Mais je ne recherche pas ces rôles de manière exclusive.

FDC : Pourtant on ne vous imagine pas tellement jouer la petite amie, la femme au foyer ou la fiancée du héros, on ne vous imagine pas servir de faire-valoir à un personnage masculin. On pourrait presque dire qu’un personnage joué par Nina Hoss est forcément supérieur aux autres !

NH : (Rires) Gloups !

FDC : Revenons à Gold. C’est un film sur l’espoir mais aussi un film sur l’abandon et la résistance. La fatigue y est éprouvante. En tant qu’actrice, était-ce un tournage qui vous a présenté des défis particuliers ?

NH : Oh oui, rien que d’avoir des chevaux ! Les chevaux sont parfois de bonne humeur et parfois de mauvaise humeur, tout comme nous. C’était un vrai challenge que de devoir s’en occuper absolument tous les jours sans relâche. Le budget du film était limité, l’équipe était réduite, il n’y avait personne pour nous aider et on devait les tenir toute la journée. Mais cela m’a paradoxalement beaucoup aidée en tant qu’actrice, cela m’a fait sortir de l’analyse psychologique de mon personnage, il fallait être dans l’action, être attentive tout le temps. Il fallait sans cesse faire attention à leur placement, veiller à ce qu’ils se déplacent bien quand on commençait à tourner, et plein d’autres détails encore… Mais ce côté très pragmatique m’a beaucoup plu. Je n’avais jamais eu ce genre d’expérience sur un tournage auparavant. Monter les chevaux et apprendre à les diriger, c’était encore autre chose ! Mais le personnage d’Emily est également censé être une débutante, parce que l’on lui interdisait de monter à cheval chez elle, j’ai donc pu calquer mon expérience sur la sienne. Plus on tournait plus je prenais d’assurance et meilleure cavalière je devenais. C’était fascinant de suivre ainsi la même trajectoire qu’elle. Nous avions également la chance incroyable de vivre tous ensemble dans une ferme en Colombie-Britannique, et nous étions particulièrement isolés. Il m’est arrivé de ne pas quitter cette ferme pendant une semaine entière ! Certains d’entre nous retournaient en ville, ne supportaient plus ces paysages, je me sentais au contraire complètement à mon aise. Cette nature a le pouvoir de calmer les hommes. Je dois dire qu’à ce niveau-là, cette partie du Canada est un endroit fascinant. On s’y sent connecté à la vie, à la nature. On oublie la fatigue, le ressentiment. Il suffit de lever les yeux et profiter. Incroyable.

FDC : Vous n’avez donc pas eu de problème pour vous identifier à l’envie désespérée des personnages pour atteindre cette région ?

NH : En effet. Et pourtant, ces paysages ont beau être somptueux, ils ont également quelque chose qui peut rendre claustrophobe. La nature n’est pas docile là-bas, elle n’est pas nécessairement faite pour l’homme. Cette nature ne fait pas de cadeaux, on y est livré à soi-même. C’est une dimension que l’on retrouve d’ailleurs dans le film. L’homme s’y sent minuscule, au sens figuré mais aussi au sens propre : il est très difficile de s’y retrouver. On croit avoir atteint sa destination mais l’on découvre que l’on en est encore très loin. C’est pourquoi je ressens un profond respect pour les gens qui ont traversé cette région à l’époque !

FDC : C’est aussi de cela que parle Gold : le duel entre l’homme et la nature.

NH : Tout à fait. A la fin, il ne peut en rester qu’un. Seul un des deux peut survivre. Finalement, les personnages qui prennent la meilleure décision du film, c’est ce couple qui décide de rebrousser chemin. On ne sait pas trop ce qui arrive à Emily à la fin du film, mais j’ai quand même ma petite idée là-dessus. Dans mon esprit, elle s’en sort. Évidemment (rires) !

FDC : Lorsque vous devez travailler à partir d’un scénario qui, comme c’est le cas ici, donne très peu d’indications sur votre personnage, comment l’abordez-vous ? Avez-vous une approche particulière ? Imaginez-vous un passé, un hors-champ à votre personnage ?

NH : Oui, mais pas nécessairement un passé. Ma méthode consiste à me poser toujours la même question. A chaque fois que mon personnage parle, à chaque phrase je me demande si elle dit réellement ce qu’elle pense où non. Est-ce qu’elle cache consciemment quelque chose. Et si oui, pourquoi ? Et qu’est-ce qu’elle a en tête ? Quand j’ai très peu de lignes, des phrases très courtes comme dans Gold, j’ai besoin de savoir précisément d’où elles viennent. Parce que ce que mon personnage cache est bien souvent plus important que ce qu’elle dévoile.

FDC : C’est un travail que vous faites de votre côté ou bien en parlez-vous avec le réalisateur ?

NH : La plupart du temps, je le fais toute seule. Ça dépend du réalisateur. Il y en a que ce genre de questions embrouillent complètement, ou qui ne comprennent pas, dans ce cas je laisse tomber ! C’est rare de parvenir à faire ce travail à deux.

FDC : Pouvez-vous nous parler de Phoenix, votre nouvelle collaboration avec Christian Petzold, où est-ce trop tôt ?

NH : Avec ce film, Christian remonte encore plus loin dans le temps. Cela se passe à la fin de la 2nde guerre mondiale. Je trouve le scénario exceptionnel, très audacieux. C’est audacieux dans sa manière d’aborder notre Histoire, car c’est un sujet très sensible, et il y mélange des éléments très imaginatifs. C’est encore une histoire de fantômes en quelque sorte. Pas de vrais fantômes, mais disons des fantômes au sens Christian Petzold du terme ! Mais cette fois, ce n’est plus seulement mon personnage le fantôme. De mon point de vue, tout le monde en est un dans ce film. Tout le monde essaie de revenir à la « vraie vie ».

FDC : Quand j’ai rencontré Christian Petzold l’an dernier, il m’avait parlé de vos cheveux. Dans Yella vous aviez les cheveux châtains, mais dans tous les autres films que vous avez faits ensemble, vous êtes blonde. Il me disait justement qu’il souhaitait vous demander de vous teindre à nouveau les cheveux pour Phoenix parce que cela vous allait si bien, mais qu’il ne savait pas trop si vous seriez d’accord ! L’a-t-il fait ?

NH : (Longs rires) Oui, il l’a fait. Mais c’était MON idée ! Et il le savait très bien au moment où il vous l’a dit ! C’est moi qui lui ai proposé, je lui ai dit « on ne peut pas refaire Barbara ». Quel beau-parleur celui-là, je vous jure (rires).

FDC : J’espère que l’on pourra découvrir le film à la prochaine Berlinale, où vous êtes presque chez vous. Comment s’est passée la présentation de Gold là-bas ?

TA : Hélas je n’y étais pas, j’étais malade ! J’étais complètement HS mais ça m’a rendue triste de ne pas pouvoir y être. Je n’ai même pas lu les critiques, et je ne l’ai d’ailleurs toujours pas fait. Je n’ai aucune idée de la manière dont le film sera reçu à sa sortie. Le film sort d’abord chez vous. Ce qui est assez inédit d’ailleurs, mais je suis curieuse de voir si cela va avoir une influence ou non. Si la France réserve un bon accueil au film, cela devrait mettre les Allemands dans de bonnes dispositions.

FDC : Vous venez d’ailleurs de tourner avec un casting international pour le prochain film d’Anton Corbijn. Pouvez-vous nous parler de cette expérience ?

NH : Oui, nous avons tourné en Allemagne, à Hambourg, et la sortie du film est prévue pour octobre. C’est une adaptation d’un roman de John Le Carré, c’est un thriller qui se passe dans le milieu des services secrets. Le film explore les divergences entre les différentes organisations de renseignements tels que la C.I.A., les services allemands ou britanniques, sur leurs différentes manières de réagir face à une menace terroriste.

FDC : Cela a-t-il changé quelque chose pour vous de jouer en anglais ?

NH : Tout à fait ! Cela donne une certaine liberté car on ne peut jamais être entièrement sûr que ce que l’on vient de dire correspond à la nuance près à ce que l’on souhaite dire. C’est une histoire d’intonation, de prononciation. En allemand, je sais exactement quelles variations d’intonation prendre pour faire passer telle ou telle émotion. Avec une langue étrangère, on perd un peu de cette maîtrise. C’est effrayant au début mais on se sent bien plus libre après.

Entretien réalisé le 18 juin 2013. Un grand merci à Karine Ménard et Laurence Granec.

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par Gregory Coutaut

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