Entretien avec Kongdej Jaturanrasmee

Entretien avec Kongdej Jaturanrasmee

Très remarqué en festivals mais encore inédit en France, P-047 raconte l'histoire d'un serrurier et d'un écrivain qui s'introduisent dans des appartements pendant la journée, quand les propriétaires sont partis travailler. Kongdej Jaturanrasmee signe un film envoûtant, poétique, hors normes, et se distingue comme l'un des noms du jeune cinéma thaïlandais à suivre de très près. Entretien avec le réalisateur.

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FilmDeCulte : Comment vous est venue l'idée de faire P-047 ?

Kongdej Jaturanrasmee: L’idée du serrurier m’est venue de mon chef décorateur, lorsque nous travaillions sur un film il y a 5-6 ans. Il m’a raconté qu’une fois il avait perdu ses clefs et ne pouvait plus rentrer chez lui. Il a alors appelé un serrurier qui lui avait été recommandé par un ami. Et il a été étonné en voyant débarquer une femme d’âge mûr accompagnée de sa fille de 10 ans. La dame était très habile et très rapide, et tandis qu’elle travaillait sur la poignée de porte, elle apprenait le boulot à sa fille. Elle a pu non seulement régler le problème sans laisser une trace, mais aussi faire en un tour de main un double de la clef égarée. Quand on m’a parlé de cette histoire, je me suis dit qu’il y avait de grandes chances pour que n’importe qui puisse rentrer chez moi en mon absence. J’ai gardé cette idée pendant des années avant de l’utiliser dans ce film.

FdC : La structure du film, avec des flashbacks, des réminiscences, est très libre et sensible. A quel moment cette façon de raconter l'histoire de P-047 s'est imposée à vous ?

KJ: Pour raconter cette histoire, j’avais décidé dès l’écriture du scénario d’opter pour une structure non-linéaire. En fait c’est un film qui a été monté fidèlement par rapport au scénario, en accord avec ce qu’il raconte : une âme perdue qui cherche un corps à posséder. En d’autres termes, un humain à la recherche d’une identité. L’idée principale, c’est que la vie est une combinaison de minuscules petites choses qu’on emprunte aux gens qu’on connait, aux lieux qu’on traverse. Du coup il n’y avait pas de meilleure manière que de raconter cette histoire de façon non-linéaire.

FdC : Dans les films de votre compatriote Aditya Assarat, les lieux, les hôtels ou immeubles vides, ont une mémoire. Dans P-047, les lieux vides sont incarnés, ils disent des choses au sujet des gens qui les habitent, ou les occupent momentanément comme vos héros. Vous les filmez avec beaucoup d'attention. En quoi la maison est-elle un outil narratif pour vous ?

KJ: Je pense que rencontrer quelqu’un en chair et en os (ou sur Facebook) ne vous apprend strictement rien sur cette personne. Chaque personnalité est facilement malléable et peut s’adapter à ce qu’elle veut que vous reteniez d’elle. C’est tout le contraire de l’endroit où les gens vivent. Leurs affaires, les choses qu’ils utilisent, chaque élément est un indice de la personnalité des propriétaires. C’est une théorie qui s’est confirmée lorsque j’ai cherché un lieu de tournage.

FdC : A ce sujet, Aditya Assarat nous avait d'ailleurs dit que s'il n'avait pas été cinéaste, il aurait été architecte. Avez-vous une idée de ce que vous auriez été si vous n'aviez pas été cinéaste ?

KJ: Je serais dessinateur de bandes dessinées ou bien j’écrirais des chansons.

FdC : Aviez-vous des inspirations pour P-047 ?

KJ: J’ai puisé mon inspiration dans les problèmes que j’avais à l’époque. Se poser, penser, écrire, et achever un travail, c’est comme une méditation. Généralement je trouve des réponses aux questions que je me pose à travers ce cheminement. L’idée de ce film m’est apparue à un moment de ma vie où je me demandais qui j’étais vraiment, et ma réponse était toujours « Rien, car rien ne m’appartient. Je suis en fait composé de plein de petits bouts d’autres personnes ». C’est cette idée que j’essaie de faire passer dans le film.

FdC : Pourquoi ce titre ?

KJ: C’est une question qu’on me pose souvent. Le code P-047 apparaît lors de scènes importantes du film : quand on peut voir ce qui se cache dans la tête des autres, c’est le vol parfait. C’est ce qu’on a pris l’habitude de raconter avec mon producteur, parce qu’on trouvait ça cool. En réalité on était arrivé au dernier jour de tournage sans avoir pu trouver de titre anglais, et j’ai vu ce P-047 sur un poteau derrière un acteur. J’ai demandé à mon producteur si on pouvait utiliser ça comme titre. Il a approuvé tout en prédisant que tout le monde allait poser une question là-dessus. C’est ce qui est arrivé !

FdC : Est-ce que pour vous P-047 est un film fantastique ?

KJ: Je ne suis pas sûr non plus de la catégorie dans lequel le ranger. Un puzzle ? Une méditation ?

FdC : Quels sont vos projets ?

KJ: Je viens de finir mon nouveau projet le mois dernier. C’est mon premier teenage movie. Je me suis beaucoup amusé et j’espère que ça va marcher. Si P-047 parle de l’identité d’un individu, mon prochain projet porte sur cette question : « quelle est l’identité de la Thaïlande ? »

Entretien réalisé le 24 juin 2012

par Nicolas Bardot

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