Entretien avec Jason Banker

Entretien avec Jason Banker

C'était l'une des révélations du Festival de Gérardmer. L'Américain Jason Banker signe avec Toad Road un premier film singulier, entre ultra-réalisme et fantastique. Le réalisateur nous parle de sa méthode, de sa collaboration avec Jonathan Caouette et de ses influences...

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FilmDeCulte : Quel a été votre parcours avant la réalisation de Toad Road ?

Jason Banker : J’ai essentiellement fait du documentaire et des films expérimentaux. Ca fait des années que je travaille comme chef opérateur pour Jonathan Caouette, et après avoir tourné le doc All Tomorrows Parties avec lui, j’ai eu l’idée de faire un film sur des ados autodestructeurs. Cette idée est devenue Toad Road.

FDC : Toad Road est à la fois anti-spectaculaire, se déroule dans un décor ultra-réaliste, et parvient pourtant à être frontalement fantastique, à se fondre dans un climat onirique. Est-ce que ce paradoxe était pour vous le point de départ de Toad Road ?

JB : Tout à fait. Avoir passé tant de temps à réaliser des documentaires m’a donné envie de me frotter à la fiction, tout en me servant du réel comme d’une base. Ce contraste extrême est quelque chose de très excitant pour moi, en tant que réalisateur. J’ai toujours été un fan de science-fiction et de films d’horreur, mais je voulais créer quelque chose de plus naturaliste qui irait simplement piocher dans ces genres. En ce moment-même je travaille sur mon prochain film et l’approche sera identique. J’aime l’idée de découvrir mon récit quand je filme de façon documentaire, puis ajuster subtilement les choses pour basculer au-delà du réel.

FDC : A mes yeux, le fantastique ne débute pas forcément au moment de la disparition de Sara, on le ressent déjà par l'absence d'informations sur le lieu, le temps, sur tout ce qui est extérieur à l'univers des personnages. Cette absence de références tangibles crée une atmosphère d'étrangeté, même si rien de bizarre n'arrive. Est-ce que cette façon particulière de créer du fantastique était quelque chose que vous aviez en tête ?

JB : Je travaille de façon intuitive. Le groupe de jeunes que j’ai filmés vivait plutôt dans cet entre-mondes assez bizarre. Ils avaient peu de responsabilités, et une totale liberté de faire ce qu’ils voulaient. Leur style de vie était une fête permanente, et je voulais refléter ceci dans mon film. L’idée, c’était de créer une expérience qui soit à la fois viscérale et hantée, comme une drogue qui provoquerait des hallucinations fiévreuses.

FDC : Et même si au final Toad Road est quasiment à 100% un film fantastique, il parvient à être plus réaliste ou authentique que des documentaires sur les utilisateurs de drogues ou sur les jeunes en général. Est-ce que c'est un aspect sur lequel vous souhaitiez vous pencher ?

JB : A vrai dire je ne pense pas que Toad Road soit à 100% du fantastique. Il y a une base hardcore de documentaire qui est très importante pour moi. Je voulais mixer mon surnaturel avec leur réalité, et c’est pour ça que ça semble si juste et réel. C’est la magie que je recherchais.

FDC : La bande sonore joue un rôle très important dans Toad Road. Comment l'avez-vous supervisée ?

JB : Depuis des années j’écoute de la musique faite par des artistes incroyablement talentueux qui sembleraient obscurs aux yeux de beaucoup. Ils sont tous une très grande source d’inspiration pour moi, à tel point que tout le travail sonore a été effectué à partir de ces chansons. N’hésitez pas à jeter une oreille à ce que font Machinefabriek, Jasper TX, Greg Haines, Adam Pacione, Jana Hunter, et Svarte Greiner.

FDC : Comment produit-on aujourd'hui un film comme Toad Road ?

JB : Ma manière de procéder est incroyablement dure à faire financer par des moyens conventionnels, puisque je ne suis pas un scénario. Généralement j’ai besoin de filmer avant même de savoir quelle histoire je vais raconter. Pour Toad Road, j’ai contacté un ami que je connais depuis le lycée. Il s’intéressait à ce que je faisais et voulait s’impliquer dans mon premier long métrage. Je l’ai convaincu de m’acheter une caméra, du matériel pour le son, et tout est parti de là.

FDC : Avant Toad Road, vous avez travaillé avec Jonathan Caouette. Pouvez-vous nous parler de votre collaboration ? Est-ce que cette expérience vous a aidé sur ce film ?

JB : Ah oui. Jonathan et moi bossons ensemble depuis 14 ans. C’est le premier réalisateur avec qui j’ai collaboré quand je suis arrivé à New York à la fin des années 90. A l’époque nous faisions tous les deux des courts expérimentaux, et on avait en commun notre intérêt pour le DIY (do it yourself) et pour David Lynch. Mon expérience auprès de lui sur Tarnation, et le succès que le film a eu, m’ont prouvé qu’une approche d’outsider avant-gardiste pouvait être payante.

FDC : Quels sont les cinéastes qui vous inspirent, que vous préférez ?

JB : Ceux qui me viennent à l’esprit sont David Lynch, Larry Clark, Harmony Korine, Gus Van Sant, Shinya Tsukamoto, Shozin Fukui, Sam Raimi, et Gaspar Noé.

FDC : Quels sont vos projets ?

JB : J’ai terminé récemment un documentaire sur un groupe de gamins sans domicile fixe, à New York, qui s’appelle Squatter. Et je viens de finir le tournage de mon nouveau mix de doc et de fiction dans le style de Toad Road. J’ai aussi tourné et produit quelques autres films qui doivent être projetés avec ceux de mes collaborateurs Jorge Torres-Torres (Shadow Zombie) et Bradford Willingham (Hillbilly Wolf).

Entretien réalisé le 23 avril 2013.

par Nicolas Bardot

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