Festival de Gérardmer: Entretien avec Bruno Barde

Festival de Gérardmer: Entretien avec Bruno Barde

La 22e édition du Festival du Film Fantastique de Gérardmer débute ce mercredi 28 janvier et celle-ci est prometteuse ! Bruno Barde, directeur du festival, a répondu à nos questions et nous présente le cru 2015...

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Quel bilan tirez-vous de l’édition 2014 ?

J’en tire un bilan mitigé par rapport à cette année qui est beaucoup plus prometteuse en termes d’hommage et de programmation. L’an passé on subissait le contrecoup d’une production qui n’était pas de très bonne qualité. La force des États-Unis se confirme. Et puis je suis un homme optimiste et plein d’espoir !

Est-ce que ce n’est pas frustrant de voir qu’un film aussi beau et ambitieux que le Grand Prix de l’an passé, Miss Zombie, ne sorte ni en salles ni en dvd chez nous, alors que le plus gros succès du cinéma d’horreur en France en 2014 est une production aussi cynique qu’Annabelle ? Ou au contraire est-ce que ça ne donne pas au festival sa raison d’être ?

Il y a une frustration en terme d’esthétique et de beauté, mais ça donne un sens de plus à Gérardmer ! C’est là qu’on montre ces films. Les distributeurs sont frileux, ils n’ont pas de salles, et les films sortent de plus en plus directement en dvd . Quand j’ai commencé mon métier de sélectionneur, je ne prenais même pas un film qui ne sortait pas en salle. Aujourd’hui, ce n’est plus la qualité qui dicte la carrière d’un film en salles ou non. Le cinéma ne se découvre plus forcément en salles, on le ramène à soi. Même nous, les sélectionneurs, on découvre les films de cette façon. Et les membres du jury nous disent d’ailleurs, lorsqu’ils voient les longs métrages sur grand écran, « qu’est-ce que ca fait du bien de voir des films dans ces conditions ». Je suis frustré que Miss Zombie ne sorte pas et en même temps c’est inévitable. C’est d’ailleurs pour ça qu’on a arrêté Deauville Asia : il n’y a plus d’économie en France pour ça. Alors qu’il y a évidemment plein de films de qualité, japonais, coréens etc.

On note une forte présence de films anglophones dans la sélection. Cela traduit-il un regain de créativité du côté de la production anglo-saxonne ?

Je n’aime pas tirer des généralités, il faut du temps pour comprendre. Je ne sais pas s’il y a un véritable regain du fantastique américain, mais cette année c’est le cas. Est-ce que ça va se confirmer ? Je l’espère. C’est aussi une tendance sociétale. L’interrogation du fantastique est salutaire : on va au-delà de la réalité. Ce n’est pas innocent de voir que beaucoup de ces interrogations cette année en sélection tournent autour des ados et jeunes adultes. Cette jeunesse s’interroge sur le monde et s’angoisse à l’idée de ne pas avoir d’avenir, ou alors d’avoir un avenir sombre.

Il y a beaucoup de films de science-fiction cette année. Avez-vous observé un engouement neuf de la part des réalisateurs pour ce genre ?

Non, je ne pense pas. Mais ce que je trouve très intéressant, c’est qu’il y a beaucoup de films subtils. Les choses ne sont pas évidentes dans ces films, il y a des ellipses, des incertitudes. On retrouve d’une certaine manière l’esprit d’un ancien gagnant de Gérardmer, un grand film : Créatures célestes. Ce qui est effrayant n’est pas ce qu’on nous montre mais ce qu’on nous laisse deviner. Ce qui est intéressant, c’est le chemin d’orgueil qui nous mène à cela. C’est un parcours qu’on retrouve dans des films de cette année comme Goodnight Mommy, It Follows, Cub, These Final Hours

L’an passé, lorsque nous l’avions interrogé au sujet de la présence récurrente de réalisatrices en sélection à Gérardmer, Hédi Zardi nous avait répondu que la diversité apportait un renouvellement du point de vue. Est-ce une chose que vous avez observée cette année alors qu’il y a à nouveau beaucoup de réalisatrices en sélection ?

Non. Je ne suis pas du tout dans ces problématiques. Si je pouvais ne jamais voir de générique avant les films, ce serait parfait. La seule chose qui m’intéresse, c’est le film. Je me fous de qui l’a réalisé. C’est pour ça que le cinéma est populaire. C’est assez dangereux finalement de dire : « Ca, c’est forcément un truc de femme ». Alors qu’on ne dit jamais ça pour les hommes. C’est comme ces associations qui réagissent chaque année à la sélection cannoise, ça me fait marrer. C’est une insulte à l’intelligence et à l’intelligence des femmes.

Certains blockbusters ont peut-être moins « besoin » des festivals pour être mis en lumière. Est-il facile d’avoir de gros films comme le nouveau Wachowski ou le dernier Disney dans la sélection ?

On a un rapport de complicité totale avec les distributeurs. Gérardmer est à la fois populaire et exigeant. J’aime beaucoup la formule « l’élitisme pour tous ». C’est ça qu’on fait dans nos festivals : on veut le meilleur pour tous. Le métier a donc confiance. Après on respecte le fait que le festival est couvert par la presse, certains ont peur que les films soient éreintés, on doit tenir compte de l’économie d’un film. Je respecte ça, évidemment.

Cela vous arrive régulièrement de ne pas pouvoir obtenir les films que vous désirez ?

Oui, comme partout. Et il y a beaucoup de raisons. Parfois, le distributeur a acheté le film mais il doit payer la copie alors qu’il ne veut sortir le film que des mois plus tard. Ensuite le film est finalement retenu à Berlin, comme pour des films qu’on voudrait à Beaune mais qui sont retenus à Cannes ou qu’on voudrait à Deauville Américain et qui sont à Toronto. Il y a aussi la peur de la presse, lorsqu’il y a un doute sur l’accueil qui sera fait au film. Souvent, les distributeurs aimeraient utiliser les festivals comme des rampes de lancement. Morse avait été un événement, 2 sœurs aussi : la presse en a parlé, les distributeurs ont désiré ces films. Mais la raison principale, c’est la crainte liée aux enjeux économiques.

Pouvez-vous nous parler du focus consacré à la Hammer ?

On vise la transmission du savoir à travers la circulation des œuvres et le savoir à travers le verbe. Il y a toujours des colloques à Gérardmer qui prêtent au verbe, qui prêtent à la discussion. On a fait des colloques sociaux, des colloques philosophiques et ça me semblait intéressant cette année de parler de la Hammer, de ce qu’elle a apporté au cinéma. Le cinéma est un art avec son histoire et son patrimoine, et ça nous semble toujours intéressant de mettre en valeur ce patrimoine parce que quand on est sur les épaules du passé on voit un peu plus loin. On a la chance à Gérardmer d’être un festival populaire, avec du monde dans les salles, dans les rues et du coup on peut faire des choses comme ça.

Comment s’est effectué le choix du président du jury, Christophe Gans ? Et qu’est-ce qui constitue à vos yeux un bon président de festival ?

D’abord, il a déjà été dans le jury. Je le connais depuis longtemps car j’ai auparavant été attaché de presse. Je l’ai connu à l’époque de Starfix. C’est un des journalistes passé avec succès de l’écriture à la mise en scène. Il était naturel qu’il passe de fan à observateur à protagoniste. C’était une évidence. Ensuite, un bon président, c’est deux choses : il arrive vierge et sans a priori, et il est heureux de ce qu’on va lui montrer et lui raconter. Sélectionner, c’est comme raconter une histoire, il faut que le président ait envie de l’entendre. Ensuite il faut qu’il fasse de son jury une famille, un clan, qu’il soit fédérateur, il faut qu’ils soient bien ensemble pour produire le meilleur palmarès. Parce que ce qui reste du festival, c’est le catalogue, et le palmarès.

On a pu voir l’an passé qu’il était de plus en plus difficile d’organiser et de maintenir des festivals. Deauville Asia est en pause, Paris Cinéma est arrêté. Est-ce toujours aussi dur de monter un festival comme celui de Gérardmer ?

Oui, c’est très difficile. D’ailleurs on a une position un peu particulière car nous sommes producteurs de nos festivals, on engage financièrement nos équipes. On peut faire nos festivals grâce à ça. L’association de Gérardmer se bat comme des malades mais il y a de moins en moins de sponsors et on ressent la crise partout. Pour Deauville Asia, j’ai le cœur déchiré, c’est un festival auquel j’étais très attaché depuis 15 ans. C’est le cinéma asiatique qui m’a fait venir au cinéma, c’est Mizoguchi, c’est Ozu, ce sont les plus grands. Mais il y a un moment où vous ne pouvez plus. Un festival, c’est une bagarre. A part les festivals d’état, où il y a une volonté politique et économique avec l’état derrière. Mais quand on est à une échelle locale, c’est dur. Et hélas, la culture est parfois une arme politique. Quelle est la vie d’une cité s’il n’y a pas de culture ? Par ailleurs, il faut être honnête, quand Robert Rodriguez vient, ça n’est pas en seconde, ça coûte des sous, la nouvelle billetterie mise en place coûte des sous également, comme le sous-titrage… Tout est en augmentation et rien n’est en réduction.

Pouvez-vous partager avec nous quelques coups de cœur de la sélection ?

Non, vous comprendrez bien que je ne peux pas vous répondre (rires).

Quel est votre film d’horreur préféré ?

Je pense spontanément à M le maudit de Fritz Lang. Créatures célestes dont je vous parlais, je trouve ça très beau. L’Exorciste, je l’ai vu à sa sortie, je n’ai jamais pu le revoir tellement ça m’a traumatisé. Shining c’est immense. Mais c’est difficile de s’arrêter sur un seul titre.

Entretien réalisé le 21 janvier 2014. Un grand merci à Clément Rébillat.

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par Nicolas Bardot

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Photo © Marcel Hartmann

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