Entretien avec Akira Ikeda

Entretien avec Akira Ikeda

Envie de voir quelque chose de différent ? Voici Anatomy of a Paper Clip, deuxième long métrage du Japonais Akira Ikeda. Cette comédie lunaire et glacée sur un homme solitaire qui assemble des trombones, porte une minerve et rencontre des papillons a remporté l'un des Tiger Awards du meilleur film au Festival de Rotterdam. Ikeda nous en dit un peu plus sur ce mystérieux ovni...

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L’histoire d’Anatomy of a Paper Clip est très inhabituelle. Quel a été le point de départ du film?

L'idée du film m'est venue d'une vieille histoire traditionnelle japonaise. Elle raconte que les chats, ou d'autres animaux aux pouvoirs mystiques, peuvent emprunter une forme humaine et côtoyer les humains pour les remercier d'un bienfait ou d'un service rendu. C'est le genre d'histoire qu'au Japon, tout le monde connaît, de celles que les parents racontent tout le temps aux enfants. Peut-être que ce film est singulier en tant que tel, mais sur l'archipel, il traite d'un thème qui est très familier aux spectateurs. J'y ai rajouté les thèmes de la métamorphose et de la communication.

Vos acteurs qui sont des sortes de clowns blancs inexpressifs sont très drôles. Comment avez-vous appréhendé la direction d’acteurs ?

Tout d'abord, un mois avant le tournage, on a répété avec les acteurs car je voulais qu'ils soient capables de contenir toute émotion et toute expression de base. Durant ce mois, avec tous les comédiens, on a travaillé très précisément sur la manière de délivrer chaque réplique, et même leurs mouvements. Et quand il a fallu tourner pour de bon, il a pu y avoir des petits ajustements, mais j'ai obtenu, à peu de choses près, ce que l'on avait décidé durant les répétitions. Le budget très réduit aura compliqué de nombreux aspects du travail, mais, même si c'était un luxe qu'on ne pouvait pas se payer, j'ai tenu à avoir cette période de répétition.

Qu’est-ce qui vous fait rire, au cinéma comme dans la vie ?

J'éclate de rire souvent quand l'intention n'est pas de faire rire. Au cinéma, le rire est quelque chose de construit, que l'on déclenche intentionnellement. Dans la vie de tous les jours, il y a tellement de choses qui arrivent sans qu'on le veuille. C'est souvent de tels événements qui me font rire, ou sourire.

Il y a une dimension totalement absurde et ennuyeuse dans la vie de vos personnages. C’est drôle, mais c’est aussi violent. Comment avez-vous travaillé cet équilibre à l’écriture ?

Dans ce film, il n'y a quasiment pas de violence « directe ». Mais on peut sentir sûrement qu'il y a des passages tourmentés. Le personnage principal, le garçon, a une vie monotone et ennuyeuse. Pourtant, le monde autour de lui continue de tourner, il est en constante évolution, et les gens qui y vivent finissent par avoir une influence sur lui. Ce genre de situations renferme un des germes de la violence. Tout comme dans notre monde réel, même si on se contente de vivre notre vie sans rien faire, par la simple influence du monde externe, on peut être en proie à l'angoisse ou à la peur. J'ai écrit mon scénario de manière à ce que l'on puisse ressentir ce genre d'infiltration, d'influence du monde extérieur. Je me suis demandé ce qu'il se passerait si des éléments perturbateurs venaient le chercher depuis l'extérieur de la ville, du quartier dans lequel vit le jeune homme.

Votre mise en scène a l’air très simple, épurée, presque aussi robotique que la vie de vos personnages. Il y a pourtant, à l’opposé, quelque chose de très étrange, de mystérieux dans votre film, comme cette histoire de papillon et cette jeune femme qui parle un charabia incompréhensible. Est-ce que la simplicité de votre mise en scène était pour vous un moyen de mettre en valeur la bizarrerie de votre histoire ?

Comme j'ai pu l'expliquer un peu plus haut, j'ai demandé aux comédiens de bien vouloir faire tout leur possible pour réduire un maximum leur expressivité. Je ne voulais pas que mon film impose ses sentiments aux spectateurs, mais que ceux-ci créent leurs propres émotions. Je voulais que chaque spectateur puisse se faire son idée, avoir son interprétation, ressente leurs émotions à eux devant ce film. C'est pourquoi j'ai fait également attention à rester simple visuellement, et ne rajouter surtout aucune fioriture, aucune information superflue. Je me suis dit que c'était ainsi que j'arriverai à créer le monde de ce film.

Anatomy of a Paper Clip ne ressemble pas à beaucoup de films. Vous êtes-vous inspiré d’un autres longs métrages ou réalisateurs ?

Depuis que je suis enfant, je regarde des films et j'aime le cinéma. J'aime tellement de films et de réalisateurs. Ce fut sans doute autant d'influences diverses. Et probablement que, si un seul d'entre eux manquait à l'appel, ce film n'aurait pas vu le jour tel qu'il est. Mais mes influences ne se limitent pas au cinéma.Il en va de même pour la musique, la bande dessinée et le théâtre. C'est pourquoi il m'est difficile de donner seulement un nom en tant qu'influence.

Comment produit-on un tel film au Japon ? Est-ce que cela a été difficile ?

Mon film est étrange, et parfois compliqué à comprendre. C'est pourquoi avant le tournage, il a été dur de faire passer, de faire comprendre ce que je voulais faire. Surtout quand le projet n'était encore qu'au stade du scénario. Il a fallu expliquer beaucoup de choses aux comédiens et au reste de l'équipe, et je n'avais que mes mots pour expliquer ce que je voulais. Certains, même, n'ont pas compris ce que je voulais alors que le film était complètement terminé. Ce genre de films forcément, n’est pas évident à produire au Japon. C'est pourquoi je l'ai fait avec un budget minimal. Malgré tout, si on continue à dire qu’on veut tourner son film, de nombreuses personnes le comprendront et voudront bien suivre votre projet, ce qui fait qu'au final, il en ressort quelque chose.

Nous avons récemment mis en ligne un dossier consacré aux nouveaux cinéastes japonais. Y a-t-il selon vous quelque chose de neuf qui se passe actuellement dans le cinéma japonais ? Y a-t-il des jeunes cinéastes que vous appréciez particulièrement ?

Je n'ai pas de jeunes réalisateurs que j'aime particulièrement en tête, mais de nos jours, on peut mettre la main sur du matériel qui permet de tourner et de monter à moindre coût, beaucoup moins cher qu'avant. Et ce n'est pas spécifique au Japon. Cela permet de découvrir des films qui jouissent d'une liberté que les films à gros budgets ne possèdent pas. J'espère que ce cinéma, un nouveau cinéma, avec des films soumis à peu de contraintes, émergera et va aller en croissant. C'est peut-être même ce qui permettra aux futurs films d'élargir la palette de tout ce que pourrait exprimer notre média à l'avenir.

Entretien réalisé le 2 mars 2014. Un grand merci à Miki Ohi et Emmanuel Pettini.

par Nicolas Bardot

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