Charlie et la chocolaterie
(Charlie and the chocolate factory)
États-Unis, 2003
Scénario: John August d'après l'oeuvre de Roald Dahl
Photo: Philippe Rousselot
Musique: Danny Elfman
Avec: Johnny Depp, Freddie Highmore, Annasophia Robb, Julia Winter, David Kelly, Jordan Fry
Durée: 1h56
Les temps sont durs pour la famille Bucket, qui vit entassée dans une vieille bicoque à l’ombre de l’usine à sucreries de Willy Wonka. A la veille de son anniversaire, le jeune Charlie apprend l’organisation d’un concours dont le prix serait un séjour aux côtés de Wonka pour visiter sa chocolaterie.
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Le paradis a toujours un arrière goût amer chez Tim Burton. De la banlieue paisible aux toits roses et aux sapins bien coupés dans
Edward aux mains d’argent, au village idéal gardé par un rescapé de
Délivrance dans
Big Fish, il vaut mieux se méfier. Le sucre glace de l’un enrobe les âmes féroces de quelques banlieusards, les illusions de l’autre sentent le communautarisme rassis, sous cloche. De la même manière, on peut se méfier de cette fabrique de chocolat, où les visiteurs sont accueillis par un hymne débilitant braillé par des poupées échappées d’une attraction de Disney, avant que celles-ci, lors d’une scène jubilatoire, ne finissent dans les flammes, comme consumées par leur propre niaiserie béate, monument à la gloire d’un Willy Wonka qui ne prend même pas place sur le trône qui lui est érigé: le garçon se contentera ici de faire visiter sa demeure, son miracle, et surtout son refuge. Willy Wonka, sa chocolaterie géante, son armée de Oompa-Loompas (génial Deep Roy) sortis d’une immense photocopieuse, trimballés d’une jungle non répertoriée sur la carte jusqu’aux fourneaux acidulés du maître afin de satisfaire les envies de quelques anges et autres sales gosses. Mais les petits ouvriers ne sont pas dupes: ce sont eux qui chantent la chute des enfants rois, comme la pop coupe au bol du morceau
Veruca Salt célèbre le châtiment infligé aux noix pourries, l’air de ne pas y toucher.
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Après la noirceur désabusée d’un précédent film où le masque du conteur Burton tournait à la grimace, face à son incapacité à rendre la vie réelle plus belle que les fantasmes, le bouffon Tim, garnement du fond de la classe, reprend le dessus. Dans la lignée esthétique d’un Mars Attacks!, Burton s’en donne à cœur joie dans l’art des vignettes surcolorées (les chocolats dévalisés à Tokyo ou à New York, la présentation des enfants) et la façon de mettre en valeur ses décors extravagants. Un monument grotesque (quel intérêt à tout cela, se demandera le plus blasé des jeunes gagnants) dans un film qui fait de ses bourrelets absurdes une vraie question et une usine à gags. Et Burton de saisir à pleine main l’acidité et la méchanceté du roman originel de Roald Dahl: les gamins, encouragés par leurs parents, courent après la bouffe, se gavent de compétition, boivent les images de leur télévision, sucent le sang d’un daddy qui cèdera au moindre des caprices. Tapis roulant insensé d’une existence où l’on se contente parfois de tourner des bouchons de dentifrice pour faire tenir debout une baraque qui penche dangereusement vers le sol. Les pénates du bonheur, imbibées de chocolat, et dont la clef n’est rien moins qu’un ticket d’or, se font maison de correction Wonka pour enfants pas sages, avec Willy en sire un peu triste, héros de la fable et enfant mal grandi.
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Si, chez les Bucket, l’amour familial est concentré dans un lit, une soupe ou un cadeau d’anniversaire que l’on partage (surplus légèrement mielleux dans un film qui, par ailleurs, souffre parfois d’un rythme un peu plat), la famille et le lien père-fils chez les Wonka s’expriment surtout sur le fauteuil d’opération, les crocs ressortis ou une roulette à la main. A la façon de
Big Fish et des relations maussades entretenues par Billy Crudup, les pieds sur le sol, et Albert Finney, la tête dans les nuages,
Charlie et la chocolaterie parle davantage du personnage de Willy Wonka (fantastique
Johnny Depp, une fois de plus) que de celui du jeune Charlie au grand cœur. Wonka senior, ennemi des dents gâtées, et Wonka junior, un appareil de torture qui lui déforme la bouche, ne rêvant plus que de sucreries qu’il amasse, un déguisement de fantôme posé sur la tête. Avant les possibles réconciliations, Burton filme, comme toujours, les fuites en avant de l’imaginaire (Wonka qui se transforme en dieu des confiseries, flottant dans son grand ascenseur de verre) et ses errances plus amères. La comédie loufoque et mordante reprendra rapidement le dessus, l’instant d’une apparition incongrue (un monolithe à la gloire du produit adoré, messie du réfrigérateur) ou d’une dernière danse des Oompa-Loompas, même si la neige féerique, au-dessus de la maison paisible, demeure artificielle.
Nicolas Bardot

