Il est né un 27 mai, le même jour que Vincent Price. Sa voix, mâle et gutturale, attise la foudre et couvre le tonnerre. Figure emblématique de la Hammer, porte-parole des croque-mitaines, Christopher Lee électrise l’imaginaire d’un petit garçon taciturne originaire de Burbank. Les cheveux dressés sur la tête, Tim Burton trépigne devant son poste de télévision. Recouvert de sparadraps le lundi, un crucifix planté dans le cœur le mardi, un fouet à la main le mercredi, Christopher Lee devient le chantre de la série B horrifique. Burton garde en mémoire la silhouette longiligne, l’ombre menaçante, le regard de Méduse qui saute à la gorge, la voix autoritaire et caverneuse qui pétrifie. Aux côtés de Bela Lugosi et de Vincent Price, Christopher Lee appartient à la famille des parrains maléfiques et bienveillants. L’incarnation de toutes les frayeurs enfantines se retrouve ainsi à l’affiche de
Sleepy Hollow. Lee préside le tribunal qui décide du sort d’Ichabod Crane, l’enquêteur blême et froussard. Tim Burton lui confie le rôle d’un père imaginaire dans son adaptation de
Charlie et la chocolaterie. Christopher Lee, ex-Dracula reconverti en dentiste: Docteur Wonka se fait une joie de traquer les caries de son fils Willy. Le terrifiant pasteur Galswells malmène le pauvre Victor Van Dort à la veille de son mariage (
Les Noces funèbres), fait rouler le "r" de "
ring" et entrave le chemin des morts ("
You shall not pass!"). Saroumane dans la trilogie du
Seigneur des Anneaux de Peter Jackson, Christopher Lee a toujours rêvé d’interpréter Gandalf. Grâce à Burton, son vœu est (presque) exaucé.
Danielle Chou
Ambiance lugubre et ciel tourmenté. Au bout du chemin ténébreux, une demeure qui a tout de la maison hantée. En son cœur, un cercueil qui s’ouvre lentement, un visage livide qui en sort, et qui harangue le spectateur, envoûté par "
l’inconnu, le mystère et l’inexplicable". Criswell, nouveau Ré sur sa barque qui emporte ses visiteurs parcourir l’onde des défunts, la mer de l’au-delà. Tim Burton, obsédé par les créatures fantastiques, trouve en son géant Jeffrey Jones (1m96) un valeureux porte-parole qui participe à sa galerie de gardiens des portes infernales que constitue
Ed Wood. Gobé, croqué, cannibalisé par l’univers burtonien, Jones n’était guère en 1988 qu’un pion en polo aux prises avec l’esprit malin qui tente de faire fuir sa famille dans
Beetlejuice. L’homme s’est depuis laissé charmé par le philtre du démon, faisant sa promotion dans
Ed Wood avant de s’acoquiner avec lui dans
Sleepy Hollow. Il y est un révérend défroqué qui s’abandonne aveuglément à la luxure dans les bras d’une femme complice du diable trancheur de têtes. Second couteau récurrent du cinéma hollywoodien, Jeffrey Jones vampirisé déborde parfois de la stricte œuvre burtonienne pour en répandre ailleurs le halo mortuaire - voir son personnage de mort-vivant dans
Vorace d'Antonia Bird. L’homme semble client idéal pour flairer le parfum de la mort et emmener avec lui le spectateur assoiffé. Après tout, "
c’est pour ça que vous êtes là".
Nicolas Bardot
Un vieil homme tend un cœur en biscuit, un robot ménager prend forme humaine. Un père attendri lit un poème, un visage lunaire apprend à sourire. L'inventeur disparaît. Avec lui, s'évanouit le secret de la perfection, cette ultime greffe qui ferait d'Edward un enfant presque comme les autres. Des sécateurs à la place des mains: prisonnier de sa différence, Edward ne pourra laisser qu'une éraflure sur la joue de son créateur. L'emprunte ne s'effacera plus. Edward et Vincent. Ed Wood et Bela Lugosi. Les rêveurs dégingandés de Tim Burton ont tous été biberonnés par un seul maître: Vincent Price. L'empereur des contes horrifiques de la Hammer, la voix exquise, le père spirituel, la quintessence du gentleman extraordinaire. C'est l'acteur anglais qui héritera des rimes passionnées de
Vincent, premier court métrage de Burton et première déclaration d'amour au sculpteur de
L'Homme au masque de cire. C'est ce même mentor qui hantera les parenthèses célestes d'
Edward aux mains d'argent - sa toute dernière apparition sur grand écran. Vincent Price s'éteint à Los Angeles le 25 octobre 1993. Tim Burton avait entamé un documentaire célébrant sa prolifique carrière,
Conversations with Vincent. Dans son sillage se bousculent encore des orphelins, des déracinés, des damnés à la poursuite d'un idéal qui leur glisse entre les doigts... Et le souvenir intact d'une page du
Corbeau d'Edgar Allan Poe: "
Et mon âme, de cette ombre qui gît flottante à terre, ne s'élèvera - jamais plus!".
Danielle Chou