UNE INDUSTRIE DE LUMIERE ET DE MAGIE

Associant les deux concepts a priori antinomiques de magie et d'industrie, George Lucas fit entrer, avec Industrial Light and Magic, le septième art dans l'ère numérique. Très tôt l'homme se pencha sur le potentiel de l'apport de l'ordinateur afin de créer des images inédites. C'est ainsi que pour les besoins des nombreux et révolutionnaires effets de La Guerre des étoiles, Lucas fonda en 1976, avec John Dykstra, la division effets spéciaux de Lucasfilm; ILM. Entre les balbutiements des grossières séquences de La Guerre des étoiles jusqu'aux transformations complexes des zombies pour Pirates des Caraïbes, il s'est écoulé vingt-six années bouillonnantes d'expérimentations et d'innovations diverses. Si dans un premier temps, d'autres compagnies d'effets spéciaux peuvent tenir la rampe aux côtés du wannabe géant de George Lucas, le rythme innovant qu'il impose au marché le nomme très tôt comme l'unique candidat sérieux pour les grosses productions hollywoodiennes. La concurrence, ne pouvant tenir la cadence, abandonne, se cantonnant aux travaux déjà balisés. Star Trek II en 1982 fut l'un des premiers films à contenir une séquence entièrement en images de synthèse - disputant ainsi ce titre avec l'inoubliable Tron sorti la même année. Trois ans après, Pixar s'empare du devant de la scène alors qu'elle n'est encore qu'une petite entité au sein d'ILM/Lucasfilm. John Lasseter conçoit le premier personnage entièrement produit sur un ordinateur pour le film Le Secret de la pyramide. Nouvelle étape marquante et nouvelle pierre dans le jardin déjà fleuri de la compagnie de George Lucas. En 1986, elle expérimente le morphing pour Star Trek IV avant de l'imposer définitivement trois ans plus tard pour Willow, Indiana Jones et la dernière croisade (lors de la séquence finale où un personnage vieillit en accéléré) et surtout Abyss (pour la séquence du pseudopode aquatique qui nécessitera huit mois de travail) et récoltera un Oscar. Intensifiant encore ses capacités d'innovation, ILM crée en 1991, à nouveau pour James Cameron, les effets de métal liquide sur le corps entièrement numérisé de Robert Patrick dans Terminator 2. Enfonçant encore le clou deux ans après, ILM fait entrer le cinéma dans la véritable ère digitale avec les dinosaures de Jurassic Park. L'infographie connaît alors son premier rush fort. Les dinosaures de Spielberg paraissent si réels qu'ils font naître des fantasmes eugéniques dans les esprits des savants qui rêvent de ressusciter réellement ces animaux disparus. Suivirent alors des films tels que The Mask où Jim Carrey, effet spécial à lui tout seul, était épaulé par une combinaison unique, associant prises de vues réelles et éléments 3D sans que la jointure soit visible. En 1999, après avoir réalisé les insectes virtuels de Starship Troopers (1997), ILM imposa le premier vrai personnage principal virtuel interagissant avec des acteurs réels. Le tant décrié Jar-Jar Binks marqua une étape décisive car il était dit que les modèles 3D étaient enfin suffisamment réalistes pour pouvoir être insérés naturellement parmi des éléments palpables. L'œil n'est certes pas dupé, mais il accepte alors aisément la tricherie.


AUTRES TRAVAUX

Ne nous méprenons pas, ILM n'est pas responsable de la totalité des avancées en matière d'imagerie de synthèse. Nombre d'autres travaux ont œuvré à l'entrée de la 3D dans le panorama commun de l'imagerie populaire - qui outre le cinéma, compte la publicité et la télévision. Depuis les fausses prouesses de Max Headroom - les auteurs ayant fait croire que ce présentateur télé était entièrement virtuel alors qu'il n'était que le résultat de manipulations d'un acteur en chair et en os par l'ordinateur - jusqu'aux fourmis de PDI (Fourmiz) et Pixar (1001 Pattes) en passant par des séries ringardes telles que Captain Powers et les soldats du futur, la 3D a vu le champ de ses applications s'élargir considérablement. Jadis réservées aux geeks amateurs d'Imagina, le salon des images de synthèse, elles entrent petit à petit dans la vie quotidienne et cathodique. Lorsque MTV est lancée, elle choisit comme hymne la chanson de Dire Straits: Money for Nothing et son clip en images de synthèse. Nous sommes en 1985 et ces formes abruptes enchantent tout autant que les maquillages de zombie du sublime clip de Michael Jackson: Thriller. Ce même artiste apportera ses talents de danseurs dans l'art de la motion-capture et de son double squelettique en 3D pour le clip de Stan Winston: Ghosts. C'est l'époque du bit et de l'octet, du CD et de sa précision mathématique. Un médiocre film des années 90 avait fait parler de lui en proposant une plongée dans le monde de la réalité virtuelle: Le Cobaye. Si les séquences 3D étaient impressionnantes pour l'époque, la faiblesse et l'inanité de l'histoire lui conférèrent un aspect purement nanar, l'empêchant de devenir une vraie date dans l'histoire de la 3D. Alors qu'un autre film a, quant à lui, apporté de nombreuses innovations dans l'univers de la 3D moderne. Adapté d'un jeu vidéo, Final Fantasy: The Spirit Within offre probablement l'une des plus convaincantes modélisations d'êtres humains. Entièrement tourné vers l'hyperréalisme, ses personnages évoluent au centre d'un superbe univers désincarné et froid où chaque image est l'occasion de s'émerveiller des apports de la technologie mise au service de l'art.


En 1994, James Cameron, Stan Winston et certains transfuges d'ILM, fondent Digital Domain, l'autre grande compagnie d'effets spéciaux hollywoodienne. Responsable des effets des films tels que Titanic, Fight Club ou Le Cinquième Elément, la société fut la première à proposer une alternative à l'hégémonie technologique d'ILM. Suprématie une fois encore contestée au tournant du 20ème siècle par une obscure société néo-zélandaise créée par le grand Peter Jackson pour les besoins de son Créatures célestes: WETA (reprenant le nom d'un gros criquet local) et sa filiale WETA Digital. Parvenue à créer pour les Deux Tours un Gollum parfait d'émotions, la performance a soufflé les spectateurs du monde entier. WETA sera indiscutablement un acteur majeur à venir dans le rang des effets spéciaux. Relativement méconnu du grand public, le Tipett Studio a pris en charge les effets de Hollow Man. Etape décisive dans l'art de l'acteur virtuel, les infographistes parvinrent à accomplir un tour de force en créant le double numérique de Kevin Bacon. Les Français ne sont pas en reste. Outre l'ambitieux mais raté Kaena, la Prophétie, on retrouve de nombreuses sociétés, dont Duboi, responsable des effets de La Cité des enfants perdus et des créatures 3D d'Alien: Résurrection. Parfaitement au fait des avancées technologiques, la France souffre pourtant du manque d'intérêt et de moyens pour les productions gourmandes en effets coûteux tels que la modélisation 3D.