Au début étaient le point, la ligne et la première dimension, puis vint la forme géométrique d'où jaillit la seconde dimension. L'artiste regarda et vit que cela était bon, mais il n'était pas satisfait alors il ajouta la profondeur. Le parallélépipède vit le jour et avec lui la troisième dimension.


I NEED PERSPECTIVE

Lors de ses premières expérimentations picturales, l'homme s'est rapidement interrogé sur la façon de représenter l'espace en trois dimensions sur une surface plane. Dans un premier temps, il utilisa les aspérités de la roche pour représenter le volume. Puis, ayant conscience que plus un sujet s'éloigne et plus il rapetisse, les dessinateurs se mirent à réduire sa taille dans la proportion de sa distance. Ce fut ainsi pendant longtemps l'unique façon de représenter l'espace de la façon la plus fidèle. Depuis les papyrus égyptiens aux tapisseries du Moyen-Âge, les fresques de paysages sont certes riches, mais souffrent d'une rigidité dans la représentation des corps en mouvement dans leur propre environnement. L'œil habitué perçoit très vite les fausses perspectives, faute d'une technique précise de l'artiste. Ce n'est qu'à l'aube de la Renaissance que la véritable notion de perspective entre en jeu. A cette époque, nombre de grands artistes - notamment italiens - publient des traités sur leur art et la façon de tromper l'œil. Ils définirent petit à petit les bases artisanales du savoir-faire pictural moderne. Dès cet instant, l'enjeu de la peinture devint la recherche d'une certaine fidélité de reproduction. De Vinci détermine par exemple les différents degrés de perspective (linéaire, aérienne et d'effacement), alors que Piero de la Francesca définit le tableau comme une fenêtre ouverte. Les notions de cadrage et de point de vue apparaissent. La peinture se pare désormais de géométrie, de formes complexes, de règles précises et de techniques sophistiquées, définissant les préceptes qui commanderont la future 3D. Une fois cette liberté acquise et digérée, les peintres se mirent à jouer avec la notion de perspective, et au-delà, avec la notion de classicisme. Depuis Van Gogh et les impressionnistes, jusqu'à Matisse et M.C. Escher, les lignes et les formes deviennent impossibles, torturées ou multiples. Les points d'horizon se propagent dans plusieurs directions et la représentation de la réalité devient à nouveau altérée, mais volontairement, à la différence d'une peinture "primitive". La représentation ne doit plus seulement être fidèle à la réalité mais à l'interprétation de celle-ci par l'œil de l'artiste. La mise en scène des tableaux devient prépondérante et celle-ci exprime particulièrement les démons intérieurs de celui qui le conçoit - Van Gogh en était l'exemple le plus éloquent.


EMERGENCES

Si les années 80 marquent l'apparition de la 3D et les années 90 sa démocratisation, il faut remonter dans les années 70 pour y retrouver les prémices. Les exigences de la Seconde Guerre Mondiale eurent une conséquence: il fallait des calculateurs de plus en plus puissants afin de pouvoir, par exemple, percer les codes secrets utilisés par les Allemands et les Japonais. De machine de Von Neuman à Big Blue, les ordinateurs répondront très tôt, via leur polyvalence, aux exigences des réalisateurs désireux de s'affranchir de certaines fâcheuses contraintes imposées par l'analogique, le dessin à la main et les défauts des appareillages optiques. L'une des premières utilisations de l'informatique pour le cinéma fut consacrée à l'imagerie de synthèse. Permettant de créer et d'animer des images inédites et impossibles à rendre à l'aide des moyens traditionnels, l'ordinateur fut en mesure de concevoir pour le film de Michael Crichton, Mondwest, le point de vue du robot incarné par Yul Brynner en 1973. Mondwest fut le premier film à se servir d'une telle technologie. L'informatique permet essentiellement à cette époque de montrer des images elles-mêmes issues d'un ordinateur utilisé dans l'histoire. Ce fut La Guerre des étoiles qui proposa l’une des premières véritables séquences en trois dimensions, lors du briefing de l'attaque de l'Etoile Noire. L'animation vectorielle représentait la tranchée que les pilotes avaient à suivre afin de larguer leurs bombes dans le cœur de la machine impériale. Par la suite, l'infographie continua son évolution, à travers la séquence d'atterrissage de Alien (1979) et le Trou Noir (1978) de Disney, qui fut en son temps le détenteur du record de la plus longue séquence en images de synthèse. Incidemment, nombre de productions voulurent inclure des séquences en 3D filaire, sans pour autant pouvoir débloquer le budget nécessaire. New York 1997 (1981) parvint à contourner le problème lors de la scène du survol de New York en aile delta par Snake. La ville en 3D affichée par l'ordinateur embarqué étant simplement une maquette filmée et peinte en noir où un ruban adhésif réfléchissant avait été collé sur les arêtes des formes géométriques, rendant l'homonymie saisissante.


TRACE ON

Tron est à lui seul un monument fondateur dans le domaine de la 3D. Produites par Triple-I, la même société qui s'était chargée des effets de Mondwest, les images de synthèse offrirent un panorama inédit des capacités de l'informatique de l'époque. Temple de l'image truquée et authentique choc, le film est l’une des plus massives pierres angulaires dans ce domaine. Outre la puissance et l'originalité de l'histoire, Tron a été le siège de nombreux défis technologiques. A une époque où l'ordinateur était incapable d'animer les images qu'il était en mesure de créer, l'équipe technique eut à définir point par point et image par image les mouvements des objets et caméras. Près de six cent coordonnées furent nécessaires pour produire seulement quatre secondes de film. Offrant quinze minutes d'images animées et créées par des ordinateurs, le challenge était d'offrir l’esthétique d'un univers auquel le grand public n'avait encore que peu de référents. Le but était de rendre tangible une foule de concepts abstraits liés à l'électronique: rendre l'inerte vivant et faire croire à une microsociété aux proportions infimes. La machine se rendant hommage à l'aube de l'ère de la machine. Cette démarche rappelant étrangement le procédé suivi par un certain John Lasseter treize années plus tard lors de la conception de Toy Story. L'univers tridimensionnel créé en 1982 parait aujourd'hui dépassé, mais conserve son charme et le design de l'ensemble n'a pas vieilli. Toutefois, force est de constater que les ordinateurs personnels actuels sont capables actuellement de générer un univers en temps réel - par opposition aux images pré-calculées de Tron - de qualité supérieure. Ceci est particulièrement visible dans le jeu vidéo inspiré du film: Tron 2.0 où le même univers est plus beau sur un écran de PC.