Eros + Massacre

Eros + Massacre
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Eros + Massacre
De Yoshida Kiju
Éditeur : Carlotta Films
Zone 2
Nombre de disques : 2
Durée : 2h07
Sortie : 09/04/2008
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Alors qu’elle fait l’amour avec Unema, réalisateur de spots publicitaires, une étudiante de 20 ans, Eiko Sokutai, prend conscience d’elle-même et de son inévitable froideur. Peu de temps auparavant, elle a rencontré Wada, un jeune homme du même âge, qui reste malheureusement sourd à ses avances. Afin de mieux comprendre qui elle est, Eiko s’intéresse alors à l’anarchiste Sakae Ôsugi, qui, à l’ère Taishô, fut le chantre et le premier adepte de l’amour libre. Elle suit également les traces de Noe Itô, assassinée avec Ôsugi au lendemain du grand tremblement de terre de 1923 par un officier de l’armée japonaise…

FEMMES EN MIROIR

Quand on l'invite à parler d'Eros + Massacre, l'une de ses oeuvres maîtresses, insaisissable et impénétrable, Kijû Yoshida lui-même élude la réponse. "Eros + Massacre n'est pas un film réalisé par Kijû Yoshida, mais un film que le cinéma a réalisé." Ces mots pourraient paraître présomptueux; ils définissent pourtant bien cet étrange abîme de récits enchâssés, de fulgurances opaques, de correspondances et de digressions infinies entre les corps, les visages, les destinées, entre une douleur intime et un révolte collective, entre la pensée et la chair, la jouissance et la terreur, entre un passé utopique et un présent nihiliste. Yoshida évoque tour à tour les frustrations sexuelles d'une étudiante rebelle dans les années 60, la vie dissolue de l'anarchiste Sakae Osugi, mystérieuse figure des années 20, et les trois femmes qui ont précipité sa chute. Les extrêmes s'apprécient, se jaugent, se touchent, mais ne s'accordent jamais tout à fait. Dans Eros + Massacre règne un désenchantement hypnotique, une liberté formelle épuisante, totale et radicale. Yoshida ne se conforme à aucun parti, aucune vérité; il se laisse dériver. Emporté par son imagination, sa fascination du mouvement, son refus du didactisme. Quelle que soit l'époque, quel que soit le lieu – de moins en moins identifiables –, le temps est toujours trouble, suspendu, le passé s'immisce dans le présent qui s'insinue dans le passé. La mémoire est hésitante et flottante, les repères s'estompent. Disloquées, contestées, illusoires et fallacieuses, les histoires sont réécrites et réévaluées continuellement. La photo surexposée, les visages diaphanes, les tableaux morcelés et évanescents n'autorisent aucune lisibilité parfaite. Parce qu'il ne cesse jamais d'interroger sa raison d'être et de douter de sa propre existence, parce qu'il est une révolution – politique, esthétique, métaphysique – à lui tout seul, Eros + Massacre a su garder sa jeunesse, son éclat et son exubérance intacts.

par Danielle Chou

Bonus

Outre la bande-annonce et une analyse intéressante mais trop succincte du film (Yoshida ou l'éclatement du récit, 29 min), Carlotta propose deux versions d'Eros + Massacre: la version intégrale exploitée en France (202 min) et la version amputée lors de sa sortie japonaise, le 14 mars 1970 (165 min). Pour mieux mesurer l'audace et la portée du film, les historiens du cinéma Jean Douchet et Mathieu Capel reviennent sur le contexte politique du tournage, la polémique engendrée par le sujet (une députée, proche de l'anarchiste Sakae Ôsugi, intente un procès à Yoshida), mais aussi le nouveau visage du cinéma japonais dans les années 60. Aux côtés de Nagisa Oshima (L'Empire des sens), Kijû Yoshida incarne une ébouriffante Nouvelle Vague, débarrassée des réflexes surannés d'une industrie essoufflée. Eros + Massacre est doublement une révolution: réalisé à une période particulièrement sensible de manifestations étudiantes et de contestations virulentes, il amorce un radical tournant esthétique dans le cinéma japonais. Pendant près de 3h, Yoshida prône non seulement l'émancipation féminine, l'amour libre, la multiplicité des points de vue, il défend aussi la liberté formelle. Une liberté telle que le film – aujourd'hui encore d'une incroyable modernité – ne se laisse jamais saisir.

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