Out 1

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Paris, 1970. Quatre histoires s'entrecroisent : Deux troupes de théâtre rivales répètent tant bien que mal des textes antiques de manière avant-gardiste, une jeune paumée se retrouve mêlée à un dangereux trafic qui la dépasse, et un sourd-muet reçoit des lettres anonymes inquiétantes. Au dessus de tout ce petit monde plane la menace d'une mystérieuse société secrète : "les 13". Qui en fait partie ? Qui manipule qui ?

Un film de plus de douze heures ? Entièrement improvisé ? Une version « courte » de quatre heures ? Une improbable histoire de société secrète littéraire ? Bulle Ogier qui se prend des claques ? Bienvenue dans l'univers sans limites de Jacques Rivette dans ce qu'il a pu avoir de plus maboul. Ceux qui ne gardent de Rivette que son image pesante de cinéaste académique ont semble-t-il perdu de vue le vent de folie sur lequel il a traversé les années 70. Il y a bien sûr eu l'inoubliable Céline et Julie vont en bateau, mais avant cela, l'ovni Out 1 avait déjà ouvert une brèche vers une autre dimension dans le terrain balisé de la nouvelle vague. Serpent de mer demeuré trop peu visible dans sa version intégrale, Out 1 est l'un des plus audacieux saut dans l'inconnu du cinéma français. Plus de 40 ans plus tard, le film retrouve le chemin des écrans et sort enfin en DVD, il était temps.

PARIS SECRET

1970. Jacques Rivette, qui vient de quitter la rédaction des Cahiers du cinéma, a déjà trois longs métrages à son actif. Entre La Religieuse (qu'il avait tout d'abord mis en scène sur les planches) et L'Amour fou (sur le quotidien d'une troupe), le cinéaste a pris goût non seulement à l'expérience théâtrale, mais surtout au travail sans filet de l'improvisation. Selon ce précepte, il va laisser de plus en plus de liberté à ses comédiens, qui participeront dès lors aux dialogues de ses films. Ses projets de cinéma deviennent alors hors-normes, mais contrairement à la légende, Out 1 est son seul film entièrement improvisé, les autres possédant tous au moins une trame préalable.

Rivette assemble un casting de jeunes prometteurs qui ressemble aujourd'hui à une dream team de la Nouvelle Vague : Jean-Pierre Léaud, Bernadette Lafont, Michael Lonsdale, Françoise Fabian, Juliet Berto... Il les réunit comme pour un jeu, un jeu avec une règle unique : les comédiens, ignorant donc tout de l’histoire du film, n'ont pas le droit de se concerter entre eux. L'Histoire des treize de Balzac ne sert que de prétexte littéraire, une béquille pour Jean-Pierre Léaud, tellement mal à l'aise dans l'improvisation qu'il lui fallait un texte écrit. D'où sans doute ce personnage solitaire de mal-entendant, qui n'a presque aucune interaction avec les autres. Soit donc une mystérieuse société secrète parisienne, et à partir de là, advienne que pourra. Ce qui advient tient alors du miracle et du mirage.

AU DÉPOURVU DE L’IMPRÉVU

Laisser venir l’imprévu dans chaque scène, voilà le credo de Rivette, qui laisse tourner la caméra pour voir ce qui vient, faisant confiance aux acteurs. Cela donne des scènes parfois bancales mais fascinantes, où l'on voit l'intrigue se créer en direct. Parfois les acteurs perdent pied et lancent des regards furtifs et implorants à la caméra, mais Rivette ne se laisse pas attendrir, et au final cela y fait beaucoup pour la violence qui s’installe peu à peu dans le film. Une violence souterraine, une inquiétude et surtout un glissement vers le fantastique (comme souvent chez Rivette à cette époque) : les identités des personnages se créent en direct à l’écran, se contredisent, deviennent floue. Le personnage de Bulle Ogier tente tente de s’imposer comme manipulatrice mais se découvre victime. On ne distingue plus la réalité du fantasme, à l'image de cette menace anachronique dont on ne sait jamais vraiment très bien d'où elle vient.

Rivette veut "filmer le complot" dans son expression la plus concrète. Or celui-ci n'est plus seulement entre les personnages, il est également entre les comédiens. Dans l'excellent ouvrage d'Hélène Frappat, Bulle Ogier parle de "fosse au lion", une angoissante compétition où chacun ignorait ce que l'autre avait fait la veille, et où certains tentaient de prendre l'ascendant sur l'autre. Regarder Out 1 c'est aussi se divertir d'un suspens extra-filmique : qui parvient à tirer la couverture à soi, et qui n’arrive pas à tenir le rythme. Françoise Fabian et Bernadette Lafont semblent par exemple vouloir passer leurs impros à engueuler les autres, et à mettre des gifles à Bulle Ogier (une scène tellement marquante qu'elle a longtemps servie de jaquette DVD à l'étranger), qui par conséquent a l’air complètement larguée.

QUI EST IN ? QUI EST OUT?

De quoi parle Out 1 ? Difficile de répondre factuellement à la question, tant le film s’échappe des schémas de narration classiques. En plus de sa durée folle, le film possède un rythme bien à lui. Les scènes de répétitions théâtrales sont par exemple filmées dans leur quasi intégralité, donnant des scènes de 30 ou 40 minutes, d'une richesse incroyable. Il faut également attendre la 5e heure du film pour que se croisent enfin concrètement les différents destins jusqu'ici suivis de manière ludique. L'une des clés du film est sans doute à chercher du coté de son titre. Le titre original en latin Noli me tangere, peut se traduire "ne me touchez pas", dans le sens de "laissez-moi en dehors de tout ça" ou "n'essayez pas de m'attendrir". La formule ne s'applique pas à un personnage en particulier mais traduit l'état d'attente affective qu'il peut y avoir à vouloir faire partie ou échapper à quelque chose de plus grand que soi. D'où le rajout du mot Out, argot de l'époque désignant ceux qui ne sont pas dans le coup. Peu savent d'ailleurs que le titre se prononce "Out un" et non "out one" (cf Histoires de titres). Cela parce que Rivette envisagea un moment la possibilité de donner suite à l'expérience.

Si Out 1 : Noli me tangere est le titre exacte du film dans sa durée intégrale, Out 1 ; Spectre désigne sa version "courte" de 4 heures. A la fin du tournage, nul ne savait si le film durerait 2, 6 ou 24 heures. Or, le montage se révéla étonnamment rapide. Bien qu'il ait obtenu l'aide sur recette, la durée gargantuesque du film fini prive Rivette de toute exploitation cinématographique. Il décide alors de remonter son long métrage en une version courte, et paradoxalement, c'est ce nouveau montage qui va nécessiter pas moins de trois ans. A l'arrivée, plus qu'un résumé, c'est un nouveau film qui en émerge. Ne contenant aucune scène inédite, Spectre possède pourtant sa propre logique. La fin y également modifiée, rendue ici plus optimiste. Si la version longue raconte en parallèle la découverte de cette société secrète et le quotidien artistique des protagonistes, la version courte zappe ce dernier aspect pour se concentrer sur les nœuds principaux de l'intrigue. Out 1 y gagne en clarté, et se rapproche du suspens étrange de Paris nous appartient. Mais ce que l'on y perd en échange, c'est le thème sous-jacent à toute l’œuvre de Rivette : le parallèle qu'il y a entre jouer un rôle sur scène et jouer un rôle dans la vraie vie.

Dix ans plus tard, Rivette tentera à nouveau le même tour de passe-passe celui d'un film entièrement improvisé : Merry-Go-Round, mais un tournage catastrophique donna lieu à un résultat très bancal. Entre temps, Out 1 a ouvert la voie au Mulholland Drive montmartrois qu'est Céline et Julie vont en bateau ou au projet inachevé Phénix sur un théâtre hanté. Une décennie de films magiques, à la fois surnaturels, fous, ambitieux et généreux. Un cycle de film réunis sous le nom de Scènes de la vie parallèle. Un titre qui serait allé comme un gant à Out 1, film tellement immense qu'il possède déjà plusieurs noms, mais surtout un film qui passe comme un rêve : à la fois unique et hors du temps.

par Gregory Coutaut

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