Jean de Florette

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Dans un petit village de Provence, Jean Cadoret vient s'installer sur le terrain dont il vient d'hériter et où il rêve à une nouvelle vie faite de la culture de "l’autenthique". Mais Ugolin et son vieil oncle César ont eux aussi un projet pour ce terrain: y faire pousser les œillets de la fortune.

IL ETAIT UNE FOIS LA VIE

Jean de Florette. Trois mots qui résument à eux seuls nombre d’histoires. Jean de Florette, c’est l’histoire de trois hommes, trois vies, trois destins. C’est l’histoire d’un village fictif représentant métaphoriquement une France coincée entre le passé et l’avenir de l’entre deux guerres. C’est l’histoire de deux familles que tout sépare. C’est l’histoire d’une amitié au milieu d’un monde naissant fait d’avarice. C’est l’histoire de César, Jean et Ugolin, membres d’une seule et même famille, mais qui s’ignorent. C’est l’histoire d’un être qui s’éteint et deux autres qui s’éveillent. C’est l’histoire dramatique de ce vieil homme sentant sa vie s’acheminer doucement mais sûrement vers sa fin et qui souhaite voir son nom continuer d’exister, dans l’allégresse qu’il a connue et le respect qu’il inspire, à travers la réussite de son neveu. C’est l’histoire de ce nouveau venu dans l’âge adulte, qui n’a pas forcément toutes les cartes en main et ne se fiant pas suffisamment à ses propres sentiments. C’est l’histoire de cet homme renonçant à une vie pour en découvrir une autre, celle de ses racines, celle qu’il a toujours enviée intérieurement et que son handicap physique lui refusait. C’est l’histoire de trois rôles et de trois acteurs. C’est l’histoire de ce drame humain qui entraînera dans une chute certaine plus qu’une seule personne. C’est l’histoire d’une humanité déclinante et tirée vers le profit. C’est l’histoire de toute une vie.

ON DIRAIT LE SUD

Au départ, il y a l’œuvre de Marcel Pagnol, écrivain régional devenu romancier international tant ses œuvres ont été distribuées de par le monde. Ensuite, il y a le film de Claude Berri, peut-être le réalisateur et producteur français le plus important pour l’époque. Enfin, il y a la volonté de transcrire sur grand écran l’une des plus fortes histoires du panorama littéraire français. Sans être une véritable adaptation, le travail de Berri et de Brach ressemble plutôt à une transposition fidèle tant l’œuvre de Pagnol est déjà très visuelle. Des premières secondes à la toute fin, pas une image ne manque de noter le charme profond de la Provence et l’amour certain du réalisateur envers l’œuvre et son décor. Des collines de Crespin, avec le clapotis de sa fameuse source, au marché d’Aubagne, les saveurs du pays, la garrigue, le ciel bleu azuréen, les parties de pétanque, les apéritifs journaliers, la bonne humeur inhérente et l’accent du midi, n’en finissent pas de décorer cette histoire. Pittoresque et parfumé, mais tout autant capricieux et dangereux, ce paysage atypique est un véritable personnage à lui tout seul. À l’image du massif du Garlaban, qui se trouvait déjà dans La Gloire de mon père, autre œuvre de Pagnol adaptée plus tard pour le grand écran, qui constitue ce monde presque fermé de l’extérieur, qui empêche le passage des nuages et de leurs pluies et qui confine paysans et chasseurs résistant à l’influence de la vie moderne et y possédant les mêmes terres arides depuis des siècles. Terres arides qui poseront tant de soucis au pauvre Jean, tout comme les personnages, véritables commères du village, trop ancrés à ce lieu, qui voient d’un mauvais œil l’arrivée de l’homme de la ville, sûrement annonciateur de mauvais présage et d’une modernisation qu’ils réfutent. C’est donc dans ce décor et cette atmosphère pleine d’enchantement que vivent Ugolin et César Soubeyran, bientôt rejoints par Jean Cadoret et toute sa petite famille, prêts à cultiver "l’authentique".

LE GRAND RÔLE

Pour interpréter les trois rôles phares de cette adaptation, Berri a eu le nez plus que creux tant les personnages sont habités par ces comédiens plus qu’exceptionnels. Et pour interpréter ces trois hommes aux trois âges différents, on ne pouvait voir que trois comédiens générationnels à trois réputations et caractères différents. Quand on possède entre les mains le personnage du vieillissant César, homme tantôt acariâtre, tantôt joyeux luron, peut-on seulement imaginer un autre acteur qu’Yves Montand, ce fabuleux acteur et chanteur de cabaret, au charme désuet mais à la courtoisie toujours présente, pour se dresser dans la peau et la panoplie d’émotions du "Papet". Peut-on envisager comédien plus établi dans le panorama français pour interpréter justement et tout en sentiments ce savant mélange de bon petit diable et d’ancien amant éperdu à qui la vie n’a pas réservé que des bonnes choses. La réponse est évidemment non, car Montand est César et inversement. Manipulateur et calculateur, le "Papet" n’en finit pas de faire traîner son regard perçant au-dessus des épaules de sa "Galinette", pour mieux contrôler les deux moteurs de son existence: l’argent et le pouvoir.

Pour le rôle éponyme de Jean de Florette, le choix se porte très justement sur le déjà culte Gérard Depardieu. Cet acteur au talent en acier trempé, qui oscille entre le sérieux Police de Pialat et la comédie satirique Tenue de soirée de Blier. Il fallait bien évidemment un acteur de sa trempe pour endosser ce rôle si humain de quasi souffre-douleur, mais à la volonté solide comme un chêne. Ce personnage à l’aube de la quarantaine, qui quitte sa vie de percepteur pour repartir de zéro, entraînant son entourage dans sa folle entreprise. Rôle qui semble avoir été écrit dès l’époque pour Depardieu tant il lui sied à merveille. La tâche n’était pourtant pas facile, car il fallait arriver à rendre crédible ce personnage totalement hors contexte quant au village, qui pourrait paraître arrogant, du fait de son ancien statut et de sa large culture, aussi bien poétique qu'avide de chiffres. Mais le rôle demandait tout autant d’afficher un caractère décidé et jusqu’auboutiste, borné et persuadé, qui voulait prouver à Dieu, comme aux habitants des alentours et autant à lui-même que, malgré sa bosse handicapante, il avait les épaules assez larges pour aller au terme de son action. Et Depardieu d’imposer sa version tout en justesse d’homme enjoué chutant peu à peu vers la folie et la mort imminente qui l’attend.

Enfin, pour composer le rôle d’Ugolin, le voisin gentil mais déjà très attiré par l’argent, domptable mais pourtant rongé par ses propres sentiments, il fallait trouver la perle rare. Perle qui serait capable de faire comprendre et accepter au spectateur les motivations de ce personnage, ainsi que son caractère très alambiqué malgré son aspect "vilain qui à l’air d’un crapaud", comme le souligne la petite Manon. Et c’est sur le dos de Daniel Auteuil qu’échoit cet emploi si difficile. Pourtant, le rôle ne lui semblait pas promis d’office, tant l’étiquette d’acteur de comédie un peu trop franchouillarde lui collait à la peau. Mais Berri lui fait confiance et lui offre la possibilité d’atteindre des sommets de jeu qu’il n’a encore jamais touchés, malgré certains rôles déjà percutants mais pas assez reconnus par la profession ni par le public. Et Auteuil de transcender son interprétation de cet homme des collines, travailleur acharné à la peau rugueuse, ouvrier des champs émérite, au tempérament bien défini mais pourtant si malléable, dont les valeurs morales sont trop souvent spoliées au profit d’autres valeurs financières moins humaines. Interprétation qui lui vaudra d’accéder enfin à la reconnaissance qu’il méritait tant, par l’obtention du César du meilleur acteur en 1987, pour l’ensemble de son rôle dans Jean de Florette et sa suite Manon des sources.

LES ŒILLETS DE LA COLÈRE

S’il est un genre capable de faire surgir tout un panel d’émotions et de sentiments, c’est bien celui du drame. Car il possède avant tout la possibilité de provoquer facilement l’identification du spectateur face aux principaux protagonistes, souvent confrontés à des réactions et pouvant faire écho à leurs propres expériences. Ce genre fédérateur a fait ses preuves depuis la nuit des temps et n’en finit pas de jouer avec les sensations et autres troubles humains grâce aux épreuves et obstacles que les personnages rencontrent. L’éventail des rôles créé par Pagnol donne à ces destins croisés toutes la substance nécessaire à de nombreux éléments générateurs de conflits: amitié, argent, pouvoir et, ici, régionalisme. Jean Cadoret, l’immigrant de la ville, qui vient s’installer dans sa propriété héritée, va se heurter à la famille Soubeyran et notamment au "Papet", César, par l’intermédiaire de l’influençable "Galinette", Ugolin. Jean, cet homme simple mais cultivé, gentil, travailleur et passionné, n’aura finalement que le malheur de vouloir exploiter au maximum les ressources des terres de sa nouvelle demeure, alors que César et Ugolin nourrissent depuis quelque temps l'idée de s'approprier cette dernière afin d’y récupérer la source propre à la culture des œillets de la fortune. L’esprit orgueilleux, borné, violent et colérique de César déteignant vite sur le gentil et naïf Ugolin, gros travailleur, souhaitant uniquement faire fructifier sa bonne idée. Seulement, dans leur noir dessein, les Soubeyran seront confrontés à l’amitié naissante et sincère d’Ugolin avec Jean, qui aurait pu donner une entreprise plus que prospère si le "Papet" ne tirait pas trop sur les ficelles de son pantin de neveu. Car l'on sent très vite l’admiration naissante et le respect mutuel que se concèdent l’homme de la ville et celui de la campagne. Et même si certaines méfiances venant de la part de Aimée et Manon, femme et fille de Jean, seront évoquées, l’aveuglement du père et chef de famille n’en rendra son destin que plus tragique pour le plus gros malheur mais aussi bonheur des Soubeyran.

CRIMES ET CHATIMENTS

Si le destin de chacun de ces individus nous touche si intimement, c’est parce que Pagnol, tout comme Berri, nous présente toujours ses personnages comme sympathiques. La simple rencontre de chacun nous offrant une caractérisation des plus agréables, avec ces êtres remplis de bonhomie et de valeurs assez justes. Seulement, au fur et à mesure de l’avancée de l’histoire, et même au détriment des actes de la famille Soubeyran, on ne peut effacer de notre mémoire ces gentils gens que l’on a découverts avec le sourire et dont la principale entreprise nous a été montrée comme passionnelle et sympathique. La grande force de cette histoire consistant à placer le spectateur en arbitre des choix libérés de chacun, mais toujours avec ce regard biaisé par l’attirance positive de chacun. Le seul choix laissé étant une valeur moraliste innée, mais toujours nuancée par la nature propre de chacun. Même le "Papet" possède ses bons cotés. Et l’on peut aisément comprendre ses ambitions face au fils de celle qui l’a jadis meurtri. Jean, quant à lui, se présente presque, au début, comme un intrus dans ce havre de paix. Une sorte d’usurpateur pédant, la faute à son vocabulaire soutenu et à sa culture, qui pourrait changer les aspects si paisibles de la vie du village. Mais son innocence et son courage, malgré le handicap qui le caractérise, finissent par le rendre tout aussi sympathique. Et pour mieux orienter sa vision, le spectateur, devenu presque voyeur, est aidé par ce que l’on pourrait définir comme les commères du village, c’est-à-dire le maire, le boulanger, etc., qui ne cessent de remettre en cause ces orientations en exprimant, à leur manière, leurs opinions contradictoires. Et le spectateur de devenir témoin malgré lui d’une histoire qui laissera, quel qu’en soit le dénouement - et dont l’apothéose se trouve dans Manon des sources -, un goût amer de raté tant on sait que les deux entreprises auraient pu co-exister.

par Christophe Chenallet

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