Bienvenue à Gattaca

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Bienvenue à Gattaca
Gattaca
États-Unis, 1997
De Andrew Niccol
Scénario : Andrew Niccol
Avec : Ethan Hawke, Jude Law, Uma Thurman
Photo : Slawomir Idziak
Musique : Michael Nyman
Durée : 1h41
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Dans une société où la perfection se lit dans les gènes, un homme va corrompre le système pour réaliser son rêve: partir dans l'espace. Il emprunte alors l'identité d'un être génétiquement parfait pour se faire admettre à l'académie spatiale de Gattaca.

LE MEILLEUR DES MONDES

Rares sont les premiers films pouvant prétendre à la perfection immédiate et indéniable. On pensera à Cititzen Kane d'Orson Welles ou à THX-1138. Films maîtrisés, œuvres novatrices ou ambitieuses, elles s'imposent d'elles-mêmes et imposent également un auteur. Le Néo-Zélandais Andrew Niccol, ancien réalisateur de publicités, est parvenu, certes sur le tard (à 33 ans, lorsque Welles ou Lucas en avaient 25 et 26), à se hisser dans ce club très fermé. Culte malgré son échec public (tout comme les deux autres films susnommés), Bienvenue à Gattaca soigne sa parenté avec le premier film de George Lucas. Tous deux parlent d'une société dystopique aux libertés réduites et aux émotions contrôlées, à l'univers aseptisé et monochromatique (vers le blanc pour THX-1138 et aux tons chauds pour Gattaca). Ils furent également tournés en partie dans le même décor, le Marin County Civic Center de San Rafael, dessiné par l'architecte Frank Lloyd Wright. Situé dans un futur proche où la manipulation génétique et la conquête du système solaire sont devenues des éléments de la vie quotidienne, Gattaca prend aux tripes dès la première vision. Multipliant les expériences, additionnant les genres, mélangeant science-fiction, enquête policière, histoire(s) d'amour(s) et destins tragiques, Niccol construit son monde en refusant de se simplifier. Mieux que cela, il met un point d'honneur à dépasser son sujet, potentiellement riche en scènes démonstratives, pour créer une œuvre contemplative où la poésie de l'instant emboîte le pas sur les vicissitudes d'une intrigue pourtant charnue.

ACIDE DESOXYRIBONUCLEIQUE

Perlé d'une certaine langueur mélancolique, le film déroule sa centaine de minutes dans une construction non linéaire (on ne cesse de faire des va-et-vient entre le passé du héros et son présent) qui parvient à faire vivre ses trois personnages principaux. A commencer par Vincent, l'éternel rêveur, tourné vers les étoiles - au sens propre -, qui a eu le malheur d'être conçu naturellement, ce qui lui interdit du coup l'entrée dans la seule élite qui prévaut: celle des êtres créés sur mesure par l'architecture génétique. Autour de lui gravitent deux satellites en perdition. D'un côté, la belle Irène, interprétée par Uma Thurman. Parfaite de froideur, chignon impeccable et longues jambes, elle tombe sous le charme de Vincent, l'imposteur venu de nulle part et dont la motivation la fascine et la rend suspicieuse. C'est la faillite du héros, son point faible, celle avec qui il aimerait partager son secret, mais dont il craint la réaction préfabriquée par des années de discrimination génétique. Le mensonge au milieu du visage d'une réalité fabriquée en laboratoire. Puis vient le tour de Jérôme, la face cachée de la lune, l'identité vide, la coquille creuse que Vincent emprunte pour revêtir la perfection artificielle qui lui manque. Un homme dont la vie et la colonne vertébrale sont brisées et dont le destin contredit les belles intentions de ses pères, lorsque la perfection physique n'en oublie pas que l'on ne peut prévoir et contrôler les névroses ou les tendances suicidaires. Il devient un personnage obligé de vivre sa vie par procuration, empruntant les rêves et les espoirs de celui qui a emprunté son identité.

GUANINE – ADENINE – THYMINE - CYTOSINE

Sujet en or et développement en diamant, le film d'Andrew Niccol jouit d'une force incomparable. Tout d'abord aidé par la musique de Michael Nyman, sublimes volutes mélodiques qui prennent leur envol entre les silhouettes de personnages façonnés dans la glaise des éprouvettes. Maîtrisant chaque détail, tout paraît ici étrange, proche de la science-fiction européenne des années 50-60, où le futur prend la forme d'un passé exotique aux yeux d'un public non averti. Ici, au centre de l'intrigue policière – Vincent a-t-il tué le directeur de la mission spatiale qui aurait risqué de découvrir sa véritable identité? – évoluent des inspecteurs au feutre mou et à la dégaine d'un Bogart. Un environnement sans végétation, où les arbres sont en béton, où les lignes droites et les courbes parfaites rappellent la dureté de la main de l'homme et la double hélice de son ADN. Un univers impitoyable dans lequel Vincent, l'anomalie intolérable, doit avancer masqué afin de cacher l'imperfection - propre au vivant - aux yeux de ceux qui aiment bercer l'autre de l'illusion de la perfection. On ne choisit plus son partenaire pour le contenu de son caractère, mais sur les qualités intrinsèques de ses cellules, indécelables par l'observation amoureuse, comme si, répondant à un besoin primitif, les sentiments n'avaient plus qu'une importance relative face à l'amélioration darwinienne perverse de l'espèce humaine. Un mariage de raison en somme pour une compatibilité binaire, réduite au séquençage d'un génome, lorsque le film n'a de cesse de clamer que malgré toutes les prévisions quantifiables, la vie trouve un chemin inattendu.

GHOST IN THE MACHINE

C'est au final l'habilité d'un film qui ne cherche pas à faire de sa morale une thèse. On est loin d'une condamnation ferme à la 1984 ou aux dérives d'Huxley. Niccol choisit de circonscrire son propos à la fortune de Vincent. C'est le choix d'un homme que de se lever contre les affres d'un destin que d'autres ont écrit pour lui. Il ne remet pas en cause les fondements d'une société, mais glorifie ceux qui savent et ont le courage d'utiliser toutes les failles que la perversion de celle-ci peut offrir. Il met en lumière cette incertitude et cette absence de maîtrise des autorités qui créent une bulle de liberté garantissant l'affranchissement des ses citoyens. On peut chercher à tout maîtriser, il existera toujours une marge de probabilité dans laquelle se mouvoir. C'est dans cet espace qu'évolue notre héros, bien décidé à ne pas jouer avec le jeu qui lui a été distribué. Comme cette éternelle compétition avec son frère et qui motive plus que tout Vincent. Moteur de ses aspirations, une simple course en nageant vers le large servira de déclic psychologique. Le chaos s'immisce dans chaque interstice de la vie et fausse toutes les cartes – entre l'inadaptation à la perfection de Jérôme, les problèmes au cœur d'Irène et la fatigue inespérée du frère arrogant de Vincent – en décalant les chances réservées à chacun. Les premiers seront les derniers. Décalage toujours, lorsque Vincent se prépare à s'envoler vers les étoiles – comment pourrait-on imaginer une autre fin que cette fausse happy end? –, ce n'est pas en combinaison et casque, mais en simple costume noir, passant à travers un ombilical comme un accouchement à l'envers, à l'image du starchild final de 2001: L'Odyssée de l'espace. Gattaca est alors un peu l'antichambre conjointe du paradis et de l'enfer.

par Nicolas Plaire

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