Julie Delpy

Sans boussole ni port d’attache, la Française touche-à-tout, exilée depuis nombre d’années aux Etats-Unis, a, en vingt ans de carrière, tracé son chemin entre les grands noms européens et le ciné indé loin d’Hollywood.

COUP DE SANG

Quelques fées et sorciers se sont penchés sur le berceau de la jeune Julie Delpy, née le 21 décembre 1969 à Paris. D’abord ses parents, eux-mêmes comédiens, Albert Delpy et Julie Pillet (qui font tous les deux une apparition dans Before Sunset). Puis un marabout made in Switzerland en la personne de JLG, Jean-Luc Godard, qui la dirige (de loin) dans Détective puis dans King Lear. Dans le premier, elle n’est qu’une "jeune fille sage", tandis que dans le second, elle est une Virginia non créditée au générique. La révélation viendra avec Mauvais Sang, sous l’égide du ténébreux chaman Leos Carax, où elle incarne une Lise qui, dans l’ombre du couple Denis Lavant-Juliette Binoche, lui vaut une nomination au César de meilleur espoir. L’essai est transformé avec La Passion de Béatrice, où elle joue l’héroïne-titre, dirigée par Bertrand Tavernier. Le film, plongé au Moyen-Age, la voit dans la peau d’une jeune fille qui attend son père, fait prisonnier lors d’une bataille, et revenant changé après sa captivité. La comédienne ajoute ensuite un nouveau grand nom européen à son palmarès grâce à The Voyager, réalisé par Volker Schlöndorff, et fait la rencontre d’Agnieszka Holland sur Europa Europa, une première approche qui aura sa suite chez un certain Krzysztof Kieslowski.

LAURIER BLANC

La rencontre initiale fut un échec: Julie Delpy est pressentie pour La Double Vie de Véronique du Polonais mais la comédienne, pourtant admiratrice du réalisateur, décline l’invitation. La nouvelle chance viendra rapidement avec la trilogie Bleu, Blanc, Rouge, testament en trois actes dans lequel Delpy s’octroie la partie intermédiaire, celle d’amours contrariées entre divorce et promesses emprisonnées. L’un des déclics de sa carrière intervient grâce à Killing Zoe, le film culte de Roger Avary. L’actrice avait déjà manié la langue de Shakespeare dans la grosse production américaine Les Trois Mousquetaires un an plutôt, et finira pas s’intaller aux Etats-Unis après son passage chez Avary. Le pont posé entre Alexandre Dumas et Walt Disney est traversé, mais la carrière de Delpy US s’effectue loin des grasses fromageries du rongeur. En effet, la comédienne enquille façon stakhanoviste les petites productions indépendantes, avec quelques arrêts particuliers. Before Sunrise en fait partie, premier volet très remarqué d’une romance dont la suite vient de voir le jour. Mais également, dans un registre moins arty, Le Loup-Garou de Paris, une série B luxembourgeoise tirant vers le Z, adoubée par un jury de Gérardmer probablement trop imbibé pour rendre une copie crédible. Pour la comédienne, le constat est simple: "Cela a été la plus grosse erreur de ma vie".

SOMETHING A BIT VAGUE

Le rebond ne tarde pas puisque Delpy ne perd rien de son appétit et cultive son curieux jardin, faisant des apparitions amicales dans le décalé But I’m a Cheerleader (où une jeune fille est envoyée dans un camp un peu spécial car ses parents la soupçonnent d’être lesbienne), continuant à remplir son agenda indé (I Love LA de Mika Kaurismäki) ou tournant pour la télévision (The Passion of Ayn Rand, aux côtés d’Helen Mirren). L’heure vient ensuite aux aventures plus personnelles, avec le tournage de son premier film en tant que réalisatrice, Looking for Jimmy, dans le même esprit libre et un peu fauché que les productions américaines qu’elle a enchaînées. Puis l’écriture d’un album, qu’elle travaille en France, une folk acidulée qui sera réutilisée dans Before Sunset, bijou romantique qui fait suite au premier volet viennois du film de Richard Linklater, tourné avec Ethan Hawke. Le postulat est à la fois limpidissime et quasi expérimental: en temps réel, filmer des retrouvailles amoureuses à Paris, quelques conversations anodines avant que le soleil ne se couche. L’actrice n’a jamais été autant saluée aux Etats-Unis, où le film se crée un fameux buzz. Au point d’être nommée aux Oscars, catégorie meilleur scénario, auquel elle a participé avec Linklater et Hawke. Après une pause dans un navet alimentaire (La Légende de Lucy Keyes), Delpy signe sa deuxième mise en scène, 2 Days in Paris, confirmant son talent de touche à tout et sa personnalité attachante. The Countess, l’histoire d’Erzsbet Bathory, l'aristocrate hongroise qui se baignait dans le sang des vierges, est son troisième film. Mais son prochain projet serait une suite de 2 Days In Paris, cette fois à New York...

par Nicolas Bardot